Cinezik : Fabianny Deschamps et Olaf Hund, vous vous retrouvez après "New Territories", ce nouveau film est-il une collaboration de nature différente ?
Fabianny Deschamps : L'idée était d'aller ailleurs. Avec "New Territories" nous étions aux antipodes. Ce film était tourné à Hong Kong tandis que ISOLA est un film qui se passe dans le sud de l'Italie, sur une île imaginaire que l'on devine assez facilement être Lampedusa. Avec le compositeur on a trouvé un langage commun avec le temps. Olaf n'est pas à proprement parlé un compositeur de musique de film. C'est un "homme orchestre". Il permet de pousser l'expérience de la mise en scène. Pour nous deux, l'endroit du spectacle, que ce soit dans le cinéma ou la musique, doit être une expérience éminemment immersive. Il y a une narration qui trouve sa voie à l'intérieur de quelque chose d'organique.
Olaf Hund : La musique est un média très différent du film. La musique dans un film est comme un acteur invisible, c'est un élément parmi d'autres. Il faut rester à son poste. Le travail était très différent d'un film à l'autre. Sur "New Territories", c'est une histoire de fantômes chinois, là c'est l'histoire d'une réfugiée, une femme seule enceinte qui essaie de s'en sortir. Elle rencontre des hommes, il y en a trois dans le film, chacun est un symbole. Le film est structuré comme un conte d'une certaine manière. Le film se construit sur l'attente, quand on attend d'une frontière à une autre, on attend un bateau, on attend d'arriver en Europe... Cette situation d'attente est retranscrite dans la musique par son côté lent, avec une partition dodécaphonique qui fais entrer des éléments harmoniques tout en douceur. "New Territories" était plus rythmé.
L'aspect réel du sujet est associé à un aspect fantastique...
F.D : Le pari du film était de traiter de la crise migratoire avec un autre écrin, de travailler autour du conte, d'amener cette actualité avec de la distance par le cinéma, par l'artifice de la fiction. Ce qui permet de l'inscrire dans une histoire contemporaine plus globale, de l'élargir à quelque chose de plus mythologique. Cette jeune femme chinoise attend chaque jour l'arrivée de son mari au travers des visages des réfugiés qu'elle voit arriver au port, comme Pénélope qui attend Ulysse du retour de la guerre. Tout le film essaie de construire un pont vers le spectateur pour permettre de nous toucher.
O.H : Il y a aussi la dimension psychologique dans le film, qu'on aborde rarement sur ces questions. Dans quel état on peut se sentir quand on fait ces trajets. Dans la musique, je suis dans la psyché du personnage principal. Je ne suis pas dans l'illustration de faits extérieurs. La musique a une dimension psychologique. Selon la musique, on a un nouvel éclairage sur la vision du monde de cette femme.
A quel moment le travail musical est intervenu ?
F.D : Pour moi, au moment de l'écriture d'un film, tous les éléments doivent se faire en même temps. Je tourne, en même temps que j'écris, et en même temps que je commence à travailler avec Olaf, alors que le film n'est pas encore totalement tourné. Il y a ce mariage qui est fait très en amont.
O.H : On fonctionne aussi en petite équipe. On a beaucoup d'échanges entre nous, on parle du sujet du film en amont, autour d'une idée globale. Fabianny est pour moi la réincarnation de Chris Marker, dans son approche du documentaire, mélangeant les images réelles et une magie qui est propre à elle.
Olaf, vous venez de la musique électronique avant de signer des musiques pour le cinéma...
O.H : Je viens en effet de la musique électronique, mais sans y appartenir totalement. Au moment de la French Touch, je me revendiquais anti-French-Touch, anti-Clubbing. J'ai toujours fait des propositions musicales qui n'étaient pas orientées vers ce que l'électronique traitait principalement. Et avant cela, j'écrivais des partitions depuis l'âge de 12 ans. Donc je ne suis pas un pur produit électronique. Mon travail de composition est plus mis en valeur à travers les musiques de films que dans mes albums.
Comment vous est venue l'idée d'utiliser des voix dans la partition ?
O.H : J'entendais des voix... (rires) Cela avait à voir avec le chant des sirènes.... J'avais très envie de ces choeurs ajoutés au violon et à une orgue cosmique.
Fabianny, dans quelle mesure vous contribuez à une direction musicale pour votre film ?
F.D : Diriger la musique, ce serait exagéré car je n'ai pas le langage de composition. J'ai accompagné Olaf pendant toutes les étapes. La musique est faite sur mesure. Je retourne même parfois au montage si la musique gagne sur la construction du film. J'essaie d'accompagner Olaf de mon regard bienveillant et critique, en utilisant un champ lexical qui n'est pas celui des musiciens. Il s'agit d'une traduction, d'inventer un langage.
O.H : C'est aussi le travail du compositeur d'accompagner un réalisateur à trouver un champ lexical qui nous permette d'échanger sur la base des sensations. Ce n'est pas intéressant de parler des instruments de musique, ce qui est intéressant c'est quelle émotion on veut faire ressortir.
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