Interview Demusmaker et Martin Caraux / DIVINES : le sacré, la romance et l’énergie guerrière

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Interview réalisée à Paris en août 2016 par Benoit Basirico - Publié le 04-09-2016




Blaise Delafosse, aka Demusmaker, s’est fait connaitre à la télévision sur des séries documentaires ("le dernier roi du pacifique «, « Nus & culottés », « Les Nouveaux Explorateurs », « Les Requins de la Colère »…)  avant de faire son entrée au cinéma avec le premier long métrage de Houda Benyamina DIVINES (Quinzaine des Réalisateurs, 2016). On y entend aussi divers titres existants choisis par Martin Caraux. Rencontre avec le compositeur et le superviseur.

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Interview

Cinezik : Blaise Delafosse (Demusmaker), quel a été votre parcours avant de vous retrouver sur DIVINES ?

Demusmaker : J'ai fait des séries documentaires tel que « Les Nouveaux explorateurs » pour Canal Plus. Avant, j'ai eu un parcours de pianiste, de musique classique et de musique improvisée (jazz). J'ai aussi donné quelques cours. Cela fait maintenant 8 ans que je fais de la musique à l'image. Je me suis complètement spécialisé, je ne fais plus que ça, pas de projets personnels à côté. Cela reviendra probablement mais pour l'instant mon temps est à 100 % sur la musique à l'image.
Cela me plait car j'ai toujours beaucoup aimé le cinéma.

Votre musique a t-elle évolué entre vos projets personnels du début et vos musiques de films ?

D. : Mes musiques pour l'image n'ont rien à voir avec celles que je faisais auparavant, plutôt jazz. Je me suis adapté, au gré des discussions avec les personnes avec lesquelles je travaille. Je m'adapte aux projets et aux idées des réalisateurs. Le fait de travailler sur la série des « Nouveaux explorateurs », une série de voyage, qui passe d'un pays à l'autre à chaque épisode, cela m'a obligé de faire des musiques décalées, de me plonger dans des univers différents. Et je pouvais faire un peu ce que je voulais. Cela m'a ouvert un champs très large de travail.

Comment vous êtes-vous retrouvé sur DIVINES, premier film de Houda Benyamina ?

D. : Martin Caraux que m'a présenté mon agent m'a proposé d'intervenir sur ce projet en postulant à un casting de compositeur. J'ai ainsi rencontré la réalisatrice, on a discuté, on a fait des essais, et j'ai été retenu.

Martin Caraux : Ce qui a joué en ta faveur dans le choix, c'est que vous vous êtes bien entendu avec la réalisatrice, elle avait envie de travailler avec toi, d'aller chercher quelque chose chez toi qui l'intéressait.

D. : Houda est très en lien avec ses émotions, ses instincts, qui lui ont servi de fil conducteur. On n'était pas sur des considérations techniques ou instrumentales, on était plus sur des sensations. Elle parlait beaucoup de la justesse.

M.C : Elle ne parlait pas vraiment de la musique en elle-même, mais sur les sensations à procurer.

A quel moment êtes-vous intervenu pour la musique originale ?

D. : Le film était à une étape où des musiques étaient placées provisoirement au montage (« temp track »). Tout avait changé par rapport à ce que j'avais imaginé au moment du casting et des discussions. Il fallait repartir de zéro, sur des endroits précis du film qui étaient déjà sélectionnés. Mon souci était de trouver une unité dans la musique originale. C'était capital. Il y avait des indications dans le « temp track » que l'on est toujours tenté d'imiter, mais il fallait s'en distancier pour trouver cette unité. Ainsi, je me suis d'abord inspiré du « temp track », puis il m'a fallu un temps d'adaptation pour très rapidement me dire que ça ne convenait pas. Il me fallait retrouver mes repères et mes marques pour pouvoir créer ma propre musique.

M.C : Pour la scène où Rebecca présente le terrain à Dounia et Maimouna, il y avait d'abord une musique funk typique des années 70, un peu Groovy, mais Blaise a fait quelque chose de plus nerveux, avec des guitares saturées et des percussions, quelque chose qui n'a rien à voir. Il y avait une indication de départ mais ce qu'il a fait de différent a fonctionné.

D. : Il a fallu chercher un peu pour pour en arriver là... Au final on a trouvé une unité dans le côté urbain de la musique. La guitare correspond à ce côté urbain, avec un aspect rugueux dans son utilisation.

Et concernant les titres existants qui demeurent dans le film, quel a été le travail de supervision musicale ?

M.C : J'ai rencontré Houda en septembre 2014, on a donc travaillé très en amont sur les recherches musicales, avant même le tournage, avec une sélection de morceaux qui ont pu être utilisés pour le montage. Demeurent dans le film les musiques de club (Chateau Marmont, Azealia Banks, Siboy) et la musique sacrée (Haendel, Mozart). La volonté pour la réalisatrice de mettre de la musique sacrée était importante dés le scénario. C'est pour cela qu'il y a quatre morceaux de musique classique qui prennent beaucoup de place d'autant qu'ils sont utilisés dans leur intégralité dans le film. Il y a aussi Max Richter avec un morceau assez universel, c'était un choix de Houda dés le début. Elle voulait prendre le contre-pied de la musique « de cité ». Moi aussi, c'est pour cela qu'on s'est très bien entendus dès le début. Elle avait envie de s'éloigner de ce que l'on pouvait imaginer sur ce sujet. La musique de Blaise est aussi inattendue avec ses guitares saturées et ses percussions. Ces fausses pistes se retrouvent jusqu'à la manière d'approcher la religion. On pouvait penser qu'elles sont musulmanes, mais le personnage termine le film dans une église. Le dieu de la réalisatrice est universel. Il n'y a d'ailleurs pas de musiques arabes.

Au milieu de ces titres existants, quel rôle joue la musique originale ?

D. : La musique originale est la musique du personnage. L'idée était vraiment de suivre l'héroïne du début à la fin, de trouver en elle une sorte d'intériorité musicale comme prolongement à sa sensibilité et son énergie. La musique accompagne son ascension.

M.C : La musique est un personnage du film, tout le monde la remarque, elle est très présente. Les morceaux prennent le temps de s'installer. La musique n'est pas juste là pour combler un vide.

Peut-on parler de thèmes dans cette musique ?

M.C : Il y a plusieurs thèmes, dont celui de la rencontre avec Djigui, le danseur, que l'on trouve lors de leur rencontre au théâtre, lors de la scène du baiser, et qui revient aussi à leur séparation à la Gare du Nord quand elle apprend que Maimouna est emprisonnée. Ce ne sont pas vraiment des thèmes mais des atmosphères qui collent aux personnages. Le piano est accompagné de textures synthétiques et de silence.

D. : Il y a trois aspects du personnage dans cette musique : il y a la romance (le thème au piano), l'aspect sacré (convoqué dans la musique religieuse mais que l'on a aussi retranscrit dans la musique originale avec un aspect impressionniste et suspendu en mélangeant les textures synthétiques à des harmoniques de violon), et l'aspect guerrier (avec un ensemble de percussions, des guitares électriques amplifiées, et des voix et cris d'une troupe de danseurs contemporains présente sur le tournage qu'on a intégrés à la musique comme un matériau rythmique). A mentionner les personnes que j'ai faites intervenir pour cette partition : Karen Brunon (Violoniste)
, Mathilde Sternat (Violoncelliste), Daniel Glet (Copiste), Alix Ewald  (Ingénieur du son - Recorder musique) et Rodolphe Gervais (Ingénieur du son - mixage musique).

Comment s'est passé le travail au montage ?

D. : J'ai travaillé étroitement avec le monteur pour les emplacements. Il y a des séquences qui sont vraiment le fruit de notre association. On bossait l'un à côté de l'autre, on voyait sous nos yeux des choses apparaître. Le fait d'être aussi proches a aidé à débloquer certaines situations.

Pour le compositeur, quel avantage trouvez-vous à la présence d'un superviseur musical ?

D. : J'arrive sur un film où je ne connais pas la réalisatrice, je découvrais tout le monde, Martin a donc permis de favoriser le lien, et a fait gagner du temps dans le travail.

M.C : Mais vous vous êtes tellement bien entendus que je vous ai laissé ensuite bosser ensemble. J'ai pris un peu de recul. Mon rôle n'est pas de parasiter la collaboration entre un compositeur et un réalisateur, mais plutôt de la faciliter, de faire accélérer les choses, d'absorber les tensions qu'il peut y avoir avec les producteurs. Je suis au milieu de tout ça.

Martin, vous avez enchainé plusieurs premiers films, notamment pour l'année 2016, hormis DIVINES, « Vendeur » (Sylvain Desclous) et « Grave » (Julia Ducournau)...

M.C : En effet, je travaille sur beaucoup de premiers long-métrages. On ne peut pas rêver de mieux comme collaborations. Je pense à « Hippocrate » (Thomas Lilti, 2014) qui a eu un succès totalement inattendu. J'ai aussi travaillé sur « Ni le ciel ni la terre » (2015) de Clément Cogitore, sur « La Vie en grand » (2015) de Mathieu Vadepied... Je suis encore en train de travailler en ce moment sur deux premiers films. La raison est que je travaille avec de jeunes producteurs. J'arrive aussi à fidéliser les réalisateurs, j'ai retravaillé avec Thomas Lilti sur son film suivant, « Médecin de campagne » (2016). Et Houda me parlait hier de son prochain film en me disant qu'elle allait bientôt m'appeler.

 

Interview réalisée à Paris en août 2016 par Benoit Basirico

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