Rencontre avec Michel Legrand : la rançon de la gloire

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- Publié le 17-10-2014




Nous avons pu rencontrer Michel Legrand, l’illustre compositeur de Jacques Demy, à l’occasion de l’hommage que lui a rendu le Festival Lumière de Lyon le 14 octobre 2014. Avec le peu de temps qui nous était imparti, nous avons exclus l’aspect historique de son oeuvre pour nous focaliser sur l’actualité (à commencer par son nouveau film LA RANÇON DE LA GLOIRE de Xavier Beauvois - en salles le 7 janvier 2015) et sur ses méthodes de travail. 

 

 Voir la page dédiée au Festival Lumière 2014 (avec 3 vidéos de la rencontre publique).

 Sa biographie sur Cinezik


10 minutes avec Michel Legrand :

 

Concernant LA RANÇON DE LA GLOIRE, son réalisateur Xavier Beauvois n'a pas la réputation de collaborer avec un compositeur. Comment l'avez-vous convaincu pour ce film ?

Michel Legrand : C'est formidable ! C'est la première fois de ma vie qu'un metteur en scène me veut à ce point. Au mois de novembre dernier, il m'appelle pour me demander de faire la musique de son film. Je lui répond que je n'ai pas le temps. Il me demande alors combien de temps il peut attendre. Je lui dis : "3 mois, je ne pourrai pas me mettre au travail avant le 1er mars". C'est la première fois qu'un réalisateur de cinéma attend son compositeur pendant trois mois. Trois mois plus tard, je lui propose, pour faire connaissance, d'installer chez moi, dans ma maison de campagne, une salle de montage. Je lui ai ainsi proposé de vivre chez moi avec sa monteuse. Il est donc venu chez moi. En voyant les images, j'ai eu plein d'idées. Je faisais la musique devant lui, au piano. Parfois il la sentait, parfois pas. On a ainsi fait un chemin ensemble pendant 15 jours au terme desquels j'avais tout écrit. Ensuite, il me fallait être seul pour faire l'orchestration qui m'a pris 15 jours de plus. Fin avril, je suis allé enregistrer la partition. Il est venu à l'enregistrement et il a été bouleversé.

Qu'est-ce qui vous a inspiré pour ce film ?

M.L : Tout ! Les personnages, les idées du metteur en scène, ce qu'il me disait, car il a été très présent, d'autant que c'est la première fois qu'il faisait cela. Vous allez voir le film, et découvrir la place de la musique, vous allez beaucoup vous amuser. Depuis, Xavier et moi on s'adore. A tel point qu'on a un grand projet pour son prochain film. Ce sera un film musical !

Pensez-vous qu'un des rôles du compositeur de cinéma est d'être pédagogue, de faire comprendre au cinéaste la nécessité de la musique... comme avec Jean-Paul Rappeneau qui ne voulait pas de musique au départ sur "La Vie de château" et s'est laissé convaincre suite à vos discussions...

M.L : C'est beaucoup dire, mais c'est un peu vrai... je lui avais même demandé de rallonger une scène du film pour y loger la musique.

Préférez-vous intervenir avant le montage, ou après, une fois le film terminé ?

M.L : Tout le temps ! J'aime intervenir tout le temps, comme dans les conversations, j'adore être présent, participer... Ce qui est bien dans le cinéma, c'est de participer à l'oeuvre.

On se souvient des thèmes mémorables que vous avez écrits. On a l'impression que cet aspect mélodique se raréfie aujourd'hui. Quelle en est d'après vous la raison ?

M.L : Il n'y a pas de musiciens aujourd'hui. La musique est une chose difficile, il faut une exigence folle, une culture incroyable. Aujourd'hui, il n'y a pas de musique dans la musique qu'on entend.

Vous pensez donc que la rareté des thèmes aujourd'hui est la responsabilité des compositeurs, non pas celle des réalisateurs qui n'en veulent pas ?

M.L : Absence de thèmes ou pas, où est la musique ? Je ne suis plus ému par une partition comme avec Joseph Kosma et "Les Enfants du paradis" (Ndlr : il chantonne). La musique de John Williams dans "Always" de Spielberg est bien faite, celle de Ennio Morricone dans "Mission" est incroyable ! Ça c'est de la musique !

Quelle est pour vous la plus grosse contrainte dans le travail de composition pour le cinéma ?

M.L : On apprend beaucoup au cinéma. Je veux raconter une chose en musique en 3 minutes et demi, mais je n'ai que 27 secondes. Alors je dois savoir dire en 27 secondes ce que je voulais dire en 3 minutes et demi. C'est pareil avec la langue française, si vous avez droit à 9 mots pour m'expliquer ce que vous voulez me dire. Et maintenant, quand j'écris des musiques symphoniques, pas pour le cinéma, pour le concert, je me dis "mon thème va faire 39 secondes"...

Vous vous imposez la contrainte...

M.L : Oui, c'est formidable ! Les gens ne savent pas, mais la liberté créatrice n'existe que dans la contrainte. Quand on est complètement libre, qu'on refuse les règles, en revendiquant sa liberté, ça donne la musique contemporaine de Boulez, et c'est rien ! Cette musique a disparu. On s'est aperçu que dans cette musique, il n'y a pas de musique.

Que pensez-vous des réalisateurs comme Jean-Luc Godard qui manipulent votre musique ?

M.L : Lui, il est formidable ! Pour "Vivre sa vie", il me demandait un thème et 11 variations. J'écris cela et j'enregistre. Jean-Luc était là en studio. Il me dit : "c'est exactement ce que je voulais". Un mois plus tard, il a pris la variation 7, il a pris 8 mesures, qu'il a mis 11 fois. Et c'est formidable !

Vous acceptez cela sans regret ?

M.L : Mais bien-sûr ! C'est une super idée de sa part !

Vous est-il arrivé d'avoir totale carte blanche et que votre musique soit restée intacte ?

M.L : Oui, bien-sûr, la plupart du temps, sauf chez Godard.

Vous venez du jazz, comme Henry Mancini, lequel vous a permis de faire vos premiers pas à Hollywood...

M.L : Oui, c'est grâce à lui que j'ai fait "L'Affaire Thomas Crown", car c'est lui qui était demandé par le réalisateur Norman Jewison. Mais il a dit : "il y a un jeune connard qui vient de Paris, prend-le, tu verras".

Pensez-vous qu'une bonne musique de film ne peut être qu'une musique pouvant s'écouter seule ?

M.L : Oui, c'est même une nécessité ! Elle doit être suffisamment belle et bonne pour pouvoir être jouée seule en concert. Sinon ce n'est pas une bonne musique de film.

Vous orchestrez vous-même, mais vous est-il arrivé à Hollywood qu'on vous impose un orchestrateur comme cela est habituel ?

M.L : Non. Ils ont essayé, mais je refuse toujours. Car je trouve que l'orchestration fait partie de la composition. Parfois en orchestrant, je change la musique. Ravel ne s'est jamais fait orchestré par d'autres. Stravinski non plus.

Aujourd'hui, beaucoup de compositeurs se plaignent d'avoir des musiques temporaires, des musiques de référence, sur lesquelles se baser. Des réalisateurs vous ont-ils proposé cela ?

M.L : Non, jamais ! Si c'est le cas, je demande à les enlever sinon je quitte le projet. Je ne modifierais pas d'un iota, ni d'un "toyota". (rires)

Interview réalisée à Lyon le 14 octobre 2014 par Benoit Basirico

 


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