Cinezik : L'idée de ce film vient-elle d'une envie de faire un film musical ?
René Feret : Bien que je ne sois pas quelqu'un porté vers la musique par mes études ou par mes goûts prononcés (j'aime la musique comme tout le monde), je me suis dit que ce film serait l'occasion de traiter de la création à travers la musique. Il a donc fallu régler le problème de la musique en faisant ce film.
Comment s'est fait le choix de Marie-Jeanne Séréro pour composer cette musique ?
R.F : J'avais connu Gabriel Yared il y a quelques années et je savais que c'était un mozartien déchaîné, alors naturellement dés que j'ai écrit une première version du scénario je lui ai demandé son avis. Puis il m'a recommandé Marie-Jeanne qu'il connaissait, d'autant plus que c'est une femme, ce qui est pas mal pour écrire la musique de Nannerl Mozart. La suite s'es faite entre Marie-Jeanne et moi.
Sur ce type de film, la musique est un personnage, elle est donc à déterminer dés le scénario ?
R.F : Ce qui était passionnant dés le scénario, c'est que la musique était un personnage actif, qui s'inscrit dans une dramaturgie, une naissance, celle de la musique de Nannerl. Il était donc passionnant de mettre au service de la musicalité réelle la musicalité du film, par le côté émotionnel, le jeu, les silences, les dialogues. L'aspect musical du cinéma, dans cette expérience, était évident.
Quelles étaient vos indications et orientations pour la compositrice ?
R.F : C'est le film qui exprime sa demande, je n'ai pas le sentiment que c'est moi qui ait une idée particulière, c'est le scénario. J'ai une grande méfiance de la musique d'accompagnement. Dans certains de mes films, il y a très peu de musique, car il n'y a pas de nécessité. Je n'aime pas trop la musique illustrative, la musique envahissante. Là, il y a ce personnage, cette dramaturgie, alors la musique avait une grande place que j'ai demandé à Marie-Jeanne d'occuper, j'ai donc eu le courage de le lui permettre, sans complaisance.
Marie-Jeanne, quel était ce travail pour créer la musique de Nannerl Mozart ?
Marie-Jeanne Séréro : C'était d'essayer de ne pas faire une reconstitution mais d'être en décalage, accepter d'être dans le roman, de rêver, d'imaginer que Nannerl pouvait être mûre, avoir des sentiments, pouvait être romantique, s'inscrivait dans un monde de tradition classique tout en pouvant s'en échapper. René m'a donné cette liberté d'expression. Je me suis senti en mesure d'échapper à ce que l'on peut attendre d'une musique proche de Mozart.
Nannerl s'inscrit dans le baroque, frise le romantisme, dans un cadre classique, mais elle n'est pas sensée avoir fait des études d'écriture poussées donc la musique peut s'échapper des structures académiques. Je me suis servie de toutes ces échappées pour m'amuser et faire en sorte que cette jeune fille puisse exprimer des émotions.
R.F : Toutes ces musiques devaient être conçues avant le tournage, puisqu'on les voit jouer à l'écran, donc il a fallu dans un premier temps faire ces musiques en playback, puis les enregistrer avec le jeu, puis au final les retraduire en orchestre en studio.
Votre fille Marie qui joue le rôle de Nannerl connaissait-elle la musique ?
R.F : J'ai mis ma fille dans cette histoire d'une façon accidentelle, elle a relevé le défi avec beaucoup d'inconscience car c'était de la folie de jouer du violon et qu'on doive y croire alors qu'elle n'avait jamais touché d'un instrument de musique. Elle a beaucoup travaillé, elle était coaché par la violoniste Floriane Bonnani pour apprendre à faire semblant de jouer du violon magnifiquement.
Elle était en playback, donc elle a répété de longs mois avant le tournage. J'ai pensé à elle en lisant les lettres de Mozart en me disant qu'elle pouvait avoir l'âge du personnage, et j'ai mis mon autre fille dans le coup, puisqu'elle joue Louise de France. On s'est amusé comme les Mozart finalement, toute la famille dans l'histoire.
Dans le film, nous voyons le fils Wolfgang A. Mozart jouer de la musique, mais même celle-ci est originale...
M-J. S. : Ce n'est pas du Mozart, je l'ai composé, mais j'ai imaginé qu'il improvisait, qu'il faisait cela spontanément, pas forcément un thème construit et travaillé. Il est avec sa soeur, il joue...
R.F : Avec ce film qui traite de la soeur de Mozart, il est intéressant d'avoir l'humour, de se payer le luxe, d'avoir ce petit Mozart à une place qui aurait pu être la sienne si on avait tenu compte de sa soeur. C'est un peu le luxe du film de traiter surtout de Nannerl, et que ce soit la musique de Nannerl qui soit déterminante.
La place des femmes musiciennes à l'époque de Mozart fait écho à la situation actuelle dans laquelle nous comptons très peu de femmes compositeurs...
M-J.S. : Ca interpelle un peu le fait que Nannerl n'ait pas accès aux cours de composition de son père, que la porte reste fermée avec la complicité du fils, les femmes se déguisent...
R.F : Il y a beaucoup de femmes réalisatrices, et très peu de femmes qui font de la musique de film, c'est un exemple frappant...
M-J.S. : Je ne vois pas pourquoi... c'est une erreur... (rires)
Comment se déroule le dialogue entre le compositeur et le réalisateur ?
M-J.S. : C'est important que le réalisateur ne rentre pas dans la technique du musicien (et inversement). Je préfère entendre parler René de Nannerl, des personnages, de ce qui se passe scène par scène, dans la globalité de son film, de m'en imprégner, et lui faire écouter des choses au fur et à mesure. Puis s'il ressent une adéquation, c'est tellement plus libre et intéressant pour moi que de sentir que quelqu'un me tient à la gorge pour me dicter mon métier.
Que signifie pour vous la musique de film ?
M-J.S. : Je pense un peu la même chose que Gabriel Yared, que la musique de film n'existe pas, mais qu'il y a la musique au sens large, LES musiques, et s'il y a un film c'est magnifique, il y a une histoire, un contexte... Si le métier permet d'épouser les contours d'une histoire c'est merveilleux, mais il y a LES musiques.
R.F : C'est très beau lorsque la musique est parallèle à un récit cinématographique, lorsqu'il y a un écho qui s'appartient et qui est du monde de la musique et qui fait résonner le récit du film, là c'est très beau, mais c'est rare, car bien souvent la musique est vulgaire, essayant de commenter, d'aller chercher l'émotion du spectateur, le chatouiller, de le rassurer ou de lui faire peur bêtement, si on lui donne un rôle anecdotique, c'est mort.
Pour finir, Marie-Jeanne vous avez un autre projet avec la musique du documentaire "Les ensortilèges de James Ensor" de Nora Philippe et Arnaud de Mézamat... que pouvez-vous nous en dire ?
M-J.S. : Il fallait travailler avec des claviers : orgues de barbarie indien, piano préparé, piano ancien et moderne, célesta, orgue. Il s'agit de la vie du peintre James Ensor, alors il faut rentrer dans ses tableaux, s'en inspirer, et de sa dépression, de l'idée de la mort, de la paranoïa, il y a tellement d'aspects de sa folie... avec des masques de carnaval, alors on m'a demandé de faire des choses baroques et bariolées, c'est passionnant