Interview B.O : Loïk Dury, PARIS (2008) & MA PART DU GÂTEAU (2011)

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Propos recueillis à Paris en 2008 et 2011 par Benoit Basirico - Publié le 15-03-2011




Loïk Dury est un compositeur et DJ français, directeur des programmes de Radio Nova de 1987 à 1997, conseiller musical pour de nombreux créateurs de mode (Junko Shimada, Kenzo, Karl Lagerfeld, Paco Rabane), il débute pour le cinéma sur Peut-être de Cédric Klapich qu’il ne quittera plus (L'Auberge espagnole, Ni pour, ni contre, Les Poupées russes, Paris,  Ma part du gâteau... Pour ses musiques de films, il s'associe depuis 2000 à plusieurs musiciens et compositeurs pour créer avec le producteur Monte Cristo la structure "Kraked Unit ».

 

Cinezik : Comment êtes-vous arrivé à devenir compositeur pour le cinéma ?

Loïk Dury : Je n'ai pas de formation de musicien, je n'ai pas fait de solfège, je ne suis pas instrumentiste, je suis arrivé à la musique par les "boucles", avec des samplers. La première fois que Cédric Klapisch m'a proposé de faire de la musique pour un film, c'était de l'ordre de l'anecdote, je le prenais pour un fou, il me faut de vrais musiciens avec moi, parce que quand je suis seul à composer de la musique, j'essaie tout pendant des nuits blanches pour que cela fonctionne, après avoir essayé tout ce qui ne marchait pas. Un musicien va me permettre d'arriver plus rapidement à ce que je veux. Donc je travaille depuis le début, depuis PEUT-ÊTRE, avec Christophe "Disco" Minck, musicien généreux et prolixe. J'ai aussi rencontré des arrangeurs qui m'ont montré que je pouvais avoir l'univers du classique à disposition. Je me suis confronté à plein de situations différentes. Et maintenant, cela fait plusieurs films que je fais avec "Disco" qui a une vraie formation de conservatoire, il a fait de la harpe, il est bassiste dans des groupes africains, il joue de tous les instruments, il peut aussi écrire des arrangements de corde. Moi, j'ai une maîtrise de comment se fabrique la musique, de A à Z, de l'idée à la fin du mixage, comment gérer les musiciens et les amener quelque part. L'important être d'être capable d'inventer et d'avoir une vision. Tout mon rapport avec Klapisch il est là, il veut créer ensemble un espace de liberté.

De quelle nature est votre collaboration avec Cédric Klapisch ?

L.D : On a fait cinq films ensemble et je peux vous dire que Cédric est doué pour m'emmener très loin, pousser mes limites à l'extrême. Dés notre premier film ensemble, PEUT-ÊTRE, il me fallait inventer la musique du futur. De plus, je compose beaucoup avec lui, pour finalement garder trois ou quatre morceaux dans le film. Toutes les musiques composées nous servent à augmenter la compréhension du propos. On développe un état d'esprit à toutes les étapes de création. Cédric s'interroge constamment sur les musiques dans ses films. Dés qu'il commence à choisir l'histoire de son film, il part écouter des musiques. Il se crée un univers en relation avec le sujet.

Quels sont ses goûts musicaux ?

Il est très éclectique. Il a grandit avec un amour du jazz classique comme Duke Ellington. Il a les goûts d'un homme urbain qui a vécu à Paris. Il écoute un peu de tout, du classique au groove. Tout dépend de l'état dans lequel il a envie d'être.

Et les vôtres...

J'ai 45 ans, j'ai grandit avec des musiques de film. Mes chocs d'adolescent sont SHAFT et MACADAM COWBOY, deux pierres angulaires. Mais j'apprécie aujourd'hui Alexandre Desplat avec Jacques Audiard. J'ai aussi grandit avec Quincy Jones, Lalo Schifrin et François de Roubaix qui m'a marqué par son home studio, et son idée de la liberté dans le mélange des genres.

Dans les films de Klapisch, il y a une véritable architecture musicale, un environnement autour des personnages, intervenez-vous à toutes les strates de la bande son ?

Oui, je m'amuse à faire les musiques dans les bars, les discothèques... Par exemple, dans PARIS, Romain Duris apprend à des enfants à danser le pogo, j'ai donc dû composer un morceau punk. Ce n'est qu'un détail qui passe à la radio quelques secondes, mais ce fut un grand travail car je n'ai pas la culture punk. En plus, Cédric a des désirs cachés d'interprète, et je ne rate pas des occasions de le faire participer. Ainsi, sur ce morceau punk, c'est la voix du réalisateur. Je lui ai permis de se lâcher. Il a un plaisir ludique à cela. Mais personne le sait. (rires) Il m'arrive aussi de placer des artistes que j'aime bien, d'aider des musiciens en les diffusant dans les films.

D'ailleurs, votre travail a un caractère collectif, notamment avec votre société "Kraked Unit"...

Je me sens un metteur en scène quand je réalise la musique d'un film, J 'ai une équipe que je constitue en fonction de l'esprit du film, je fais des castings et je m'associe à des musiciens talentueux. Avec Cédric, quand on a travaillé sur PEUT-ÊTRE, on refusait les violons, on refusait l'idée des cordes de grosses productions hollywoodiennes, mais avec le temps on a appris qu'on pouvait les utiliser autrement. Il faut savoir les manipuler. Et s'associer avec des orchestres m'a beaucoup appris là-dessus, rencontrer un arrangeur m'ouvre de nouvelles perspectives.

Il vous est même arrivé de vous retirer d'un projet pour laisser la place à un autre...

C'est normal. En chef d'équipe, je réfléchit à celui qui serait le mieux placé pour la musique du film. Je pourrais même mettre "Kraked unit" sur les disques au lieu de mon nom. Je veux échapper à ce que j'ai pu vivre avec la scène électronique, être tout seul devant son ordi.

Autre exemple de travail collectif : Je devais faire en 17 jours la musique des PARRAINS alors même que j'étais sur LES POUPEES RUSSES. Là un producteur m'appelle pour THE PASSENGER. Je ne pouvais pas faire trois films en même temps quand même. Le soir même le producteur vient dans mon studio, il me montre deux minutes du film. J'ai tellement été impressionné par les images que je l'ai accepté. Donc, j'écoute des morceaux composés par des amis que j'ai dans mon ordinateur, et je tombe sur un morceaux écrit par Dan Levy (du groupe The Do) pour la comédie française. Je cale ce morceau sur les images, et il fonctionnait parfaitement. J'appelle le producteur le lendemain en lui disant que la musique était faite. Il a halluciné. Une fois que la musique était trouvée, j'ai appelé Dan en le mettant en relation avec le réalisateur pour la suite du travail.

Vous aimez travailler dans l'urgence on dirait...

J'ai travaillé six mois sur PARIS pour 17 minutes de musique dans le film, c'est beaucoup de temps pour si peu de musique. Je l'ai fait pour Cédric. Mais je ne peux pas m'investir autant à chaque fois, il faut que je gagne ma vie, que je paie le loyer, et l'urgence permet de ne pas perdre son temps, et ne pas se poser trop de questions.

Avec Cédric Klapisch, êtes-vous parvenu à trouver un langage commun ?

En cinq films, on a résolu tellement d'équations, que désormais tout fonctionne tout seul. Mais on a très peu de discussion en amont, j'ai du mal à faire une musique à l'avance, car me concernant, la musique sort de l'image, c'est un travail intuitif. Le moment que je préfère, c'est tester plusieurs morceaux sur une séquence, et faire correspondre la musique adaptée à une image.

Pour PARIS, de part votre fidélité, il était évident qu'il fasse de nouveau appel à vous ?

Je doute toujours. Je me dit que Klapisch peut aller vers un autre compositeur. Cela permet de me préparer à l'éventualité et de ne pas être déçu. 
Mais pour PARIS, je suis intervenu assez tôt car il fallait trouver des musiques liées aux personnages. Pour la première fois, j'avais une idée dans la tête avant de voir les images. Klapisch voulait dans la musique de PARIS ce qu'il n'y a pas dans le film. Car dans les images, il n'existe pas la violence, la drogue, les exclus de la ville, c'était à moi de faire exister cela dans la musique. Je suis donc allé vers la musique africaine roots des années 70.

Quels ont été ses premiers mots pour MA PART DU GÂTEAU ?

L.D : Il m'a dit, "MA PART DU GÂTEAU, c'est Eisenstein, des cordes dans le style des films égyptiens et du cinéma grec, un peu de Hip Hop, et du blues". Cela me fait un carré d'intentions dans lequel je dois me lancer. Je cherche des pistes, je pars dans tous les sens, puis il m'oriente. Avec Klapisch, c'est une vraie invention à chaque fois, on ne copie personne, alors que les trois quart de ce qu'on me demande habituellement, c'est pour copier un style prédéfini.

Vous concevez aussi les musiques de source, celles des fêtes, comment avez-vous choisi le son des réceptions avec les hommes riches de la planète au coeur de MA PART DU GATEAU ?

L.D : J'ai été DJ pendant longtemps, dans plein de milieux différents, de la Jet Set aux fêtes de Punks, et il n'y a aucun a-priori. Dans la fête de PARIS, il y a un morceau roots congolais des années 70 dans l'esprit de Quincy Jones. Quant à ce milieu de luxe, la musique n'a pas pour eux une importance autre qu'un papier peint sonore, donc il y a quelques convenances, un peu de house, de la musique brésilienne connue parce qu'ils aiment les standards, mais on s'en sert aussi pour mélodramatiser lors d'une rupture dans la scène, mais personne ne le remarque car c'est dans le brouhaha de la fête.

Malgré ce milieu du luxe, il s'agit d'une comédie sociale, une lutte des classes prenant le parti des ouvriers. Comment la musique joue de cela ?

L.D : C'est en effet une comédie, mais ce dont on parle est grave. Avec un thème profond sentant le blues, des cordes entêtantes à la François de Roubaix, en allant le chercher dans le gospel, j'instaure un poids qui montre qu'on ne rigole pas, il y a un peu des tripes sur la table. Ce n'est pas parce que Karin Viard chante le "Roi Soleil", qu'on ne peut pas dire quelque chose de plus profond aussi, même avec une culture différente.

Vous jouez aussi à fond la carte du cliché, notamment dans la scène romantique à Venise ?

L.D : Avec Klapisch, on appelle cela la "puissance cliché", lors de scènes qu'on a vu dans plein de films, et il faut jouer avec. C'est un peu mon côté anglo-saxon, je n'essaie pas de contourner le cliché, donc je n'hésite pas à employer des cordes luxuriantes. 
A la fin du film, j'avais superposé deux grosses montées d'orchestre ensemble, il y avait un côté hollywoodien dans l'ampleur, cela créait une émotion très forte. Mais Klapisch ne voulait pas de cela, il ne voulait que la moitié, j'ai utilisé l'autre partie dans le générique de fin, dans le noir, tout d'un coup il y a une grande montée de violon, on ne sait pas pourquoi, c'est en fait celle qui était destinée à l'autre moment.

Propos recueillis à Paris en 2008 et 2011 par Benoit Basirico

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