Cinezik : Quel parcours de musicien aviez-vous avant de faire de la musique pour le cinéma ?
Marc Chouarain : J'ai une formation classique. J'ai commencé le piano à l'âge de six ans, puis j'ai pratiqué un deuxième instrument, le saxophone, à l'âge de neuf ans. J'ai appris le solfège parce qu'il fallait en faire en même temps que le piano. J'ai été diplômé assez rapidement. J'ai eu la chance d'avoir de bons professeurs. Mon professeur de piano était une élève de Marguerite Long, concertiste de Ravel, donc c'était la vieille école. A 11 ans, j'ai eu un prix, j'ai gagné un concours Radio France et j'ai fait ma première télévision où j'interprétais du Ravel. J'ai étudié le solfège et l'harmonie avec Jacqueline Lequien du CNSM. Quand j'étais adolescent, je faisais des compositions pour moi mais je n'avais aucune idée de ce que je pouvais en faire, je faisais ça pour le plaisir, et je ne pensais même pas à la musique de film. Je faisais des chansons, de la pop, c'était l'époque de la new wave (Depeche Mode...). Pendant mes études de Sup de Co, j'ai rencontré une chanteuse qui s'est mise à chanter une de mes compositions. Et un jour, je rencontre totalement par hasard une chanteuse qui cherchait un pianiste pour son album. Elle avait signée chez Warner. Elle s'appelle Nathalie Loriot. Elle m'a fait passer une audition et m'a pris. Je me suis retrouvé à faire tous les claviers de son album.
Quelle a été votre première rencontre pour le cinéma ?
M.C : J'ai rencontré le réalisateur Philippe de Chauveron qui m'a fait faire mon premier film. Il m'a demandé un thème pour L'AMOUR AUX TROUSSES (2005), et l'a adoré donc il a voulu que je fasse toute la musique. Ce film n'a pas du tout marché. Depuis Philippe a été fidèle puisqu'on a fait quatre films ensemble : les deux DUCOBU, qui ont mieux marché, et le dernier qui est en train de faire un score hallucinant, QU'EST-CE QU'ON A FAIT AU BON DIEU. C'est une belle histoire. La fidélité paye parce que Philippe est la personne qui m'a donné ma chance.
On dit qu'une musique de comédie est le plus difficile pour un compositeur de musique de film, qu'en pensez-vous ?
M.C : C'est super dur oui. La musique est un vecteur d'émotions, donc pour des drames ou des romances c'est plus aisé. Les comédies, ce sont souvent des dialogues où il n'y a pas de place pour la musique. Tu dois te faire tout petit, mais exister quand même. Tu n'es pas là évidemment pour faire rire, ce doit être quelque chose d'assez fin.
Quel est le rôle de la musique sur QU'EST CE QU'ON A FAIT AU BON DIEU ?
M.C : Il y a un thème principal, qui est un thème émotionnel qui relie les amoureux du quatrième mariage, c'était le plus facile à faire. Ce thème revient plusieurs fois, c'est leur musique à eux. Après il y a plein de musiques de comédies qui sont des musiques circonstancielles qui accompagnent l'action.
Sur le film de Mélanie Laurent, RESPIRE, la musique est d'une autre nature... Comment vous êtes-vous rencontré pour ce projet loin des comédies que vous faisiez ?
M.C : Mélanie connaît très bien mon travail. On ne s'est pas rencontré sur ce film, on s'est rencontré bien avant, musicalement et amicalement. On s'est rencontré par une amie commune, la chanteuse Keren Ann. Elle est venue chanter avec nous un jour. Du coup, quand elle a fait appel à moi pour ce film, elle savait déjà ce que je faisais et ce qu'elle aimait chez moi. Je suis pianiste à la base donc elle m'a demandé des choses à base de piano et à base d'instruments que j'affectionne et que je lui faisais déjà partager depuis un moment. Cette B.O est assez particulière, elle est conçue avec des instruments rares : du hang drum, du cristal baschet, du perséphone, c'est très organique. C'était très important pour ce film que ce soit organique, parce que cette fille a une sensibilité des sons. Le vent, le bruit de la nature et la musique font partie du film. Une nappe peut se faire au synthé, mais aussi avec un instrument plus organique comme le cristal baschet. Il y a de la vie, des imperfections. Cette B.O est un mélange de thématiques et de textures sonores mêlées au bruitage du film. C'est un film dramatique, il y a une tension qui se créé au fur et à mesure, et la musique participe à ça. Le bruiteur Alexis Place, également musicien, a vraiment fait un travail énorme sur les effets du montage. On est à la frontière du son et de la musique. Le seul moment où tu entends un thème construit, c'est au générique de fin. C'est un dénouement, comme si la musique du film était un petit bout du générique de fin. A la fin, tu reconstitues le puzzle, tu as l'ensemble de l'oeuvre.
Etes-vous intervenu une fois le film monté ?
M.C : Je suis intervenu un peu en amont, je suis même venu deux jours sur le tournage pour jouer mon propre rôle. Je suis un musicien dans le film, je joue du hang drum avec Joséphine Japy. Puisque cet instrument a été l'une des composantes, cela fait le lien avec la B.O.
Orchestrez-vous votre partition vous-même ?
M.C : J'ai un orchestrateur, Jules Jaconelli, qui a fait Berkley. Je travaille sur ordinateur où je fais tous les instruments. Puis je lui donne le choix de choisir la nomenclature de l'orchestre et de retranscrire le conducteur. Je trouve bien de pouvoir s'entourer de quelqu'un qui peut apporter des suggestions. J'ai un studio à Paris où je fais toutes les pré-prog, avant de finaliser mon boulot dans des gros studios. J'ai fait beaucoup de films à Ferber. La musique de RESPIRE à été faite à Omega.
Comment s'est fait le dialogue avec Mélanie Laurent sur les choix musicaux ? Avait-elle des références en tête ?
M.C : Non, ce n'est pas du tout en référence, c'est en émotion. C'est bien parce que les références limitent. On a travaillé en amont du film, à côté d'un piano, on s'est enregistré au dictaphone, on a commencé à dégager certaines idées. C'était déjà assez précis dès le début. Il n'y avait pas de références mais elle savait déja qu'elle voulait quelque chose d'assez minimaliste, d'assez authentique. Elle m'a demandé de jouer tous les instruments, avec à la fin un peu de cordes. Des altistes sont venus jouer. Puis on a composé le générique de fin en sachant que certaines parties correspondaient déjà à certaines scènes et certaines émotions. C'est toujours très discret, c'est le talent de Mélanie. Elle est vraiment très lucide sur le dosage. Par exemple, dans une scène que j'adore au début, le personnage principal met ses pieds dans l'eau, il y a des petites notes de piano, c'est très lointain, c'est très fin. Là-dessus, elle est extrêmement lucide et c'est très chouette de travailler comme ça.
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