Interview B.O : Jean Musy fait de la résistance

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Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 09-11-2018




Jean Musy a orchestré et composé des musiques pour plus d'une centaine de films français et internationaux. Il a travaillé avec les réalisateurs les plus divers, parmi lesquels Costa Gavras, Juan Bunuel, Gérard Oury, Jean-Marie Poiré, Jean-Claude Brisseau , Denis Maleval, Alejandro Jodorowsky… A l'occasion de la parution d'une compilation chez Music Box Records qui réunit ses partitions pour le cinéma et la télévision, le compositeur était au micro de notre émission mensuelle, pour des propos à la fois doux et cinglants. 

INTERVIEW EN ÉCOUTE DANS L'ÉMISSION (à 30:20)



Cinezik : Vous êtes avant tout un compositeur, mais vous avez aussi mis votre musique au service de l'image, au cinéma comme à la télévision. Est-ce que vous considérez que cette musique de film est votre musique personnelle ?

Jean Musy : non... Je ne le pense pas, en tout cas dans la façon dont j'ai été obligé de les faire. Je n'aime pas le mot "créér" par rapport à ce genre de travail, ce n'est pas ma musique. J'ai toujours essayé de faire les choses que j'aimées, mais avec tellement de contraintes que je ne peux pas dire que ce soit ma musique. La musique, je la fais ailleurs, dans d'autres domaines. Le cinéma n'est pas un support de liberté.

Pour CLAIR DE FEMME de Costa Gavras, vous proposez un thème à la flûte de pan... est-ce votre choix ?

J.M : Au départ, ce thème a été joué par un violoncelle. En ce moment d'ailleurs, je donne des concerts avec un orchestre symphonique, et tout est réorchestré comme j'avais envie que ce soit joué, c'est-à-dire avec uniquement des cordes. Mais à l'époque, c'était Yves Montand qui m'avait imposé le fait de mettre une flûte de pan. C'était la grande époque de Gheorghe Zamfir... et il avait peur que son film fasse un bide (il en était le co-producteur), il ne le sentait pas commercial.

Pour revenir à vos débuts, quel souvenir gardez-vous de Francis Lai pour lequel vous étiez arrangeur ?
(entretien enregistré avant le décès de Francis Lai)

J.M : J'ai travaillé avec Francis sur une vingtaine de films en tant qu'arrangeur. Grâce à lui, j'ai appris énormément de choses. Comme c'était un compositeur extrêmement connu, j'ai eu la possibilité d'avoir de très grosses formations, ce qui a dégénéré après lorsque j'ai voulu travailler sous mon propre nom, les choses se sont dégradées car il est très difficile d'avoir des budgets pour la musique de film.

Est-ce que votre parcours auprès de Francis Lai vous a préparé à devenir ensuite vous-même compositeur ?

J.M : Ça m'a préparé à être en contact avec des grands metteurs en scène (on a travaillé avec Dino Risi, Claude Lelouch...), et j'ai enregistré avec des orchestres du monde entier. C'était très enrichissant pour moi ! En plus de cela, Francis est un type absolument merveilleux, adorable, il me laissait une grande latitude. Tout cela était très intéressant pour un jeune compositeur, d'autant que je n'ai aucune formation musicale, j'ai appris sur le tard, grâce à un livre que je recommande : le Traité d'orchestration de Berlioz, une merveille, qui parle même de la psychologie avec laquelle on doit parler aux musiciens, car on ne peut pas parler à un hautboïste comme à un tromboniste, à un violoncelliste comme un violoniste. C'est l'instrument qui choisit l'homme et non l'inverse.

Souvent, un compositeur de film doit se battre avec les musiques préexistantes, les additionnelles... ce qui vous est régulièrement arrivé, notamment sur PAPY FAIT DE LA RÉSISTANCE puisque Jean-Marie Poiré a mis du Mendelssohn...

J.M : Je m'entends très bien avec Mendelssohn (Rires). Je l'ai toujours admiré... Mais CLAIR DE FEMME n'est pas un grand film, PAPY FAIT DE LA RÉSISTANCE non plus, c'est un film que je ne voulais pas faire, ça m'a juste aidé à payer mes retards d'impôts. Je n'aime pas ce film. Le premier est un film prestigieux car il y a Romy Schneider et Yves Montand, et que c'est Costa-Gavras qui réalise, un homme prodigieux. Mais je ne peux pas dire que j'ai fait son meilleur film. Le second, c'est un film drôle qui a fait rire beaucoup de gens, et qui m'a rapporté suffisant d'argent pour me remettre un peu sur la route, mais sinon il ne m'intéresse pas.

Préférez-vous le film de Alejandro Jodorowsky, LE VOLEUR D'ARC-EN-CIEL ?

J.M : Ah oui celui-là j'ai adoré ! Et en plus c'est un homme très passionnant ! Je n'ai fait qu'un film avec lui, mais j'ai beaucoup aimé. Mais lui a été terrorisé par la femme du producteur qui était la scénariste, il n'a pas écrit son film, et ce n'était que des conflits épouvantables.

Vous avez depuis la fin des années 90 des relations privilégiées exclusives avec des réalisateurs. Au cinéma, il y a Jean-Claude Brisseau, que vous avez rencontré en 1989 avec NOCE BLANCHE...

J.M : C'est un type qui adore la musique. Il aime la musique car il aime le silence. C'est formidable ! Lorsque la musique intervient chez lui, elle a toujours un rôle. Elle n'intervient pas pour distraire, pour ajouter quelque chose, elle intervient véritablement en tant que conteur. C'est un homme du silence et j'aime beaucoup ça.

Votre collaboration avec lui a pourtant débuté sur NOCE BLANCHE où il n'y avait aucun budget, vous ne pouviez pas faire de vraies cordes...

J.M : J'étais tombé amoureux du film, vraiment ! J'arrivais à un âge où je me suis un peu vu dans cette histoire. J'aurais fait n'importe quoi pour le faire. Il n'avait pas d'argent mais tant pis.

Ce sont les films qui vous guident ? Êtes-vous un cinéphile ?

J.M : Je suis surtout amoureux des histoires, beaucoup plus des livres et du théâtre que du cinéma. J'aime Guitry, le cinéma de Carné, mais cela s'est arrêté aux années 60. J'ai détesté la Nouvelle Vague car ils ont cassé les jambes extraordinaires à des cinéastes qui étaient des merveilles !

Vous qui aimez les histoires plus que le cinéma... Est-ce que c'est cela qui vous a mené à un projet intitulé "Cinéma sans images" ?

J.M : C'est un projet un peu particulier. Je suis amoureux d'un auteur qui est Stefan Zweig, j'adore ses nouvelles. Comme j'ai rarement fait de films dont je suis totalement satisfait (en dehors de 5/6 parmi plus de 200 films), j'ai donc repris des nouvelles de Stefan Zweig pour en faire un film, avec un conteur, des comédiens, ma voix, des bruitages, un peu de musique originale, et beaucoup de silence. Je raconte ainsi les histoires de Zweig.

Terminons avec la télévision, notamment pour Denis Maleval que vous retrouvez quasiment chaque année avec un nouveau téléfilm... Vous ne faites pas de hiérarchie entre le cinéma et la télévision ?

J.M : C'est le même travail. Les films de Denis me procurent beaucoup de joie. J'aime ses films. Lui aussi est en lutte, mais il me protège énormément. Il était toujours en paravent, pour me permettre de faire la musique que j'aime. C'est le seul metteur en scène avec lequel j'ai travaillé qui m'a protégé à ce point.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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