Interview B.O : Khaled Mouzanar (compositeur de CAPHARNAÜM, Prix du Jury Cannes 2018)

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Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 19-05-2018

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Le compositeur libanais Khaled Mouzanar retrouve sa fidèle réalisatrice Nadine Labaki après "Caramel" (2007) et "Et maintenant on va où ?" (2011) avec cette fois-ci une dose plus grande de réalisme urbain, où la musique se fait souvent absente, pour intervenir, sans pour autant retenir son lyrisme, qu'en intermèdes.

En quoi votre implication sur CAPHARNAÜM est différente de celle pour les précédents films de Nadine Labaki ?

Khaled Mouzanar : C'était différent des autres projets de Nadine parce que je suis aussi producteur et j'ai participé à l'écriture. J'étais moins disponible musicalement comme sur les autres films pour lesquels je n'étais que compositeur. J'ai dû travailler la production du film, la post-production, la distribution, toutes les étapes. Je n'avais pas la sérénité nécessaire pour pouvoir écrire la musique confortablement en amont. Et contrairement aux autres films, Nadine n'avait pas déjà mis des musiques sur le montage. De plus, c'était un film particulièrement long, on avait plus de 500h de rushes. Le premier montage faisait 12 heures, donc c'était impossible de mettre de la musique sur ces 12 heures. J'attendais d'arriver à une version plus humaine.

Au delà des méthodes différentes, la nature même du film change du cinéma habituel de Nadine Labaki, plus documentaire par certains aspects...

K.M : C'est un film extrêmement réel, l'intention était de montrer ces gens dans leur réalité la plus vraie, sans triche, donc mettre de la musique pouvait participer à une manipulation et une triche. Je m'incrustais de manière indécente dans la vie de ces personnages, et ce n'était pas le but. Donc c'était compliqué pour le dosage de la musique. En tant que musicien, je voulais en mettre, et en tant que producteur j'en enlevais. Je devais jouer avec les deux casquettes. D'ailleurs, après six mois d'écriture musicale et de finalisation de la musique, j'ai décidé un matin d'enlever toute la musique du film, pour sentir où ça manquait. Et là on a compris qu'il y a des endroits où le film refusait la musique. Il y a beaucoup de situations dans le film qui correspondent à ce que les personnages ont vraiment vécu, donc leur mettre de la musique, de la mélodie, sans leur permission, c'était presque indécent. Il fallait que ces moments-là soit secs, qu'on entende les bruits de la ville dans laquelle ils sont. On s'est donc mis d'accord sur des instant fantasmés, des instants de poésie, des ralentis ou des flash-backs, où je pouvais m'exprimer musicalement, où la fantaisie pouvait être là.

Dans la composition même de la musique, vous avez cherchez à retenir certaines choses pour éviter l'emphase ?

K.M : La musique n'a pas une mélodie reconnaissable, je suis quelqu'un qui vient de la mélodie, j'aime les thèmes que l'on retient, mais là dès que je mettais un thème sur un personnage, je sentais que c'était trop grand pour l'habillage du personnage. Je trichais dans la vérité de sa vie. J'ai donc eu une approche plus contemporaine. Chaque fois qu'une mélodie s'installe dans le confort je la casse pour aller vers autre chose. Il y a de la percussion, des chœurs comme des cris dissonants, une lyre crétoise que j'ai jouée moi-même, comme des aboiements de chiens, et un Quintet de cordes. Aussi, il y a un personnage éthiopien dans le film, je me suis donc immiscé en utilisant des instruments africains. La musique n'a jamais été là pour souligner le misérabilisme, ni l'émotion. Il y a de la dissonance pour gêner le spectateur. Mon idée était de gêner le spectateur assis dans son confort, je ne pouvais pas mettre de la justesse musicale sur ces gens qui ont une vie faite de bruits de klaxons et de sentiments contradictoires.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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