Interview B.O : Warren Ellis (MUSTANG), composer avec intégrité

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PROPOS RECUEILLIS EN MAI 2015 PAR BENOIT BASIRICO • TRADUCTION : LORRAINE REINSBERGER - Publié le 26-05-2015

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Warren Ellis, violoniste de Nick Cave, signe la musique originale du premier film de la réalisatrice turque Deniz Gamze Ergüven. A cette occasion, le musicien australien revient sur sa collaboration avec Nick Cave, avec John Hillcoat et sur cette première BO en solo qui lui vaut le César 2016 [Cannes 2015 - Quinzaine des réalisateurs] 

Interview Warren Ellis

 

Cinezik : Sur MUSTANG, à quelle étape êtes-vous intervenu ? Durant son écriture ou une fois le film terminé ?

Warren Ellis : Ils avaient déjà fait un premier montage. J'ai rencontré par hasard le mari de Deniz au mariage d'un ami commun, nous avions échangé nos coordonnées et il m'a écrit en m'expliquant que sa femme était en train de finir un film et en me demandant si je souhaitais le voir. J'ai donc bien sûr accepté et je suis allé voir le film que Deniz avait déjà monté avec des morceaux que Nick Cave et moi avions fait. Les cinq premières minutes m'ont coupé le souffle. Quand elles sont sur la plage en train de courir, cela m'a fait penser à un film que j'adore, "Picnic at Hanging Rock" de Peter Weir. Il y avait quelque chose de cet ordre là, sur la puissance de cet âge chez les jeunes filles, leurs cheveux, la lumière, c'était très bien capté. J'ai donc été très impressionné par ces cinq premières minutes et j'ai été heureux que cela continue ensuite. Ce film est un vrai chef d'œuvre.

Mais au départ, je lui ai dit que je ne pouvais pas le faire car il y avait des choses très orchestrales dans ce qu'elle me faisait écouter et cela requiert beaucoup de temps et d'argent pour les réaliser donc c'était compliqué et je partais en tournée. Nick non plus ne pouvait pas le faire car il était occupé par son livre donc je lui ai dit que nous n'étions pas disponibles. J'ai ensuite changé d'avis deux jours plus tard.

Qu'est-ce qui vous inspire le plus dans un film ? Les images, les personnages... ?

W.E : Il y a un peu des deux je dois dire car avant tout, nous devons servir l'image. Le but n'est pas de faire une super musique qui ne fonctionne pas. C'est une collaboration, c'est différent d'une chanson. Dans une chanson, les paroles et la musique s'entremêlent pour créer une vraie relation entre elles et c'est là-dessus que je travaille dans ce domaine. Mais avec la musique de films, on doit s'attacher aux images et il y a d'autres personnes comme le réalisateur qui vous disent ce qui leur convient ou pas. Cela diffère vraiment de mon environnement habituel, au sein de groupes de musique pour lesquels j'ai joué et avec qui, dans ce cas là, on faisait de la musique pour nous.

Pour moi généralement c'est important de lire le scénario, c'est ce qui me décide à travailler sur un film ou non. Pour MUSTANG cependant, j'ai vu le film sans avoir lu le scénario. Souvent, on intervient tout au début, avant même que le film ne soit fait. Donc je pense à ce que ça va être. Avec Nick Cave, on discute des éléments dans lesquels on peut puiser des idées mais ça reste très ouvert. Je ne regarde jamais le film pour suivre les images, ce n'est jamais rigide comme ça. J'essaie de créer des morceaux et de voir où ceux-là pourraient fonctionner. Souvent, ce sont les hasards qui marchent le mieux. D'ailleurs beaucoup de musiques de films ont été faites comme ça. Nous avons fait un essai avec "Lawless", le dernier film de John Hillcoat, en essayant de créer une musique plus calculée et mesurée pour suivre l'action mais la plupart du temps, nous ne travaillons pas de cette manière. Par exemple, on ne fonctionne pas du tout comme ça dans The Road. C'est peut-être un tout petit peu calculé mais c'est quand même principalement les coïncidences qui font que ça marche. C'est pourquoi d'ailleurs, la plupart du temps, après que le film soit terminé, on peut diffuser une bande originale qui s'écoute seule car les morceaux sont complets et ne représentent pas seulement des idées de cinq minutes pour combler un trou.

"Mustang" est un film assez violent, par son sujet, alors que votre musique est douce. Il y a donc un vrai contraste. Etait-ce votre intention ?

W.E : C'est beaucoup plus intéressant de cette manière et il n'y a rien de pire dans un film que de souligner les évidences comme par exemple quand pendant une scène triste, une mélodie de violons se fait entendre. Je préfère quand ce sont les actions ou les interactions entre les personnages qui provoquent ce type d'émotions et quand la musique vient ajouter autre chose. Pour "Mustang", dès le début je voulais quelque chose d'assez simple avec peu d'instruments. J'aime beaucoup la flûte dedans, surtout pour les parties avec la plus petite des filles car il y a quelque chose de très triste dans leur situation mais il y a aussi quelque chose de très digne et elles sont très résilientes, surtout elle, mais sont progressivement tirées vers le bas à cause de leur environnement. On voit alors la lumière s'éteindre en elles et la lueur qu'on voyait au début n'est plus là. Ce film est très intéressant car il soulève de vraies problématiques de manière fantastique : la façon dont elle se confronte aux problèmes est très bien exposée et l'histoire se suit bien. J'ai vraiment ressenti que la musique devait être là pour ajouter un peu d'air à tout cela. Il y a un moment du film dont je suis très content, c'est celui où elles s'échappent en voiture et il y a cette énergie un peu stressante mais amenée de manière subtile. Cela était un peu une ode à John Carpenter entre autres comme dans "Escape From New York" par exemple où il y a une superbe bande originale. Je voulais vraiment faire ressentir cette énergie tout en tension, donc j'ai principalement utilisé des claviers et des flûtes ainsi qu'un synthétiseur qui ajoute des battements. On peut assez facilement extraire l'âme d'un film et c'est pareil en musique. C'est ce que l'on ne joue pas qui compte parfois le plus et je pense que plus je fais de la musique plus je réalise que c'est bien de s'arrêter de jouer et de prendre du recul. Ca a été très intéressant pour moi car j'ai joué tous les instruments moi-même et cela m'apporte beaucoup.

Quelle est votre méthode ? Vous jouez et ensuite vous écrivez ou vous écrivez avant de jouer ?

W.E : Je n'écris jamais, je pose quelques idées bien-sûr mais surtout je joue, je m'assois souvent dans le studio pendant 10 ou 12h à ne faire que jouer. Nous avons d'ailleurs fait cela pour les derniers enregistrements de Grinderman ou des Bad Seeds pour lesquels nous ne faisions que jouer, jouer, jouer. Ensuite on revoit tout et on choisit des choses particulières. Pour cette bande originale, j'ai réussi à sélectionner les choses plus en amont, à bien cibler les bases pour ensuite la construire.

En général, les compositeurs de musique de film sont des caméléons mais vous, le réalisateur vous choisit pour votre style. Que pensez-vous de cela ?

W.E : Je pense qu'il faut que ce soit comme ça car, dans mon cas, si on n'aime pas mon style alors je n'ai aucun intérêt à travailler sur un projet. C'est pareil pour Nick. Il faut aimer ce que l'on fait car ce n'est pas une approche classique de la composition de bande originale et certaines personnes veulent voir une musique temporaire et veulent savoir ce qu'il va se passer alors que pour nous, il s'agit de trouver cela au moment où on le fait.
C'est comme pour le Rock'n'Roll. Tout réside dans le fait de découvrir des choses dans le studio. Il y a des films qui se font en cinq jours et "Mustang" est un peu comme ça. Cela nous a pris 10-12 jours pour les cordes, la composition nous a pris 4 jours. Pour "Jesse James", on a mis 12 jours dans le studio. C'est comme cela qu'on fait un album de rock d'ailleurs. On se met dans le studio et on y va. Certaines personnes y passent 9 mois vous savez. Moi je n'ai jamais fait ça, je n'ai jamais eu l'argent de le faire et je ne comprends pas ce que font les gens pendant tout ce temps. J'ai adoré travailler avec Deniz car elle avait une bonne communication, elle savait comment exprimer les choses qu'elle n'aimait pas et comment les isoler du reste. Au lieu de me dire que tel morceau ne fonctionnait pas, elle me disait qu'elle n'aimait pas tel ou tel aspect, qu'il fallait épurer un peu et c'était très bien. J'aime beaucoup que l'on me donne des instructions car comme ça je sais quoi viser. J'apprécie vraiment cela et ça accélère le processus. Ensuite j'aime bien m'asseoir, jouer, jouer, jouer et ensuite envoyer ce que j'ai fait avant de recevoir des retours. J'aime vraiment cette approche.

Vous faites preuve d'une énergie particulière, vous ne parlez pas beaucoup de votre musique de films mais vous êtes dans l'énergie des images.

W.E : Oui en effet. Je n'en parle pas beaucoup. Bien sûr qu'il faut comprendre les idées du réalisateur qui sont souvent différentes des siennes mais de mon expérience, les choses qui ont le mieux marché sont les choses qui sont arrivé par hasard. La proposition finale n'était qu'une succession de coïncidences, les unes après les autres vous voyez. Et dans un groupe, on fait ce que l'on veut et on emmerde le reste du monde. C'était assez intimidant de voir le réalisateur venir et dire qu'il n'aimait pas telle ou telle chose mais au final, c'est très libérateur car on se demande ce que l'on peut alors faire et on est forcés d'aller plus loin et de travailler sur quelque chose de nouveau. C'était donc très libérateur et je ne m'attendais pas à cela. Ca a changé mon approche de la musique. On a formé Grinderman à l'issue de cette expérience et ça a changé notre manière de faire. Nick et moi avions commencé à travailler ensemble sur les Bad Seeds et je n'avais pas anticipé cela mais je m'étais toujours dit que si une musique fonctionne à l'image, tout le monde se fiche de pourquoi cette musique a été créée à la base.

Considérez-vous votre musique de film comme une musique aussi personnelle que celle dans vos albums ?

W.E : Ce sont deux choses différentes. La musique de film est créée pour les besoins d'un film mais je suis aussi proche de ces compositions que des autres que j'ai pu faire en dehors. Pour moi, comme je ne suis pas parolier, je n'ai pas cet engagement dans une chanson avec les mots, ce qui m'intéresse c'est l'aventure musicale. Je ne différencie pas ce que je fais pour les Bad Seeds, les Dirty three des musiques de films ou de théâtre. Peu importe pourquoi je compose, j'espère juste, à chaque fois, pouvoir explorer de nouveaux horizons. Donc si je viens de travailler sur un film et que je retourne jouer pour les Bad Seeds, je revois un peu mes directions et je tente de nouvelles choses. Pour moi, ce sont les parties d'un tout cohérent. Mais oui j'apprécie vraiment beaucoup la composition de musique de films. Je n'ai jamais fait quelque chose juste parce qu'on me l'avait demandé. Ce n'est pas un « travail ». J'ai eu la chance de faire quelques films sur lesquels j'ai adoré travailler. Quand je les fait, cela me parait donc une aventure très spéciale et ce n'est pas comme ci je devais en faire dix par an pour pouvoir payer le loyer et subvenir aux besoins de ma famille vous savez. Et cela est très représentatif de ma carrière musicale. J'ai vraiment eu la chance de toujours pouvoir faire ce que je voulais faire en terme artistique. Je me suis mise des contraintes personnelles mais ce n'est jamais vraiment venu de quelqu'un d'autre. Je peux dire non à des films que l'on me demande si je n'ai pas le temps ou si je pense que ça ne va pas le faire, si je ne vois pas ce que je peux apporter. C'est donc toujours un vrai plaisir pour moi de travailler sur des projets de films et c'est un processus de découverte à chaque fois car je n'ai pas encore tout compris.

Et quand vous composez avec Nick Cave, comment se passe la collaboration ?

W.E : On est tout à fait sur la même longueur d'ondes à ce propos. J'adore travailler avec Nick car depuis que l'on s'est rencontrés et qu'on a commencé à travailler, on s'est rendu compte que l'on savait tous deux faire des choses différentes et donc qu'ensemble, on pourrait faire des choses bien plus grandes. On aime bien se pousser un peu mutuellement pour se forcer à aller plus loin dans nos idées. Cela a été une relation très créative depuis un bon moment. Le jour où ca ne le sera plus alors il sera temps de voir mais pour le moment, on n'a pas besoin de beaucoup se parler pour se comprendre. On finit les phrases de chacun. Souvent, on n'est pas d'accord et donc, on essaie des choses et on voit que l'on a toujours ce désir de créer de nouvelles choses et que l'on voit toujours le potentiel de ce qui peut être créé. Je ne travaille pas très bien avec tout le monde. Je travaille toujours avec les mêmes personnes par exemple avec Nick depuis 20 ans, "Dirty Three" depuis 25 ans. Je ne m'en éloigne pas vraiment, j'aime vraiment travailler en équipe, j'aime la collaboration avec les autres. Souvent j'ai l'impression que seul je finis par tourner en rond et que j'ai besoin des autres pour me dire d'essayer d'autres choses. C'est pour cela que je joue de la musique, j'aime la mentalité de groupe.

Est-ce qu'il y a un réalisateur avec qui vous souhaiteriez particulièrement travailler ou dont vous appréciez vraiment l'univers ?

W.E : J'aimerais vraiment faire un projet qui soit très stimulant autant visuellement qu'auditivement. Je ne sais pas si cela pourrait être un film d'horreur peut-être ou autre chose mais un projet très particulier sur lequel on pourrait se lâcher. J'aime beaucoup les films de Jonathan Glazer. Je trouve qu'il est très généreux avec la place qu'il laisse à la musique et il semble faire les bons choix en terme de personnes avec qui il travaille. J'aime aussi beaucoup les films de Leos Carax, j'ai trouvé "Holy Motors" fantastique. Mais je ne sais pas vraiment avec qui je pourrais coller pour la composition. Cela doit venir d'eux vous savez, de ce qu'ils veulent. J'aime beaucoup les films de Gaspar Noé et ce qu'il fait avec Thomas Bangalter est merveilleux. C'est intéressant car on voit que les gens travaillent toujours avec une équipe particulière et cela se produit pour une bonne raison, c'est comme dans un groupe, on forme une équipe et on se comprend bien, il y a de la confiance.

La bande originale du film de David Oelhoffen, "Loin des hommes", est sortie en mai. Que pouvez-vous nous dire de cette musique ?

WE : David voulait travailler avec nous car il connaissait les autres choses que nous avions faites et nous avons été très clairs avec lui sur le fait que nous ne pourrions pas faire de la musique algérienne, de la musique locale car ce n'était pas dans nos cordes. Il était tout à fait d'accord pour que l'on fasse autre chose. L'histoire est très universelle, c'est un peu comme dans "The Road", c'est un conte universel et intemporel. J'ai vraiment insisté sur le fait qu'il fallait de la musique électronique dedans. Comme dans le remake de "The Wedge Source", la musique électronique change la tonalité et lui donne ce genre un peu science fiction. J'aimais beaucoup une chanson de Kanye West avec tous ces sons très abrupts et je voulais faire en sorte que cette bande originale soit comme un album de hip-hop ou de rap avec tous ces sons assez extrêmes que l'on placerait ici et là. Il y a une flûte qui saute des octaves et on se demande vraiment ce qui se passe, mais c'était la base de notre composition et ensuite Nick a construit la structure. On a fait des arrangements de cordes aussi. C'était un essai de faire fusionner différentes idées. C'était aussi en lien avec les images, avec un début pas du tout mélodique et une progression en même temps que l'amitié entre les deux personnages évolue, la mélodie évolue aussi. C'était un peu conceptuel et au milieu du film, alors que leur amitié se développe, la musique se compose de différentes choses déjà entendues mais qui s'entremêlent. C'était l'idée de les faire fusionner en même temps que les personnages.

Dans "Mustang", il y a deux titres que vous aviez déjà composés pour d'autres films. Etait-ce votre choix ou celui du réalisateur ?

W.E : C'était le choix de la réalisatrice d'utiliser des morceaux d'autres films comme musique temporaire et il y en a qu'elle n'a pas réussi à changer. Elle n'a pas réussi à les déconnecter des images. C'est aussi en mettant ces morceaux temporaires qu'elle s'est rendu compte de ce qu'elle voulait donc elle était très attachée à ces morceaux. Ils sont tous très différents. Les deux films français que j'ai fait sont beaucoup plus dirigés par les réalisateurs et j'ai d'ailleurs beaucoup apprécié le travail avec David et Deniz. Au début vous expliquez un peu ce que vous voulez mais au bout du compte c'est vraiment leur choix et leur décision. J'ai beaucoup aimé ce processus. Aux Etats-Unis, il y a tellement de gens qui essaient d'imposer leur avis que le réalisateur est la dernière personne à avoir son mot à dire. J'ai donc beaucoup aimé que le réalisateur puisse prendre une vraie décision.


PROPOS RECUEILLIS EN MAI 2015 PAR BENOIT BASIRICO • TRADUCTION : LORRAINE REINSBERGER

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