Interview B.O : Guy Farley, THE BROKEN

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Propos recueillis et traduits par Sylvain Rivaud - Nov 2008 / Fev 2009. - Publié le 24-02-2009




THE BROKEN, le deuxième film du jeune cinéaste anglais Sean Ellis, est sorti en novembre dernier. Guy Farley a pris le temps de nous répondre, généreusement, et aujourd'hui, THE BROKEN a quitté le peu de salles françaises qui en avaient une copie, mais le film sort en grandes pompes au Royaume-Uni et la première musique de la collaboration Sean Ellis / Guy Farley vient d'être édité en CD : CASHBACK (2007) chez Silva Screen. L'occasion de revenir sur une collaboration naissante mais prometteuse.

Parlons d'abord de votre actualité, le second long-métrage de Sean Ellis : THE BROKEN. La musique a une place importante dans le film, et ce dès les premières secondes. Le volume est très fort : pourquoi ?

Tout simplement parce que le réalisateur le voulait fort ! Dans le mixage final d'un film, quand tous les éléments sonores sont mélangés à l'image, le réalisateur a encore le contrôle de la manière dont il veut les choses. Sean a toujours voulu que la musique « conduise » le public. J'ai assisté à une projection de THE BROKEN à l'Empire Leicester Square, et j'ai également été choqué par le volume de la musique, mais aussi très heureux parce que souvent la musique est sous-mixée (parfois à juste titre !) et cela a donc été une surprise d'entendre ma musique retentir à ce point à travers les enceintes Surround 7.1 de ce cinéma !

Votre musique s'inspire beaucoup des codes du film d'horreur. Comment l'avez-vous construite ?

C'est intéressant, ce que vous pensez. En fait, je n'avais pas d'autres films à l'esprit, ni de musiques de films d'horreur. Sauf peut-être le score de Goldsmith pour ALIEN, que j'ai écouté pour son énergie viscérale pure. Le style d'ALIEN n'était cependant pas le bon pour THE BROKEN, ce sont deux films tout à fait différents. Nous avons aussi écouté le score de RAN de Toru Takemitsu, une œuvre dramatique exceptionnelle que Sean a toujours aimé et à laquelle il fait souvent référence. Sean voulait que je crée un son particulier, en utilisant l'orchestre et l'électronique. C'était son point de départ. Il voulait que la musique sonne différemment. Il ne m'a donné aucun film de référence pendant le tournage. J'ai assisté à quelques projections des rushes pour me faire une idée de l'aspect du film, et ressentir quelle impression me laissait les images très visuelles de Sean.

Avant de commencer ce score j'ai écouté beaucoup d'œuvres de compositeurs modernes, les compositeurs d'avant-garde du 20ème siècle tels que Ligeti, Varèse, Penderecki, Boulez, Xenakis, Pärt. J'ai trouvé tellement de choses dans cette musique, la dissonance, la forme, les atmosphères, les couleurs d'orchestre, etc. Ce fut vraiment ma source d'inspiration pour cette partition.

Vous intéressiez-vous à la musique contemporaine, à l'écriture atonale avant d'écrire THE BROKEN ?

Non, je n'avais jamais écrit de musique atonale avant. Je la connaissais mais ce n'était généralement pas le genre de musique que j'écoutais de moi-même, cela ne m'intéressait pas vraiment. En fait, j'ai commencé à trouver l'ensemble de cette musique d'une grande beauté, c'est quelque chose que j'ai appris à apprécier par le biais de mon passage par ce développement musical. Oui, mon appétit pour la musique contemporaine est plus grand que jamais. J'ai lu toutes les partitions que j'ai pu trouver et j'ai adoré les regarder, les étudier, puis écouter les enregistrements pour comprendre les effets, comment sonnaient les idées de ces compositeurs.

Quelles ont été les intentions musicales de Sean Ellis pour ce film ?

Comme je l'ai mentionné, Sean voulait un « son » pour ce score. Il n'a pas su me dire quoi, mais il savait instinctivement lorsque la musique marchait à l'image. Il a fallu environ six semaines avant de trouver le son qu'il aimait. Après avoir écrit la scène d'ouverture environ huit fois, je suis tombé sur une idée qui finalement ouvre le film. C'est le son de 26 violons qui jouent leur plus haute note audible, pas écrite, pas même aigüe, mais jouée le plus discrètement que possible, pianissimo. Le son grossit et une section des cordes fait descendre la note aiguë puis revient au point de départ. Après avoir enregistré cela en 5.1, je l'ai mixé en stéréo, je l'ai mis dans mon échantillonneur et j'ai commencé à lire le son deux octaves plus bas, empilé sur trois notes choisies. Le résultat sonore était extraordinaire car, même si c'était un échantillon, le son d'origine était acoustique : un son qui avait en lui (avec mon aide) l'ambiance de la salle et tous les bruits de l'enregistrement, et qui est devenu lent, très lent, et plus grave. Ce fut le point de départ de la partition.

Le film comporte une scène de meurtre dans une douche qui ressemble à un bel hommage à PSYCHOSE d'Hitchcock : comment avez-vous construit cette scène musicalement ?

Vous avez raison, mais je ne sais pas si c'était l'intention de Sean. Lorsque nous nous sommes penchés sur cette scène, je lui ai demandé ce qu'il voulait pour la musique et je me souviens qu'il a répondu : « Pense simplement à PSYCHO sous l'effet de drogues » ! C'est tout ce que je peux dire !

Je suppose que mon morceau pour cette scène (sans référence directe à Herrmann), a été écrit instinctivement d'après les souvenirs qui me restent de la fameuse scène d'Hitchcock. Une telle scène a été très amusante à mettre en musique, et plus encore entendre l'orchestre jouer ce que j'avais écrit.

La dernière scène du film est illustrée d'une envolée de cordes somptueuses, qui tranche avec l'aspect oppressant du reste du score : pourquoi ce choix ?

Si vous parlez de la scène où Gina trouve le corps d'elle-même dans son appartement, alors voici mes commentaires : Sean a toujours considéré cette scène comme le moment de l'acceptation de Gina de ce qu'elle était, la fin de son combat. Il y a une résignation, presque un apaisement, et nous la voyons accepter cette évolution à travers la scène. Sean voulait que la musique soit belle, très différente du reste de la partition, presque religieuse, mais avec ce qu'il faut pour qu'elle aille de l'avant dans sa nouvelle vie. Encore une fois, cela s'est fait de la façon dont le réalisateur voulait cette scène, et comment il voulait que soit la musique.

Avez-vous également composé la partie électronique qu'on entend au début du générique de fin ?

La musique du générique de fin est une chanson intitulée "Klettar" par le compositeur Arnar Gudjonsson. Sean a découvert et aimé ce morceau pour son énergie, et je l'ai retravaillé pour le générique de fin. Fait intéressant, j'ai enregistré une version orchestrale de la musique que j'ai mixé aux percussions électroniques et aux effets sonores, mais Sean a préféré la dureté du morceau original qui se trouve dans le film.

Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Sean Ellis ? Comment êtes-vous arrivé sur CASHBACK ?

Je connaissais Lene Bauseger, la productrice, parce que j'avais travaillé avec son partenaire Rick Astley (qui avait composé la musique du court-métrage « Cashback » qui a inspiré le long-métrage). Elle m'a organisé une projection du film quand il était au stade du montage, et je l'ai adoré tout de suite. Je me souviens que j'ai senti avoir trouvé un nouveau réalisateur intéressant qui, de toute évidence, avait des idées et un grand sens de l'image. Ainsi, Sean est venu à mon studio, j'ai joué de la musique, et nous avons parlé du film et de la façon dont nous pourrions travailler ensemble. J'ai reçu un appel téléphonique une heure plus tard me disant qu'il me voulait à bord.

Quel a été votre travail et vos intentions sur CASHBACK ? Qu'est-ce qui vous a inspiré ?

Tout simplement, le film. Je suis assez vieux jeu dans un sens parce que je joue et écrit de la musique sur des scènes comme un pianiste sur un film muet. Je réagis vraiment émotionnellement de cette façon. Ce que je vois et ressens est ce que j'écris, et ce que j'ai l'habitude de jouer au piano. Le reste, je l'entends dans ma tête ou je l'orchestre pour en faire une musique définitive. 
Le score est varié mais dans l'ensemble, le thème principal a été écrit pour piano et cordes, inspiré par l'image. J'ai arrangé "Norma"  de la « Casta Diva » de Bellini pour les scènes au ralenti, et fait ma propre version du célèbre thème de Jupiter des « Planètes » de Holst pour la séquence du match de football où les protagonistes sont en train de perdre 23 à zéro, mais déterminés à l'anglaise pour marquer un but. J'ai aussi arrangé deux musiques de  source en incluant des parties orchestrales qui me semblaient bien marcher dans le film : « Inside » de Bang Gang et « Elle » de Grand Avenue, qu'on entend à la fin du film, mais avec l'ajout de 40 cordes au début de la chanson afin de donner l'impression qu'elle fait partie du score.

Composez-vous après le montage du film ou parfois en amont, à partir du scénario ?

Dans le cas de CASHBACK, je n'avais pas lu le script et le film était fini quand je l'ai vu. Tout ce que j'avais à faire était d'écrire le score. 
Pour THE BROKEN, j'ai eu le temps de lire le scénario et j'ai pu voir les rushes à la fin du tournage. C'est un certain luxe dans le processus d'élaboration du film, car souvent je ne vois pas le film jusqu'à ce que le montage soit terminé, ou bien je suis sur un autre projet et je n'ai pas le temps pour rechercher des idées ni écrire avant d'être engagé sur le film. J'ai passé un mois à préparer THE BROKEN, à écouter, écrire, noter des idées. Il y a eu un retard dans le démarrage de l'écriture de la musique après le montage et, en fait, une fois que j'ai eu le film dans mon studio, je suis allé dans une direction très différente de mon approche initiale, car le film était très différent de ce que j'avais prévu. En fin de compte, je suis retourné à des idées plus abstraites qui faisaient partie de mes idées de recherche d'origine.

Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec votre orchestrateur, Andy Pearce ? Comment vous répartissez-vous les tâches ?

J'écris, j'orchestre et je prépare mes démos pour que le réalisateur les entende d'abord. Cela permet au  réalisateur d'entendre une très bonne version de la musique à l'image. Il peut ainsi faire un certain nombre de commentaires, allant de « c'est parfait » à « as-tu d'autres idées ? » ou peut demander un changement d'ambiance, de couleur, de rythme, un mouvement d'ici à là, mais finalement, il doit valider le morceau avant que je ne l'envoie à Andy. 
Andy récupère ensuite ma démo, un fichier midi contenant toutes les parties de mon écriture et, dans certains cas (souvent quand je ne peux pas le composer sur l'ordinateur), je vais écrire la musique à la main sur un manuscrit, le scanner et lui envoyer par courrier électronique afin qu'il travaille dessus. Andy met tout sur papier afin que cela puisse être lu, de sorte que je dispose d'une partition globale pour diriger l'orchestre, partition dont peuvent être extraites les parties des musiciens. 
Son travail après cette préparation peut être l'écriture d'un morceau dont j'aurais seulement esquissé le squelette avec des notes, puis l'orchestration, ou l'ajout d'idées orchestrales que je peux essayer lors des sessions d'enregistrement, mais surtout il est dans une excellente position pour avoir le temps (parfois pas beaucoup !) de se pencher sur ce que j'ai fait et voir si cela peut être amélioré. Souvent il s'agit d'une écoute de ma démo en regardant la partition sur le papier. Vous pouvez voir bien plus encore sur le papier. Je souhaiterais autant que possible travailler sur papier parce que vous pensez différemment et écrivez différemment sur le papier, mais nous vivons à l'ère de l'informatique et c'est aussi incroyable à quel la technologie moderne peut vous rendre créatif.

Quelle est votre formation musicale ?

J'ai une formation de musique classique. J'ai étudié le piano pendant douze ans et j'ai été formé à la musique chorale et à l'orgue. J'ai étudié la direction d'orchestre à Morley pendant deux ans.

Ces derniers mois, le label suédois MovieScore Media a édité plusieurs de vos musiques pour le cinéma britannique (LAND OF THE BLIND, THE CHRISTMAS MIRACLE OF JONATHAN TOOMEY et THE FLOCK), films jusqu'ici inédits en France. Pouvez-vous nous parler de votre relation avec ce label ?

Je suis entré en contact avec MovieScore Media lorsque mon agent britannique a envoyé quelques unes de mes musiques au label pour écoute. Les commentaires de Mikael Carlsson, le directeur de MovieScore Media, ont été très positifs et il a voulu éditer certains de mes scores. C'est un vrai passionné, très enthousiaste, et j'admire le travail de son label pour ce qui est de l'édition de musiques de films qui, autrement, n'auraient jamais été édités. Il choisit ce qu'il veut, du moment qu'il y trouve de la qualité et de l'intérêt. 
J'ai l'habitude d'envoyer mes musiques à MovieScore Media après avoir masterisé le CD d'après le mixage 5.1 du film. C'est un long processus, mais pour de nombreuses raisons, je souhaite faire un CD décent et agréable à l'écoute lorsque mon travail est terminé sur un projet. Malgré tout, j'apprécie les réactions que je reçois de Mikael, car il est en dehors du processus de production et apporte un point de vue impartial et intelligent. J'apprécie cette relation, c'est enrichissant et positif.

De laquelle de vos musiques êtes-vous le plus fier ? Laquelle vous tient le plus à cœur ?

D'habitude, j'ai besoin d'une bonne pause après avoir terminé un travail, car vous avez été trop immergé dedans et que cela vous affecte inconsciemment. Mes avis changent de temps en temps parce que le processus de création est si intense et chaque voyage plein de nouvelles expériences dans le processus d'écriture. J'ai été fier de mon score de MADRE THERESA, en particulier pour l'intégration des instruments de musique indienne et occidentale à l'orchestre. J'aime bien le score de LAND OF THE BLIND, car il est tellement emphatique et grandiloquent que cela été un énorme plaisir à écrire et à enregistrer. J'aime vraiment quelques morceaux de chacune de mes musiques de film. Ma préférée ? Je ne l'ai pas encore écrite.

Pour laquelle avez-vous éprouvé le plus de difficultés ?

THE BROKEN a été un film difficile à mettre en musique. Nous avons essayé de nombreuses idées avant que la musique ne fonctionne à l'image et aille d'elle-même, mais ça en valait la peine. Je m'en suis rendu compte au bout de quelques mois, quand j'ai vu le film à l'Empire Leicester Square de Londres, et j'ai été très heureux de la façon dont cela fonctionne. Je crois que j'ai travaillé sur ce film pendant trois mois alors que j'étais censé tout écrire en six semaines !

Vous sentez-vous plutôt cinéphile ou plutôt mélomane ?

J'adore le cinéma et la musique. Chacun pour ce qu'il est. J'ai du mal à écouter de la musique en arrière-plan. La musique est pour moi envahissante, je l'écoute à plein volume et sans aucune autre distraction. J'aime être entièrement affecté par de la musique, le son, sa profondeur et par la mélodie. J'ai toujours aimé l'expérience du cinéma. Un grand film est simplement une grande expérience. Nous avons la chance d'être à ce stade de l'Histoire où l'on peut raconter des histoires. Nous avons raconté des histoires pendant des générations, et maintenant on peut ajouter n'importe quelle dimension pour raconter les histoires que nous voulons. Quel sentiment de bonheur que celui de quitter une salle de cinéma après un très bon film !

Quels sont les cinéastes à qui vous répondriez immédiatement « oui » s'ils vous appelaient ?

Evidemment je réponds à tout réalisateur qui envisage de travailler avec moi parce qu'une collaboration créative est toujours un voyage passionnant. Mais qui ne voudrait pas d'un appel de Steven Spielberg ?! Je crois bien que de toute façon, ce que j'aime est le canevas dramatique qui m'est offert. Le visuel, l'histoire, l'impact, les acteurs, c'est de tout cela que viennent mes idées. Je suis un simple dramaturge musical et j'adore le processus de création d'une musique de film.

Quels sont vos compositeurs préférés (au cinéma mais pas seulement) ?

Stravinsky, Chostakovitch, Prokofiev, Mozart, Ravel, Rachmaninov, Pärt, Gorecki, Tchaïkovski, Dvorak, Holst, Vaughan Williams, etc... Mais aussi Piazzolla, Gershwin, Jobim, Miles Davis, Herrmann, Legrand, Francis Lai, etc... Parmi les compositeurs de cinéma, John Williams, Jerry Goldsmith et John Barry. Mais j'aime aussi le style et le travail de Henry Mancini et de Lalo Schifrin. Il me serait difficile de n'en choisir qu'un seul. Tous ceux-là et bien d'autres m'ont inspiré et m'ont touché.

Quels sont vos projets ?

L'année dernière, j'ai mis en musique THE FLOCK avec Richard Gere, en collaboration avec Richard pour la version américaine. Puis I KNOW YOU KNOW avec Robert Carlyle (NDLR : film présenté au Festival de Berlin) pour un talentueux jeune réalisateur britannique, Justin Kerrigan (HUMAN TRAFFIC), BOOK OF BLOOD de John Harrison (d'après une nouvelle de Clive Barker) et un thriller anglais, KNIFE EDGE.

Qu'aimeriez-vous faire désormais que vous n'avez pas encore eu l'occasion de faire ?

Je voudrais écrire un PATIENT ANGLAIS, un OUT OF AFRICA ou un MISSION - une grande histoire avec un budget pour aller avec ! J'aimerais avoir plus de temps, le temps d'écrire, d'explorer, et avoir du temps avec n'importe quel orchestre dès que j'en ai besoin !

Propos recueillis et traduits par Sylvain Rivaud - Nov 2008 / Fev 2009.

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