Interview B.O : Alex Wurman, CRIMINAL & LA MARCHE DE L'EMPEREUR

Entretien réalisé en septembre 2005 par Xavier Ducamp et Benoit Basirico - Publié le 01-09-2005




Alex Wurman est un compositeur qui depuis 1997 débute une carrière surprenante, passant du dramatique pour le film de Georges Clooney, "Confessions d'un homme dangereux" à une partition de jazz/funk pour "Criminal", et enfin à une musique pour un documentaire qui a déjà en France sa musique, "La marche de l'empereur".

Cinezik Comment êtes-vous arrivé sur ce projet alors qu'il existait déjà une musique originale pour ce documentaire? Pour quelles raisons? Avez-vous entendu la musique d'Emilie Simon ? Quel a été votre approche sur ce film, après la musique d'Emilie?

Alex Wurman : Quand le National Geographic et Warner Bros ont acheté le film à Sundance, ils avaient déjà en tête l'idée de changer la musique et la narration. C'était dans le contrat, et la question ne s'est jamais posée de faire autrement.

J'avais un rendez-vous avec Mark Gill (président de Warner Independent Pictures ), et alors que nous parlions, nous commencions à comprendre les sensibilités de chacun. Il avait une lueur dans les yeux quand il parlait de ce projet, et quand il me l'a décrit, mon excitation lui fit comprendre que j'étais la bonne personne pour ce travail, car j'étais très inspiré par l'histoire.

J'ai écouté la musique d'Emilie Simon quand j'ai visionné la version originale du film. C'était une bonne musique et sa voix était très jolie. Mon approche après avoir écouté sa version était inspirée par le même côté romantique, mais de façon moins moderne.

Pourquoi ce choix instrumental, principalement la flûte et le piano? Comment votre travail s'est-il organisé? Vous avez composé avec les images?

J'ai utilisé des pianos, des flûtes, des instruments à vent et des instruments a cordes, plutôt que de me limiter simplement aux pianos et flûtes.

Le piano est l'instrument que je connais le mieux, car j'en ai joué toute ma vie. J'ai utilisé des flûtes, car leur son me faisait penser au vent de l'Antarctique. Je me suis aussi basé sur le travail fait sur un film appelé “Peter and the wolf”, dans lequel les instruments à vent étaient utilisés comme un symbole des voix de nos amis du sud.

Certains compositeurs regardent le film tout en écrivant la musique, mais ce que j'essaye de faire pour ma part, est de laisser la musique envahir mon âme. Je m'éloigne ensuite de ce que j'ai fait, et ce qui vit dans mon imagination a bien plus d'impact et est bien plus facile à accepter que le simple fait de coller réellement au film lui-même.

Le fait de composer une musique correspondant parfaitement à l'image est la façon la plus facile de composer une musique. J'essaye donc de le faire de la façon la plus romantique possible en la laissant envahir mon espace et mon coeur. Je travail ensuite avec ça, loin du film et j'y reviens ensuite pour trouver le moyen de les faire fonctionner ensemble.

Quand vous prenez une idée qui a été créée avec toutes les bonnes raisons et la mettez dans un film, alors tous ces magnifiques petits accidents arrivent et la magie opère.

Quelles sont vos influences quand vous composez, aussi bien les traditionnels (Debussy) que des musiques populaires ?

Mes compositeurs favoris sont tous français. Gabriel Fauré, Ravel, Debussy sont mes trois préférés.

Comment s'est passée votre rencontre avec George Clooney?

J'ai été présenté à Clooney par le monteur de son film, Stephen Mirrione. Mon expérience avec George Clooney a été très agréable. Il est respectueux, créatif et intelligent.

Concernant la musique de Criminal, quelle est la raison d'une telle évidence dans cette partition de Jazz/Funk ?

L'évidence du jazz dans la BO provient du fait que j'ai grandi à Chicago et ai passé beaucoup de temps dans le ghetto à jouer du Jazz et du Blues.

Que reste-t-il aujourd'hui de vos débuts avec l'aide de Hans Zimmer ? Qu'est-ce que cela vous a apporté ?

Ce que je sais, c'est que j'ai fait beaucoup de progrès au cours des années, et je sais que si quelqu'un m'avait dit que ça allait être aussi dure d'arriver là où j'en suis maintenant, je ne l'aurais pas fait. Pas parce que c'est impossible, mais parce que je l'aurai pensé comme tel.

J'ai appris beaucoup sur comment mettre des personnages en valeur, comment les comprendre et comment la musique peut ne pas se suffire à elle même, comment faire en sorte qu'elle ne soit pas trop intellectuelle, mais qu'elle ait du coeur à chaque instant.

Avez-vous envie et vous sentez-vous capable à l'avenir de composer comme Zimmer des musiques orchestrales pour des films de Hollywood ?

Ca ne rentre jamais en compte quand je cherche à travailler sur un projet. Ce qui m'importe, c'est que je sois encore capable de me regarder dans la glace, que je n'ai rien fait d'irresponsable et que je sois capable de faire un travail de qualité quel que soit le budget.

Que je sois payé 1 million de dollars ou 10.000$, je me poserai les mêmes questions.

Dans le cas d'un long métrage, on demande souvent au compositeur de tirer de grandes lignes musicales afin

de donner une certaine atmosphère générale, ce qui semble différent pour un documentaire ou un court-métrage pour lequel chaque image semble avoir besoin d'une musique pour l'accompagner, et spécialement pour les documents animaliers. Qu'est ce qui est le plus dur à vos yeux, composer pour un long métrage ou pour un documentaire ?

Ils ont tous deux leurs challenges et leurs récompenses. Je ne trouve aucun projet plus difficile qu'un autre, car étant un perfectionniste, j'essaye de faire du mieux possible pour chaque projet, et c'est là qu'est la grande difficulté.

Ce qui rend un projet difficile, n'est pas le fait que ce soit un documentaire ou un long métrage, mais de savoir si le message du film est évident.

La compositrice française, Emilie Simon, a eu une approche assez conceptuelle de la musique pour ce documentaire en mélangeant des effets de voix et des sonorités électro-acoustiques.

Pourquoi ne pas avoir essayé vous aussi une expérimentation musicale ?

Je ne voulais pas me mettre dans la voie du film. Il m'a été dit par un autre journaliste dans son article que mon choix de flûtes n'était pas original. Mais si le fait d'utiliser des flûtes n'est pas original, et si il est si mauvais de ne pas être original, pourquoi avons nous encore envie d'écouter les magnifiques oeuvres de Gabriel Faure, Ravel ou encore Debussy ? Le choix a été fait parce que l'instrument s'y prêtait et je crois que la combinaison des idées était originale en elle-même.

Mais, quand bien même c'est original ou ça ne l'est pas, le plus important est que la musique laisse transparaître l'émotion.

Je ne base pas mes choix cherchant à tous prix l'originalité, je fais des choix ayant en eux quelque chose dans lesquels je peux me retrouver, et que je peux apprécier.

Je ne voulais pas que ma musique vienne entraver la marche des pingouins, qu'elle prenne le pas sur l'histoire.

Les pingouins non plus ne sont pas d'une grande originalité. Ils sont ici depuis très longtemps.

Je suppose que d'autres compositeurs ont été pressentis pour travailler sur ce projet. Qu'est-ce qui, pour vous, ont été les éléments déterminant qui vous ont permis d'être choisi ?

Humilité et amour. Sans oublier le savoir faire. L'humilité est importante, car le réalisateur veut qu'un compositeur s'investisse dans le film et pas de façon introspective.

Un grand nombre de compositeurs réputés ont oeuvré sur des documentaires, comme Lee Holdridge, Alan Williams, John Scott, Sam Cardon, Basil Poledouris...Bill Conti.... Avez-vous déjà écouté quelques unes de leurs oeuvres pour les documentaires ? Et si oui, lesquelles vous auraient inspiré ?

Non, je n'ai pas écouté leurs musiques, mais je pense que Lee Holdridge est un compositeur formidable, et j'ai suivi la carrière de Bill Conti en grandissant.

Pour ce qui est d'autres compositeurs, j'aime la musique écrite pour « Eternal sunshine of the spotless mind », j'aime beaucoup Jon Brion. A chaque fois que l'on me demande qu'elle sont mes deux musiques de films préférées, je répond : “the Mission” d'Ennio Morricone et “Unsung Heroes” de Thomas Newman. Il est dure d'égaler ces deux là.

Il y a effectivement une oeuvre musicale que j'aime plus que tout autre, c'est le Requiem de Gabriel Faure.

Ces dernières années, on a vu l'émergence d'associations entre deux compositeurs, voire plus, pour travailler sur un même projet (Brian Tyler/Klaus Badelt, Hans Zimmer/James Newton Howard, Jeff Dana/Elia Cmiral...). Si vous aviez l'opportunité (à moins que vous ne le souhaitiez pas) de travailler en collaboration avec un autre compositeur, qui choisiriez-vous et pourquoi ?

J'aime beaucoup cette question. Je n'y ai jamais pensé, et je n'ai aucune idée de qui je choisirai pour une collaboration éventuelle, mais ce serait probablement un compositeur qui est mon aîné.

Après avoir composé pour des films dramatiques, des comédies, des films d'action, des thrillers, des documentaires... Aimeriez-vous essayer d'apporter votre propre sensibilité à la composition musicale de films dits "de genre", comme le fantastique, l'horreur ou la science fiction ?

Oui, j'aimerai m'essayer à chacun de ces genres. Le seul genre de films sur lequel je n'aimerais pas travailler est celui des films ayant une violence gratuite. La gratuite dans le domaine du charme par contre me convient très bien.

 


Entretien réalisé en septembre 2005 par Xavier Ducamp et Benoit Basirico

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