Christine Ott : la magicienne des Ondes Martenot

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- Publié le 08-05-2014




Christine Ott, pianiste et spécialiste des ondes Martenot, a travaillé en collaboration avec de nombreux artistes (Yann Tiersen, Dominique A, Syd Matters, Tindersticks, Radiohead) et joue de l'instrument pour des films ("Amélie Poulain, "Où va la nuit", "35 rhums"). Elle a composé à son tour pour le cinéma sur "La Fin du silence" de Roland Edzard. Le 20 mai 2014, elle joue au Balzac (Paris) en ciné-concert sa musique pour "Tabou" de F.W. Murnau.

 News : Ciné-concert TABU par Christine Ott - Cinéma Le Balzac, Paris - Mardi 20 Mai 2014 à 20h30

 

Interview Christine Ott

Cinezik : Quelle place et considération avait l'Onde Martenot dans le milieu musical lorsque vous avez commencé à la pratiquer ?

Christine Ott : La génération des compositeurs contemporains qui sont sortis de l'IRCAM a eu un mauvais a-priori au sujet des ondes Martenot. L'instrument était très lié à la musique des films de Science-Fiction des années 70. Ces compositeurs l'ont ainsi rejeté parce qu'ils avaient peur de tomber dans un cliché. C'était très connoté, ce qui l'a beaucoup desservi. Pourtant, il y a eu "Mad Max 3" où la musique est géniale. C'est Jeanne Loriod, mon ancien professeur, qui a interprété la musique de Maurice Jarre. Et il y a bien évidemment "Laurence d'Arabie", toujours de Maurice Jarre.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cet instrument ?

C.O : Après avoir vu jouer le professeur d'Onde Martenot du Conservatoire, j'ai été hypnotisée par l'instrument, et par une partition de Jean-Marc Morin en particulier. L'année d'après, je me suis inscrite au Conservatoire et j'ai demandé à mon professeur de pouvoir travailler cette partition-là. J'avais une vingtaine d'années. Avant de décider d'en faire mon instrument fétiche, j'ai galéré comme une folle pendant 10 ans, car l'instrument est rare, sa fabrication est très complexe, artisanale, mêlant la mécanique et l'électronique. Après la mort de Martenot en 1980, il y a eu seulement deux vraies fabrications. Puis c'est Jeanne Loriod (belle-soeur de Olivier Messiaen) qui l'a popularisé, au point qu'on le pratique de plus en plus en musique classique, à l'opéra et dans la pop (notamment Radiohead). Johnny Greenwood a été un ambassadeur, ainsi que Yann Tiersen. Mais il n'y a aujourd'hui qu'une vingtaine d'ondistes professionnelles dans le monde à peu près, Valérie Hartmann en fait partie.

Comment s'est fait le passage de l'interprétation de l'instrument à l'écriture ?

C.O : J'ai toujours improvisé, c'est totalement intuitif, spontané. Puis je me suis mis à une phase où il fallait écrire ce que je joue pour le retenir. Je n'ai pas une bonne mémoire. Maintenant, j'ai un petit enregistreur qui me permet de ne pas tout oublier.

De quelle manière faites-vous "sonner" l'Onde Martenot ?

C.O : Il y a toujours un son connoté, un peu céleste dans les aigus. Mais je pratique aussi la démarche,  notamment dans mes ciné-concerts, de travailler dans les graves et dans la matière. J'essaie de travailler dans des recoins moins évidents, plus dans la matière sonore et moins dans la mélodie. L'Onde Martenot peut par exemple ajouter de la matière dans le rock pour un son bruitiste, industriel.

C'est ce que vous avez fait avec Yann Tiersen ?

C.O : Je l'ai rencontré sur "Amélie Poulain", et là on était vraiment dans la mélodie, avec un grand orchestre. J'interviens discrètement sur le morceau "A Quai". A la suite du film, il a fait une tournée, avec un concert qui débutait par le piano pour quelque chose de très mélodique, puis après il s'en échappait, il se mettait à la guitare électrique, aux ondes, aux éléments électroniques.

Vous avez donc commencé à travailler pour le cinéma en tant qu'ondiste pour interpréter les partitions ?

C.O : En effet, je suis intervenue dans "Swing" de Tony Gatlif (2002) pour une séquence de rêve, dans "Où va la nuit" de Martin Provost (que j'ai enregistré en une après-midi sans avoir vu le film), ou encore avec Claire Denis pour la musique de Stuart Staples (Tindersticks)...

Est-ce que ces compositeurs étaient préparés à composer pour cet instrument ? Vous est-il arrivé d'avoir des partitions pas adaptées ?

C.O : Parfois le compositeur est perdu alors il me demande des conseils. Je fais des propositions. C'est un échange. En fait, les Ondes Martenot sont un clavier, alors que les gens pensent que c'est polyphonique comme un piano. Donc parfois ils écrivent de la polyphonie et ce n'est pas réalisable.

Quel est votre travail concernant vos propres albums ?

C.O : J'ai fait un album en 10 ans ("Solitude nomade" en 2009). J'ai surtout fait de la collaboration, 40 collaborations au total. Tous les albums que j'ai faits sont des collaborations. Ma notoriété s'est faite dans le milieu pop-rock avec Yann Tiersen et avec Radiohead.

Comment avez-vous rencontré Radiohead ?

C.O : C'était une envie du groupe liée à l'amour que Jonny Greenwood portait à l'instrument. Ils cherchaient des ondistes pour certains de leurs arrangements. Au départ, j'ai été amenée à jouer avec eux pour un live « Canal Plus ».

Une autre de vos activités est le ciné-concert, d'où vient cette envie d'illustrer des films muets ?

C.O : Je pense être visuelle. J'ai d'ailleurs partagé 20 ans de ma vie avec un photographe, 5 autres années avec un réalisateur reporter de guerre... même mon père et mes deux frères faisaient de la photo. L'élément visuel a toujours été présent dans ma vie.

Comment définiriez-vous votre musique conçue pour le film TABU de Murnau ?
(Voir notre news sur ce Ciné-concert qui est joué le 20 mai)

C.O : Ma musique est inclassable, elle n'est ni rock, ni classique, ni  musique de monde, mais en même temps tout cela. Il y a ma partition écrite pour l'Onde Martenot, puis il y a toute une partie improvisée, j'aime bien faire ça, qui a commencé avec un piano pour devenir un trio de jazz...

Pour en venir au choix de "Tabu", j'ai cherché six mois dans des médiathèques. Je voulais un film connu mais pas trop. Je voulais sortir des sentiers battus tout en travaillant avec un beau cinéaste, puis un ami m'a conseillé de regarder "Tabu" que j'ai trouvé magnifique.

Quel rôle la musique devait jouer dans TABU ?

C.O : Le premier contact avec le film a été le silence, puisque le film est muet. Mais il y a dans le film l'élément de l'eau qui ruisselle. J'ai donc fait sur la première partie du film un travail de bruiteur avec des petits instruments pour enfant et des tubes harmoniques pour faire le vent et la tempête. J'ai voulu travailler un peu comme à l'opéra, avec le leitmotiv de l'eau, de la féminité...

Le film est aussi très musical et chorégraphique dans le sens où les personnages dansent, en transe, dans une longue scène...

C.O : Ce passage me faisait peur. J'ai fait appel à un joueur de Hang (instrument suisse de percussion mélodique) pour l'aspect rythmique de cette scène.

Cette scène est d'une grande sensualité et la musique que vous avez écrite fonctionne bien. Peut-on dire que l'Onde Martenot est un instrument sensuel ?

C.O : Pour moi, c'est sa première caractéristique, l'instrument est sensoriel, sensuel, il pénètre, il fait vibrer les pores de ton corps. Ce sont comme les vibrations d'ondes sinusoïdales.

Il y a le risque de cantonner les Ondes Martenot au cinéma muet et de considérer l'instrument comme provenant du passé, alors qu'il pourrait très bien illustrer les films d'aujourd'hui. Comment expliquez-vous que les cinéastes soient si peu intéressés ?

C.O : J'essaie de comprendre. Moi aussi je me pose toutes ces questions-là. Je pense que la première raison est une raison purement technique, qui vient de la fabrication des ondes, cette fabrication artisanale compliquée. C'est aussi un problème de visibilité, cela exige un peu de curiosité. Certains chefs d'orchestre avec lesquels je travaille ne connaissent pas. Cela a aussi desservi le répertoire. Moins de compositeurs écrivent pour cet instrument. Pourtant, c'est du patrimoine français. Inconsciemment, je me suis mis à composer pour éviter que le répertoire s'essouffle. Après, je pense que c'est conjoncturel, le milieu musical et cinématographique est un peu formaté, on utilise des synthétiseurs par facilité et par manque d'argent. Quand on peut enregistrer les orchestres, c'est du luxe, alors imaginez pour les Ondes Martenot...

Vous avez tout de même écrit en 2011 la musique du film de Roland Edzard LA FIN DU SILENCE. Pourquoi le réalisateur voulait faire appel à une ondiste ?

C.O : Il faudrait lui poser la question, mais il a écouté mon album "Solitude nomade", et c'est par lui qu'ils sont venus me chercher. J'ai proposé de le faire en improvisation. On a tenté une première séance qui s'est très très bien passée. J'ai eu le droit de choisir des musiciens pour former le Christine Ott Quartet. Les directeurs artistiques et Roland Edzard m'ont fait confiance. On a quand même enregistré 9 heures de musique, c'est énorme ! Ils ont ensuite au mixage final enlevé la plupart des musiques. Elle est surtout à la fin.

Quels sont les réalisateurs et films que vous appréciez et pour lesquels vous auriez envie travailler ?

C.O : J'aime beaucoup le cinéma d'animation (j'ai par exemple aimé "Le Tableau"). j'aime aussi le cinéma de Yolande Moreau ("Henri", "Quand la mer monte"). C'est une femme incroyable. Et elle aime bien les Ondes Martenot en plus. Je l'ai aussi aimé en actrice dans "Séraphine". S'il y avait eu un cinéaste avec lequel j'aurais aimé travailler, c'est John Cassavettes. J'ai une affiche de lui chez moi.

Hormis ce ciné-concert de TABU le 20 mai, votre autre actualité est la sortie à venir de votre deuxième album, "Shooting Stars"...

C.O : Quand mon premier album est sorti, on me disait que je faisais un "album d'Ondes Martenot". Ce besoin absolu de ranger les gens dans des cases et de les tuer s'ils n'y sont pas, ça m'énerve ! Alors pour ce nouvel album j'ai fait des mélanges. Je joue aussi du piano, même si  je ne suis pas une pianiste virtuose, mais je le joue différemment.

Propos recueillis à Paris le 29 janvier 2014 par Benoit Basirico

 

 


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