Cinezik : D'où vous vient votre intérêt pour le cinéma et sa musique ?
Etienne Jaumet : J'ai préparé le BTS de Louis Lumière en option son. On y voyait pas mal de films à cette époque. On avait le cinéma gratuit, je me souviens d'avoir vu l'intégral de Bergman au Saint-André des Arts. La musique de film et de dessins animés m'a toujours assez marqué de façon très inconsciente. Je m'en suis aperçu après. Ce qui m'intéresse, c'est la musique qu'on entend, pas celle qui est juste sous-jacente qui n'est en générale pas très intéressante.
Qu'est-ce qui d'après-vous peut intéresser un réalisateur dans le fait de faire appel au groupe Zombie Zombie ?
E.J : Il y a beaucoup de personnalité qui se dégage de nos morceaux, du fait qu'on n'a jamais trop opérés dans la musique de film (ce n'est que notre deuxième film). On vient du concert, de la musique instrumentale, donc on a l'habitude de nourrir nos morceaux avec beaucoup de sons et d'ambiances. Si on ne vient pas nous voir pour notre style, on risque d'être surpris. Je n'ai pas non plus envie de faire beaucoup de concession, je ne me sens pas vraiment capable de faire de la musique sur commande, je ne me sens pas capable de faire n'importe quel morceau. Je pense ainsi que Sébastien Marnier pour IRRÉPROCHABLE ne voulait pas rentrer dans ce piège-là. Quand il a fait appel à nous, il savait que notre bande-son allait marquer son film. Il avait quand même une idée assez précise de ce qu'il voulait, en nous demandant des choses assez dépouillées, assez minimalistes, et il était très présent avec nous. Des scènes appelaient tout de même une certaine musique, comme les musiques d'illustration quand les personnages sont dans un restaurant. Il fallait à ces endroits une musique un peu banale.
Il s'agit d'un Soundtrack 100 % original !
E.J : Oui, c'est une volonté qui n'était pas facile pour nous, mais ça valait le coup. Cela donne beaucoup de personnalité que ce soit la même personne qui fasse toutes les scènes, même celles où la musique doit être illustrative. La musique colle à l'ambiance, mais elle est un peu trop bizarre pour être honnête. J'aime bien ça.
Peut-on parler de thèmes qui reviennent ?
E.J : On a essayé de le faire. On l'a un peu fait sur les moments où le personnage de Marina Fois court, notamment le morceau qu'on appelle « Running », mais on n'a pas voulu aller trop dans ce sens là non plus, car ceci aurait pu trop dévoiler ce qui allait arriver. Cela s'est transformé en plein de thèmes différents qui sont là pour prendre un peu les gens par surprise et ne pas être dans quelque chose de ronronnant.
Vous avez travaillé à quel stade du processus ?
E.J : On a pu coller aux images car on avait le film déjà monté. C'est vraiment un plus, car on avait déjà une ambiance générale et une durée. On s'est adaptés au rythme des scènes, des gens qui courent, des gens qui dansent, au rythme du montage. Ça aide beaucoup !
Votre partition était donc balisée par un montage définitif ?
E.J : En quelque sorte, mais le réalisateur a tout de même jeté quelques morceaux que nous avions composés. On n'en a d'ailleurs mis un dans la BO. Je l'adorais et ça me crevait le cœur qu'il ne soit pas dans le film. Mais il ne collait pas aux images. Sortir la BO (chez Versatile Records le 6 Juillet 2016) était donc une occasion de le placer. J'adore les contraintes mais j'ai beaucoup de mal à ce qu'on puisse rejeter ce que je dis et ce que j'ai envie de faire.
Aviez-vous aussi parmi les contraintes celle du temps ?
E.J : On avait très peu de temps pour réaliser la musique de ce film, un mois, pour la composition, l'enregistrement et le mixage. Mais de manière générale, on va très vite. Les contraintes nous stimulent plus que de nous freiner.
Aujourd'hui, revendiquez-vous la musique de IRRÉPROCHABLE comme une véritable musique de Zombie Zombie ?
E.J : Biensûr, mais il y a des morceaux dans le film qui sont loin de ce que l'on a l'habitude de faire, notamment les morceaux (« Tuning » ) qui se passent dans la voiture où le personnage a trouvé un éclairage rigolo. On a fait un morceau un peu passe-partout, un peu « house ». C'est là-dessus que l'on a eu le plus de propositions qui ne convenaient pas. Le morceau à l'arrivée ne ressemble pas du tout à ce que l'on aurait pu faire spontanément.
Le film sait entretenir un mystère sur la nature du personnage de Marina Foïs... on ne s'attend pas à ce qui va advenir malgré la musique inquiétante...
E.J : La difficulté était de dévoiler et de suggérer, sans vendre la mèche. C'est assez difficile car on connaît l'histoire et le film. Les ambiances sont assez lourdes, il fallait donner une profondeur à cette actrice qui sous des apparences irréprochables déconne. Il fallait qu'on reste proche d'elle, car c'est quelque part quelqu'un qui nous ressemble un petit peu, qui est en recherche amoureuse, en recherche de boulot. Il fallait apporter une dose d'étrangeté sans trop dévoiler ce qui devait se passer. Le scénario est suffisamment surprenant pour cela. Il fallait trouver le juste milieu. On a essayé de considérer la musique comme un personnage supplémentaire, une musique un peu froide dans une ambiance de province un peu tranquille. C'était marrant de jouer avec ces contrastes.
Comment se passe le travail d'écriture entre vous 3 au sein du groupe ?
E.J : Chacun compose un peu, c'est l'idée du groupe. On est dans une vision démocratique dans le sens où tout le monde donne son avis sur les morceaux, quelque soit les compétences de chacun. Chacun arrive avec ses idées. Je ne suis pas là pour imposer une vision. J'ai des projets solos pour ça. Je pense que si le réalisateur a demandé Zombie Zombie, c'est parce qu'il voulait que ça ressemble à nous trois.
Pourquoi ce nom de groupe très cinématographique ?
E.J : Le nom Zombie Zombie est une manière d'attirer les gens vers nous et correspondait bien à ce qu'on aimait à cette époque : les musiques de films d'horreur, on tripait là-dessus. Maintenant, c'est un peu notre étiquette, il faut vivre avec. Ce n'est pas un problème, je ne le renie pas, mais nous limiter à ça serait une erreur.
Vous avez contribué par la suite à assumer cette étiquette avec l'EP « ZOMBIE ZOMBIE PLAYS JOHN CARPENTER » (2010) qui reprenait les plus grands thèmes du maître du fantastique...
E.J : Un festival de film à Glasgow, le Glasgow Film Festival, nous a dit que dans notre musique il y avait un côté Carpenter et nous a invité pour que nous fassions des reprises. On a accepté. Mais l'idée nous semblait un petit peu casse-gueule car c'est un maître ! On n'aurait pas été à la hauteur, tout le monde nous aurait massacré. C'était quelqu'un que nous estimions beaucoup. Les gens ont très bien réagi. Du coup, la maison de disques Versatile Records nous a proposé de l'enregistrer. C'est peut-être la chose qui a le plus marché, ce qui ne veut pas dire que soit une fin en soi pour nous. On peut toujours trouver des touches de John Carpenter ou des Goblin dans notre musique, cela fait partie de notre inconscient musical, ça ressort quoi qui se passe, mais l'idée n'est pas que ce soit trop visible ou le montrer aux gens, c'est juste que ça fait partie de notre façon de faire la musique, dans cette association au film d'horreur.
Quelle est votre méthode de composition ?
E.J : On a une façon très spontanée de faire de la musique. On ne passe pas par des idées mélodiques ou d'ambiance que l'on retranscrirait ensuite. On n'est pas fort là dedans. Je préfère faire des choses d'un premier jet, instinctivement. En général ça colle. Je suis imprégné du projet. Donc certains morceaux ont été joués, composés et enregistrés exactement au même moment.
Quelle évolution dans votre musique imaginez-vous ?
E.J : Je pense qu'à l'avenir notre musique pourrait devenir acoustique. Je pense que j'en serai capable (je l'ai d'ailleurs déjà fait). Mais je ne ressens pas pour autant l'appel des « violonnades », c'est trop utilisé dans les musiques de films, comme si les artistes recherchaient toujours une respectabilité en utilisant des orchestres symphoniques, comme si certains instruments étaient des instruments inférieurs dans l'imagerie, c'est absurde.
Etant saxophoniste, quelle place a le jazz dans votre activité ?
E.J : Le jazz est lié à la pratique du saxophone, car c'est un instrument qui a été beaucoup utilisé dans le jazz. Mais il y a surtout du jazz dans ma façon d'appréhender la musique, dans la manière d'utiliser un thème et de le développer mélodiquement et harmoniquement, dans la façon d'improviser et d'arranger les morceaux sur le moment. C'est mon côté jazz. Mais je ne pense pas que ce soit ce que je maîtrise le mieux. Le jazz est quand même une musique très technique, et je ne suis pas très technique. Disons que j'utilise une technique différente, plus liée à une recherche personnelle de composition, liée à une inventivité spontanée et instinctive. C'est une technique par rapport à moi-même, pas une technique par rapport à un savoir-faire ou à une maîtrise d'un instrument, je n'ai ni l'un ni l'autre.
Dans la musique de film, vous sentez-vous capable de vous mettre véritablement au service du film (ce qui semble être le cas sur IRRÉPROCHABLE) ou votre musique doit exister pleinement par elle-même ?
E.J : Je n'aime pas que la musique domine les images, ni que les images dominent la musique. Ce n'est pas ce que je veux faire. Je suis en train de réaliser (en solo) la musique de deux court-métrages d'animation (« Diamanteurs » de Chloé Mazlo, et « La Nuit des sacs plastiques » de Gabriel Harel), avec une image très forte, donc il va falloir que je me mette au niveau, et en même temps ne pas manger la force des images.
Après deux long métrages avec Zombie Zombie, avec ces films d'animation vous comptez donc poursuivre dans la musique de film de votre côté ?
E.J : Je n'ai jamais pensé faire de la musique de film un jour. Si on m'avait dit que j'en ferai, je n'y aurais pas cru. J'en ai toujours eu envie biensûr, mais ce n'est pas quelque chose que j'ai recherché. A chaque fois, pour les deux musiques de films qu'on a fait, on est venu nous voir spontanément. C'est formidable, je souhaite que ça continue comme ça ! Surtout que les gens viennent à nous sans a-priori. Le premier film que l'on a fait (LOUBIA HAMRA de Narimane Mari) est un film franco-algérien qui se passe pendant la guerre d'Algérie, à Alger, avec des enfants. C'est vraiment loin de notre univers, pourtant cette musique a marqué les gens, et cela n'a pas gêné la réalisatrice que l'on soit catalogués « musique de film d'horreur ». Ce qui compte, ce n'est pas ce que l'on a déjà fait, ou ce que l'on veut faire, c'est comment les gens projettent leur créativité dans la nôtre.
Un futur album du groupe en gestation ?
E.J : On a fait récemment pas mal de morceaux qui ne sont jamais sortis. On les joue sur scène, notamment pour des ciné-concerts, comme pour le Musée du Louvre (en 2014) et le Festival Côté court de Pantin (en juin 2016) avec les courts métrages documentaires de Jean Painlevé, des morceaux qu'on adore ! On a fait aussi des morceaux pour les artistes d'art contemporain, comme Xavier Veilhan, pourquoi ne pas le sortir aussi. La dernière musique qu'on a faite était la musique d'un spectacle de cirque avec des jongleurs. On tourne avec ça aussi en ce moment. J'aime bien cette idée que ce ne sont pas nous qui décidions des projets, on est toujours dans la surprise, on n'est pas à se demander ce qu'il faut pour un prochain album... C'est un défi à chaque fois !
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