Interview réalisée à Paris le 29 août 2016 par Benoit Basirico
- Publié le 31-08-2016Cinezik : Vous êtes à la fois réalisateur et compositeur, mais au départ c'est la musique qui faisait partie de votre vie... l'est-elle autant aujourd'hui ?
Bertrand Bonello : Mon activité de musicien est liée à ce que je fais au cinéma. Je suis aujourd'hui quand même beaucoup plus cinéaste que musicien, même si au début je n'étais qu'un spectateur très lambda, je regardais des films sans grande connaissance ni grande passion. J'ai commencé à me passionner pour le cinéma au moment où s'est faite la bascule.
A quel moment vous êtes-vous intéressé au rapport entre la musique et le cinéma ?
B.B : C'est au fur et à mesure des films que j'ai commencé à m'interroger sur le rapport entre l'un et l'autre. J'ai même fait des petits films un peu expérimentaux qui parlent des liens entre une image et un son, entre une musique et un son. Maintenant, depuis 7/8 ans, c'est quelque chose que j'ai davantage intégré.
Quelle place la musique tient-elle dans la fabrication de vos films et pourquoi n'envisagez-vous pas de proposer à un autre compositeur de la faire ?
B.B : La musique fait partie de l'écriture. Comme j'ai la chance de pouvoir en faire, je l'intègre dès l'écriture du scénario. C'est très utile pour moi de la faire, car je commence à imaginer des textures pendant que j'écris une scène. Je commence à enregistrer dés le début. C'est un dialogue avec moi-même qui participe au fondement du film. J'essaie de penser le rapport entre la musique et la séquence bien avant le tournage, avec déjà le choix des musiques existantes et l'enregistrement du « score ». Ce sont pour moi des éléments narratifs qui se préparent autant qu'un dialogue.
Si on collabore avec quelqu'un d'autre, souvent on attend un peu plus tard. Et je n'ai pas eu envie jusque-là de partitions très très orchestrées. Pour l'instant, je peux le faire moi-même. Ca arrivera peut-être un jour que j'aille vers quelqu'un d'autre, pour un dialogue.
Quelle était l'intention musicale pour NOCTURAMA ?
B.B : Mon projet de base était de ressentir la tension dans le monde d'aujourd'hui avec un film lui aussi tendu tirant vers le film de genre ou le film d'action, avec un script et un montage pensés comme une partition musicale.
Le silence tient une grande place dans le film...
B.B : C'est mon film le plus silencieux dans le sens où il fonctionne très peu par dialogues. Il y a beaucoup de hors-champs là-dessus, beaucoup de trajets, de gens en action. J'ai pensé la musique en deux parties, une première partie avec le « score », et une deuxième partie avec une plus grande utilisation des disques, parce que les personnages en mettent. On est dans un grand magasin qui se transforme en jukebox. Utiliser la musique à l'intérieur des séquences, cela fait partie du projet initial.
Vous accordez justement une grande importance aux musiques IN entendues par les personnages... dans quel objectif ?
B.B : Je les utilise comme un rapport émotionnel du personnage à la musique. Le spectateur et le personnage sont au même niveau émotionnel. Je ne me verrais pas du tout utiliser une chanson et qu'il n'y ait que le spectateur qui en profite.
Faites-vous entendre les musiques aux acteurs dans la préparation ?
B.B : Dès que je rencontre les comédiens, je leur fais toujours des CD, des fichiers ou des liens pour qu'ils puissent se mettre en tête les musiques du film, qu'elles soient existantes ou originales, et que cela les mette dans l'atmosphère.
Le choix des musiques existantes est-il déterminé par les personnages ?
B.B : Si je me serais mis à la place d'adolescents, je n'aurais pas choisi ces musiques, et ce sont celles-ci que j'avais envie de choisir. C'était un vrai choix personnel, qui correspond à ce que j'ai envie de raconter au moment où ce morceau arrive. Ce sont des choix qui peuvent paraître étranges venant des personnages, mais quand j'ai rencontré les acteurs, je leur ai demandé ce qu'ils écoutaient (c'est toujours une question que je pose), je m'attendais à des choses plus modernes, mais en fait pas tant que ça.
La musique met souvent dans vos films les personnages dans un état de transe ou de méditation...
B.B : Pour la scène du film que j'ai la moins dirigée, dans la première partie, lors d'un des flashbacks j'avais envie de réunir tous les personnages qui sont plutôt isolés dans cette partie du film. Je ne voulais pas les réunir par un discours ou par un dialogue mais dans un moment avec une musique, sous la forme d'une transe. C'est le dernier moment où ils sont ensemble avant d'entreprendre leur action. Je leur ai dit que je voulais juste mettre une musique, avec 2/3 prises maximum, en les laissant libre d'habiter cette musique, danser ou juste l'écouter. Cela répond à DE LA GUERRE (2008), c'est le même genre de séquence.
La musique dans vos films est un véritable personnage... Est-ce le souci d'éviter le pléonasme ?
B.B : En faisant les deux, la musique et le film, cela aide à ce que la musique soit narrative et non illustrative. Quand on sait ce qu'une scène va apporter, on sait ce qu'on n'a pas envie de montrer dans une scène que la musique peut apporter, et vice versa. J'aime quand la musique amène un contrepoint, qu'elle ne va pas toujours dans le même sens que la scène. La musique peut raconter quelque chose, comme celle d'«Amicalement vôtre » (John Barry) à la fin du film, elle amène un contrepoint lié à l'enfance alors que le film devient très tendu et tragique.
La musique est-elle aussi une question de mise en scène ?
B.B : Tout a fait, la musique et de manière plus générale le son... Sur NOCTURAMA, il y a un rapport aux sons qui fait partie de la mise en scène, avec ce qu'on entend et ce qu'on ne voit pas, puis ce que l'on voit et n'entend plus... J'essaie quand je peux d'écrire ces éléments très très en amont, de ne pas attendre le montage son.
Dans NOCTURAMA, la musique originale est bien identifiée, ce qui était moins évident dans SAINT-LAURENT (2014).
B.B : Il peut y avoir dans NOCTURAMA un aspect documentaire, et dès que j'ajoute la musique, cela ramène à la fiction. J'aimais bien le passage de l'un à l'autre. Pour SAINT-LAURENT, j'étais parti sur l'idée de mélanger la soul des années 68-72 et l'opéra. Cette musique me ramenait à Yves. Et puis je sentais qu'il manquait une musique pour le personnage de Louis Garrel. C'est moi qui l'ai composée, mais elle s'apparente à des disques et ne ressemble pas à un « score » véritable.
Dans votre manière d'écrire de la musique électronique, avez-vous des références ?
B.B : J'aime bien Plastic Man par exemple (aka Richie Hawtin), notamment sur l'idée de pouvoir faire de l'électronique sans faire de l'électro, une musique assez particulière, un instant arythmique pour redevenir rythmique, avec une façon d'être dans l'électro sans faire de la danse, en ayant des pulsations qui ne soient pas du rythme.
Pourquoi le choix de « My Way » dans sa version interprétée par Shirley Bassey ? Constituez-vous une liste de titres que vous désirez placer un jour dans vos films ?
B.B : J'avais envie d'une descente d'escalier, et cette version a un côté Las Vegas que j'aime beaucoup. Je n'ai pas de tiroirs, c'est à chaque fois en fonction d'un besoin sur la scène à écrire, en fonction de ce que je sens du personnage. A chaque film ça ce réinvente.
Pour votre album « Accidents » (2014), l'avez-vous conçu comme une BO ou plus librement ?
B.B : Je l'ai un peu pensé comme mes films. J'ai toujours des images de fiction quand je fais les musiques, parfois ça va sur des films, parfois pas. Mais j'ai l'impression qu'il y a toujours un truc de cinéma.
Serait-ce envisageable pour vous de composer pour un autre réalisateur ?
B.B : Ce serait possible, mais la chose la plus difficile est le dialogue, d'arriver à comprendre ce qu'un metteur en scène veut. Et souvent je trouve qu'ils s'y prennent trop tard, ils attendent souvent le montage, donc si ça arrive ce serait bien que ce soit avec un dialogue en amont. Aussi souvent ils disent qu'ils veulent un truc « comme ça », alors j'ai envie de leur répondre « prends ça ». Il faut juste trouver le bon dialogue. Mais il faut remettre les choses à leur place, je ne me considère pas comme un compositeur de film, je me considère comme un compositeur de MES films. Je ne serais pas capable de faire ce que fait quelqu'un comme Alexandre Desplat. Cela reste dans mon écriture filmique.
Quand j'écris une musique je vois déjà ma mise en scène, ce qui est assez facile pour moi, mais je n'arriverais probablement pas à imaginer celle d'un autre.
Vous produisez-vous en concert ?
B.B : Non non, j'ai un système très basique avec un ordinateur et des choses que j'enregistre... ce n'est pas quelque chose de très intéressant en Live...
Dans tous vos films, il y a des acteurs qui dansent...
B.B : J'aime bien les scènes de danse, c'est une des choses les plus difficiles à faire, surtout pour l'acteur. C'est extrêmement impudique, cela raconte beaucoup de choses sur les personnages, cela peut être exutoire. Ce n'est pas aussi simple que de mettre de la musique et de dire « vas-y »... Il faut aussi que ça arrive à un moment où ça exprime quelque chose sur le personnage, sur son trajet... Je trouve que c'est bouleversant comme don de soi de la part d'un acteur, beaucoup plus qu'une fausse scène de sexe plus codifiée.
Réaliser une comédie musicale vous intéresserait-il ?
B.B : J'y ai déjà pensé, mais une comédie musicale en 2016, il faudrait se poser la question de la chorégraphie... J'aime bien quand la comédie musicale va au bout de son idée, à savoir musique et danse, pas uniquement un personnage qui se met à chanter dans une scène, mais pourquoi pas...
Interview réalisée à Paris le 29 août 2016 par Benoit Basirico