Cinezik : Comment êtes-vous intervenu sur GHOSTLAND ?
Georges Boukoff : J'ai été contacté au départ pour être le producteur exécutif des musiques. On se connaît très bien avec Pascal Laugier, depuis 2013. On se fréquente régulièrement comme artistes, moi en tant que concertiste et producteur de spectacles musicaux, et lui comme réalisateur. Mais nous n'avions jamais envisagé de travailler ensemble. Il n'y avait pas de raison qu'il me propose quoi que ce soit puisque je n'avais jamais fait de musique de film. Lorsqu'il me l'a proposé je n'ai pas refusé. Le film était alors totalement terminé, tourné et monté. Je me suis mis à travailler à partir du piano, puisque c'est mon instrument, et sachant que Pascal est pianiste aussi. Notre relation s'est donc structurée autour du piano, ce que l'on retrouve dans le film. Je me souviens même sur certaines mélodies avoir proposé de retirer le piano, mais Pascal a refusé. Pascal insistait pour maintenir le piano solo.
Pourquoi ce choix du piano comme instrument central de la partition ?
G.B : D'abord parce que je suis pianiste donc. Il est en effet rare d'entendre un piano très en avant dans une musique de film. Quand Pascal est venu me voir pour faire la musique du film, on a d'abord travaillé sur des thèmes. Pascal a apprécié ces thèmes au piano qui sont une sorte de fil conducteur, mais cela s'est très vite avéré insuffisant. Ensuite, il m'a demandé des solutions que je n'ai pas pu trouver par moi-même. J'ai donc rencontré Anthony et Édouard qui ont ajouté une orchestration autour de mes thèmes. Il y a ainsi un univers très mélodieux et à côté un langage plus en phase avec le film d'épouvante, dans une recherche sonore de timbres.
Même si il s'agit d'un film d'horreur, la partition est aussi tendre par ce piano...
G.B : Ce n'est pas parce que nous avons affaire à un film d'horreur, que la nuance nous est interdite. Pour des raisons marketing GHOSTLAND est présenté comme un film d'épouvante, un modèle du genre, oui c'est le cas, mais c'est aussi une magnifique histoire d'amour entre deux sœurs qui au début du film ne se supportent pas, et une magnifique histoire d'amour d'une mère qui protège ses deux filles face à l'intrusion de deux psychopathes. Il n'y a pas que l'aspect horrifique. C'est la raison pour laquelle on a trouvé une bonne complémentarité entre nous trois. Il fallait par le contraste souligner l'amour, l'humanité, la beauté, et en même temps la peur...
Pascal Laugier avait-il des intentions précises ?
G.B : Pascal avait une idée musicale qui lui a été suggérée par son épouse qui lui a fait entendre un morceau de Carlos Jobim. De manière complètement incongrue il est ainsi parti d'une couleur bossa que l'on retrouve un peu dans le film. Ensuite cette intention d'origine a été complètement revisitée par Anthony et Édouard avec de la programmation informatique. Car pour un film d'horreur, il ne faut évidemment pas en rester à une ligne mélodique.
Anthony d'Amario : Le film est en effet très contrasté entre des passages très mélancoliques, et des passages très horrifiques. Pascal nous a transmis beaucoup de références. Il est rare de trouver un réalisateur avec une culture aussi grande de la musique de film. Il est incollable. C'est un plaisir, cela peut être à la fois bloquant, mais il sait de quoi il parle, c'est très encourageant !
G.B : Contrairement à mes camarades, me concernant j'ai une culture de bande originale très basique. J'ai quelques auteurs de prédilection comme Morricone ou Nino Rota. J'ai assisté à des discussions d'après-midis entières entre Pascal et Anthony quand ils venaient dans le studio. Ce sont des geeks de musiques de films. C'était des discussions à n'en plus finir. A travers ces discussions la passion pour la musique de film s'exprimait, une passion viscérale. Pascal n'est pas quelqu'un qui parle de musique de manière extérieure, comme la plupart des réalisateurs, il en parle avec passion.
Quelle est votre relation avec le cinéma d'horreur ?
Edouard Rig : On ne vient pas vraiment du cinéma d'horreur. On a une petite culture tout de même, mais quand on a abordé le film on ne s'est pas dit qu'il fallait copier ce qui se faisait dans ce domaine. Même s'il y a beaucoup de codes, de spécificités dans cette musique, on a d'abord essayé de se faire peur à nous-mêmes. Après, il est inévitable de retomber sur des choses entendues dans les grands classiques du cinéma d'horreur...
John Carpenter était une référence par exemple ?
E.R : Un peu car j'ai travaillé avec des synthétiseurs, et aujourd'hui c'est devenu indissociable. J'ai quand même essayé d'aller chercher des textures moins connotées Carpenter. Il faut le remettre dans le contexte de son époque.
A.A : On a aussi essayé de faire de la musique d'horreur avec ce qu'on aimait par ailleurs.
Vous avez aussi contribué au travail sonore ? Le sound design contribue à la peur, à accompagner les surgissements...
A.A : Il y a des passages dans le film où il y a beaucoup de "jump scare". La musique et le sound design s'entremêlent jusqu'à se demander ce qui relève de l'un ou de l'autre. C'est le propre du film d'horreur.
Est-ce que votre travail s'est fait à l'image, notamment en terme de synchronisation ?
E.R : Exactement, c'est le côté un peu montage de la musique. On adore bosser à l'image. On réagit ainsi à un résultat immédiat.
A.A : C'est bien aussi de travailler sur le scénario, d'être détaché des images, pour pouvoir être beaucoup plus mélodieux, c'était l'approche de Georges. Mais nous concernant c'était en effet beaucoup plus lié à l'image pour suivre les intentions du film.
G.B : C'est vrai que me concernant je n'ai pas du tout travaillé à l'image. J'ai fait les thèmes, et Pascal les a pris tels quels.
On peut aussi remarquer dans les crédits musicaux du film un certain monde de collaborations, notamment le canadien Todd Bryanton qui est crédité en tant que le compositeur principal... De quoi s'agit-il ?
G.B : Au titre de producteur exécutif et superviseur musical, j'ai d'abord fait appel à des personnes compétentes. J'ai donc constitué une première équipe (Théo Croix, Elisabeth Marx) qui a été remplacée par une deuxième avec Anthony et Édouard. La première proposition ne convenait pas. On ne parvenait pas à faire le lien entre le mélodique et le textural. Je ne dirais pas que la première équipe a échoué, elle a juste essuyé les plâtres. Pascal est très exigeant, je n'ai pas pu les garder. A un moment, c'est le réalisateur qui valide ou pas. Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises musiques de film, il y a la musique que le réalisateur valide et celle qu'il ne valide pas. On peut faire un chef-d'œuvre musical, si Pascal ne la veut pas dans son film, la musique existe mais elle ne figure pas à l'écran. Il y a donc la musique que nous avons faite avec la première équipe qui ne figure pas à l'écran. Et toutes les musiques qu'ont proposé Édouard et Anthony figurent à l'écran. Je devais aussi répondre aux contraintes de la coproduction (Il s'agit d'une coproduction avec le Canada). Nous avons eu un accord de partenariat avec des compositeurs canadiens, finalement c'est Todd Bryanton qui représentait le Canada dans le cas de cette coproduction. Mais c'est au final encore une fois le réalisateur qui décide. C'est délicat de rentrer dans le détail de cette opération. Il faut comprendre que les accords de coproduction se font avant même le tournage. Donc quand on arrive on les ignore, on fait notre travail, et si au bout du compte le réalisateur valide 90 % de ta musique, c'est lui qui décide, en France en tout cas. C'est donc Pascal qui a décidé que 90 % de la musique était de nous trois.