Cinezik : Qu'est-ce qui est arrivé en premier dans votre parcours, vos album de chansons ou la musique de film ?
Maïdi Roth : J'ai commencé par l'écriture de chansons après avoir fait le conservatoire pour acquérir une culture classique que j'ai laissé de côté pour mes chansons. Mais la notoriété est arrivée avec le cinéma. Le réalisateur Gérard Krawczyk m'a demandé de tourner en tant que comédienne auprès de Virginie Ledoyen dans un film qui parlait de chanteuses, HEROINES, tout en me demandant d'en écrire la musique. L'album s'est très bien vendu. Plus de gens ont acheté la BO que de personnes qui ont vu le film. J'ai ensuite continué à faire des albums en gardant toujours un lien avec l'image. Pour voir si une chanson est bonne, je l'écoute sur un beau paysage ou une belle image. Si la chanson gâche l'image, elle n'est pas réussie. Pour mon album "Horizon Vertical" (2005), j'ai demandé à dix réalisateurs de "cliper" chacun une chanson. La personne qui fait les pochettes de mes disques est Laurent Luffroy, créateur d'affiches de films (Amélie Poulain, Lost Highway...). Mes chansons doivent évoquer des images.
Comment êtes-vous arrivé sur le film de Pierre Pinaud PARLEZ-MOI DE VOUS ?
M.R : Pierre est un ami. Je l'ai rencontré à un festival où j'étais invitée pour HÉROÏNES, et lui y était pour défendre son court-métrage LES MIETTES. J'avais tout de suite flashé sur l'être humain et ses films. Pour PARLEZ-MOI DE VOUS, il a commencé à travailler avec Gilles Alonzo (le compositeur de son court-métrage), puis en cours de route il m'a demandé d'écrire une chanson. J'ai alors proposé à Gilles de collaborer là-dessus, mais il trouvait cela compliqué. Me concernant, j'aime les collaborations, je serais d'ailleurs ravie de travailler avec Bruno Coulais. Cette capacité et envie de partager la musique vient peut-être de la chanson. En musique de film, j'ai aussi cet esprit. Il m'est arrivé de ne faire que le générique d'un film sans que cela ne me pose de problèmes d'égo. Donc Pierre a commencé par me demander une chanson, qui au final est devenue le thème instrumental des majorettes (lorsque le personnage regarde les majorettes à la télévision). J'ai ensuite composé tout le Score. Pierre a un rapport fort à la chanson. J'ai du coup envisagé mes musiques comme des chansons avec couplets et refrains, avec l'emploi des instruments pop. Il y a aussi un orchestre mais il ne conduit pas la musique, celle-ci est guidée par le piano.
Préférez-vous intervenir dés le scénario ou avez-vous besoin de voir les images ?
M.R : Il ne faut pas attendre l'image. La vraie inspiration est d'être libre d'imaginer l'histoire en lisant le scénario, le champ des possibles est ouvert. Après, lorsque l'image arrive, on juge si les thèmes fonctionnent ou pas. Je fais ensuite un travail à l'image pour accélérer ou ralentir une séquence. J'aime être présente à chaque étape de la création du film. C'est un entonnoir où la musique s'affute au fur et à mesure des étapes.
En quoi la musique est inspirée par le personnage de Karin Viard ?
M.R : Karin Viard incarne un personnage qui a vécu un drame intérieur et qui se bat pour y survivre. Elle va cicatriser ce drame pour pouvoir aimer de nouveau les autres. La musique est comme la petite chanson intérieure de cette femme qui avance. C'est une musique qui ne s'appesantit pas dans une forme noire et larmoyante. L'orchestre permet de jouer l'émotion de cet amour perdu, mais au final la musique avance doucement, l'émotion est latente, avec des petites notes successives. Le déclic a été le tango. Ce style musical est en retenue à l'extérieur et comme un volcan à l'intérieur. Cela correspond au personnage qui retient ses émotions. J'aime quand la musique ne raconte pas l'image. J'ai pu imaginer la musique qui correspondait au parcours de cette femme.
Votre partition assume le côté mélo du film...
M.R : En effet, mais c'est un mélo qui a toujours une ritournelle au piano qui renvoie à l'enfance. Ce n'est pas un mélo au premier degré (même si j'adore en faire), il y a une perspective liée à l'enfance. C'est un mélo nostalgique, dans le mélange entre le piano et des sons plus enfantins.
Comment votre musique s'est immiscée dans des séquences de radio où le personnage de Karin Viard (Mélina) parle aux auditeurs ?
M.R : La radio, c'est le son. On a ici une mise en abime de la musique qui joue sur deux niveaux. Il y a la musique intérieure de Mélina et en même temps cette musique que l'auditrice n'entend pas est la musique d'une intimité dans la solitude du studio. La radio est un cocon. On est dans une double intimité, celle de Mélina et celle de notre position privilégiée avec l'animatrice radio que l'auditrice ne voit pas.
Il s'agit du premier long-métrage de Pierre Pinaud, comment s'est instauré avec lui le dialogue autour de la musique ?
M.R : J'ai senti quelqu'un qui a une grande culture musicale, et en même temps qui était dans un chemin de découverte. J'ai apprécié lui faire partager chaque étape, il est venu à Budapest où l'on a enregistré les cordes, il était là pour les maquettes. Il est perfectionniste mais il a compris que la musique n'était pas figée, qu'elle évolue, qu'elle peut être transformée à chaque étape. Il faut en faire le deuil à chaque fois qu'un changement s'impose, jusqu'au mixage. Ce n'est pas évident pour un homme d'image d'appréhender cet élément en mouvement, et il avait une vision très précise de ce qu'il voulait. On dialoguait devant les images, il me disait oui ou non aux essais que je lui proposais. Petit à petit, il apprend des mots de musique (tempo, pulsation, harmonie) qui rentrent dans son vocabulaire. Aussi, on a essayé d'écouter ensemble pleins de BO pour tester des tas de choses, et comme Pierre adore les chansons, on en a écoutées plein, et la chanteuse Camille nous a à un moment mis sur une voie. On a eu un dialogue autour de chansons. On a fait ce travail ensemble, Pierre n'avait pas de références précises avant cela. On a surtout vu ce qu'il ne fallait pas faire. On a fonctionné par dénuement, en éliminant des choses pour arriver à cette sobriété.
Le film est aussi une comédie, on rit beaucoup, en quoi la musique joue cela ?
M.R : Le film tient sur un fil, passant du rire aux larmes. On a essayé de faire de la musique de comédie, mais on a très vite laissé tomber car la musique surlignait trop. Karin est elle-même drôle, il n'y avait pas la nécessité d'en faire plus. La musique est une ébullition permanente, il faut tout essayer. On a donc tester plein de choses, même les plus improbables. C'est pour cela que je fais ce métier. Le rapport à l'image est imprévisible, on ne peut pas le maitriser à l'avance, il faut essayer sans cesse et être surpris.
Parlez-nous du film suivant, POSSESSIONS de Eric Guirado, en salle en Mars 2012 ?
M.R : C'est une musique cyclique. Le film est un petit mécanisme de destruction comme une horlogerie. Il fallait un instrument singulier qui puisse exprimer une certaine bizarrerie et j'ai choisi la harpe. La partition est proche d'une musique répétitive à la Philip Glass, ce sont des cellules de harpe qui se succèdent.
Chaque réalisateur a son propre univers. Autant Pierre Pinaud était avec moi en permanence, Eric me laissait seule, parfois des semaines sans intervenir. Il est aussi musicien dont il parlait plus le langage musical.
En tant que musicienne et interprète d'albums de chansons, vous considérez-vous compositeur de musique de film à part entière, ou pensez-vous comme Emilie Simon nous le disait que c'est votre propre univers adapté aux films ?
M.R : Ce ne sont pas mes albums sur un film. Et sur le film d'Eric c'est évident, on ne peut pas m'identifier. J'aime me mettre au service d'un univers, tout réinventer. La musique de film est expérimentale. On peut faire plein de choses en musique de film, comme utiliser une flûte traversière pendant trente minutes, ce qui est impossible dans le formatage radio couplet/refrain des albums de chansons. Je pense que si Mozart ou Bach étaient vivants aujourd'hui, ils feraient de la musique de film. C'est le dernier endroit où l'on peut inventer des formes musicales.