Interview avec Harry Gregson-Williams

Entretien réalisé à Madrid le 1er juillet 2006 par Sylvain Rivaud, Quentin Billard et Maxime Marion. - Publié le 01-07-2006




A l'occasion de son passage au festival musique et cinéma de Madrid le 30 juin 2006, nous avons rencontré le compositeur de SHREK et du MONDE DE NARNIA pour qui c'était la première expérience de concert en public. Retour sur un moment fort de sa carrière musicale et sur quelques unes de ses oeuvres clé, avant d'aborder ses projets pour 2007 et 2008.


C’est ici à Madrid votre premier concert de musique symphonique. Comment avez-vous abordé l’expérience d’adapter et jouer votre musique sans le support de l’image ?

C'était une expérience très difficile, car comme vous le savez, la musique a été écrite pour l'écran, pour l'image, et je n'avais jamais envisagé jusqu'à présent de l'adapter à la scène. L'orchestre était composé de musiciens très jeunes, quelque uns étaient même étudiants, je crois, et ils ont trouvé la musique très difficile. Mais ils ont travaillé dur et passionnément, et c'était un vrai plaisir pour moi de faire cela. Mais si je devais recommencer, je pense que je ne ferais qu'une moitié de concert, avec quelqu'un comme Hans ou un autre compositeur pour l'autre partie, afin que je puisse me concentrer sur une partie bien précise qui soit vraiment bonne. Car avec deux répétitions, c'était ici très ambitieux : lors de la première répétition, il y a deux jours (avec Hans), le résultat était vraiment catastrophique, ça ne me plaisait pas. C'est une musique difficile, qui pour l'écran avait été enregistrée pendant des jours et des jours par un orchestre professionnel à Londres, pour prendre l'exemple de NARNIA. Pour le film, on enregistre par petits bouts, scène par scène, ce qui, bien évidemment, est impossible en concert, où l'on doit jouer le morceau entier d'un seul coup. Mais je suis content du résultat : l'orchestre a très bien compris ma musique, et au final, l'énergie, l'âme et l'émotion des musiques originales étaient bien là. C'était une belle expérience. Mais croyez-moi, si je fais un nouveau concert, ce ne sera pas tout seul !

Avec John Powell, par exemple ?

Oui, peut-être !

Quel passage du concert vous a le plus plu ?

Le morceau intitulé "Saladin" dans KINDGOM OF HEAVEN, durant la première partie du concert (NDRL : que Harry n'a dirigé qu'en seconde partie) : j'étais assis tout en haut de la salle, j'ai regardé Martin Tillmann et son violoncelle électrique, il est vraiment excellent ! Martin l'a superbement interprété.

Durant cette période où vous avez composé des films d’animation avec John Powell (ANTZ, CHICKEN RUN, SHREK), comment vous répartissiez-vous le travail ?

John est un très bon compositeur qui semble vraiment devenir meilleur au fil de ans. Sur notre première collaboration sur ANTZ, nous avons réellement fait la musique ensemble, dans un même studio, avec un piano. Sur CHICKEN RUN, nous nous sommes réparti des scènes très précises, et sur SHREK, nous avons fini par diviser le travail en deux, car le temps nous manquait. John est un très bon ami, et je n'ai aucun problème avec lui ! Mais le fait est qu'à partir de SHREK, nous avons voulu davantage expérimenter, faire un travail personnel chacun de notre côté. Dans SHREK, j'ai écrit le thème principal (le thème du conte de fée), et dans CHICKEN RUN, j'ai aussi écrit la marche d'ouverture mais elle a été totalement réécrite et très intelligemment arrangée par John. On lui doit également la petite valse à la fin du "Main Title", qui est un super arrangement. Mais au fur et à mesure, il a naturellement voulu mettre davantage de sa personnalité : John était un peu frustré de travailler toujours à partir de mes mélodies et de mes thèmes. Après SHREK, nous nous sommes donc mis d'accord sur le fait qu'on ferait à partir de maintenant nos films chacun de notre côté. C'est une très grand compositeur qui a véritablement son propre style.

Vous avez également co-écrit plusieurs musiques avec Hans Zimmer, comme THE BORROWERS ou SMILLA'S SENSE OF SNOW : quelle a été la part d'intervention de Hans dans ces musiques ?

Sur SMILLA, il n'est pas intervenu du tout. En fait, c'est une sorte de cadeau que m'a fait Hans : Bill August, le réalisateur, avait déjà collaboré avec Hans quelques années auparavant (NDLR : sur LA MAISON AUX ESPRITS, en 1993). A l'époque, personne ne me connaissait, et personne ne prenait le risque de me donner un score entier à moi tout seul ! C'est donc très généreusement qu'il m'a donné ce film à mettre en musique : il est crédité dans le film et sur le CD, mais il m'a donné toute la liberté nécessaire pour que je fasse la musique que je voulais. C'était très généreux de sa part.

Sur SPY GAME et sur VERONICA GUERIN pour Tony Scott, vous vous attachez à développer une certaine authenticité dans la musique avec l’intervention vocale de chanteurs locaux (les voix orientales dans le premier, ou le jeune garçon irlandais dans le second). Est-ce important pour vous cette authenticité ?

Oui, j'y crois vraiment. C'est une sorte de refrain pour moi, en tant que un compositeur de film. Je ne suis jamais allé dans une grande école de musique, je n'ai jamais grandi en me disant que je serait compositeur de cinéma, je regardais les films comme vous. C'est suite à ma rencontre avec Hans Zimmer, à Londres, que nous nous sommes appréciés, et qu'il m'a invité à venir travailler avec lui : "Que fais-tu actuellement ? J'aimerais que tu vienne avec moi à Los Angeles, j'ai besoin de gens comme toi pour m'aider". Ce à quoi j'ai répondu : "Oui, pourquoi pas"... J'ai pris le premier vol pour Los Angeles, avec un seul bagage, et je ne suis jamais réellement revenu ! Il m'a donné une opportunité et je l'ai prise.

A propos de VERONICA GUERIN, j'étais assez inquiet après avoir été engagé sur ce film, car je pensais qu'il y avait de bien meilleurs compositeurs irlandais que moi, qui suis anglais ! C'était une sorte de challenge pour moi de développer une musique d'influence irlandaise en tant qu'anglais. En ce sens, je suis très reconnaissant à Joel Schumacher d'avoir pu faire ce film, de même que PHONE BOOTH un peu plus tard. Je vais d'ailleurs travailler sur son nouveau film, THE NUMBER 23, avec Jim Carrey, qui est un film très sombre, dès mon retour à Los Angeles. J'aurais bien voulu jouer VERONICA GUERIN au concert, mais nous n'avions pas assez de temps...

Pour ce qui est de l'authenticité de ce score, je ne saurais vraiment dire... j'espère qu'il y en a ! J'ai vécu à Alexandrie, en Egypte, pendant deux ans, et les sons, la saveur de ce pays m'ont beaucoup fasciné. J'ai aussi beaucoup écouté de musique, là-bas. Et quand j'ai fait SPY GAME, naturellement, même si le film n'a pas été tourné en Egypte, j'y ai retrouvé des influences du moyen-orient, comme les sonorités et certaines textures des instruments. C'est pourquoi SPY GAME est une musique qui me tient particulièrement à coeur. Hier soir, après le concert, j'ai dû signer une petite centaine de Cds : au moins 80 d'entre eux étaient SPY GAME ! C'est à dire que 80 % des gens qui sont venus me voir avaient le CD de SPY GAME. Cela m'a beaucoup touché car pour moi, SPY GAME a été un vrai tournant dans ma carrière, car il y a des éléments électroniques, de la musique orchestrale, et des sonorités ethniques. C'est un genre de musique que je crois avoir aussi approché sur MAN ON FIRE, qui se déroule au Mexique. C'était une manière d'aborder la musique hispanisante avec mes propres sonorités électroniques plus ou moins agressives.

Votre musique se particularise justement par cette superbe fusion entre électronique, orchestre et voix ethniques...

Je suis content que vous pensier cela. Beaucoup de "puristes" de la musique de film détestent ça ! Mais je m'en fiche...

Avez-vous une idée de comment vous allez prolonger l’univers musical du monde de Narnia sur la suite prévue en 2008 : THE CHRONICLES OF NARNIA : PRINCE CASPIAN ?

Non, je n'en ai encore aucune idée ! J'ai lu le livre, mais le script n'est pas encore terminé. J'ai rencontré Andrew Adamson par hasard, à l'aéroport de Los Angeles avant de venir ici, et je lui ai demandé où ça en était : il m'a dit que c'était très difficile, l'épisode de PRINCE CASPIAN n'est pas aussi bon que les précédents, et il travaille actuellement d'arrache-pied afin d'en tirer un bon script.

Vous réjouissez-vous de collaborer à nouveau avec Andrew Adamson ?

Oui, beaucoup. Son style me plaît énormément : cette vision du film familial avec de la fantasy et de l'épisme est vraiment parfaite pour moi !

Parmi vos projets on peu citer FLUSHED AWAY pour Aardman et Dreamworks, puis SERAPHIM FALLS de David von Ancken, film pour lequel vous allez aborder le film de guerre tendance « western ». Que pouvez-vous nous dire de ces films et de votre approche musicale ?

J'ai commencé à travaillé sur FLUSHED AWAY il y a trois ou quatre mois, j'ai écrit les thèmes, et les éléments du score. Puis Dreamworks m'a dit récemment qu'ils avaient décidé de changer l'histoire, et de changer complètement la nature même du film ! J'étais donc un peu dans l'expectative : je leur ai laissé un "ultimatum" de six semaines pour arranger les choses... Quand on m'engage, il faut être prêt ! Cela m'a inévitablement débloqué un peu de temps dans mon planning, et du coup, j'ai préféré me diriger vers un film à plus petit budget entre temps : SERPAPHIM FALLS. J'ai vraiment adoré le script, il est exceptionnel. Il y a très peu de dialogues, seulement une voix qui décrit le paysage, les montagnes et la neige, et seulement deux personnages dans le film, interprétés par Pierce Brosnan et Liam Neeson. Vous y découvrirez un Pierce Brosnan très rugueux, pas du tout dans le style de James Bond ! Le film se déroule à la fin de la guerre civile américaine, mais ce n'est pas vraiment un western au sens classique du terme, ni un film de guerre. C'est un film très naturaliste, qui décrit la beauté des paysages de l'Utah, et la musique a un véritable rôle narratif dans le film, elle remplace un peu les dialogues. J'ignore si le public aimera, car ne c'est pas un gros film à plusieurs millions de dollars, mais c'est le premier film du David van Ancken, et c'est vraiment un très bon film. J'ai écrit la musique très rapidement, en trois-quatre semaines, et maintenant je travaille à nouveau sur FLUSHED AWAY.

Il y aura-t-il un CD pour SERAPHIM FALLS ?

Pour l'instant, nous cherchons un distributeur pour le film. Mais je ne sais pas si j'ai réellement envie de sortir le disque de ce score : la musique est très atmosphérique, et pas du tout mélodique. Il y a des sons naturels, une belle atmosphère que j'aime beaucoup, mais je ne suis pas sûr que ce soit très intéressant à écouter sur CD.

Après vos expériences avec John Powell, aimeriez-vous collaborer à nouveau avec un autre compositeur, comme Hans Zimmer l'a fait avec James Newton Howard sur BATMAN BEGINS ?

Avec un autre musicien, oui, mais pas un compositeur de musique de film. J'aimerais beaucoup travailler avec mes amis de Hard Breed (des DJ's), ou Paul Oakenfold, ou la jeune fille avec qui j'ai travaillé sur NARNIA, Imogen Heap, qui aimerait bien faire une musique de film bientôt et qui souhaiterait que je l'aide ! Mais je ne pense pas collaborer avec un autre compositeur de cinéma, aucun ne m'intéresse particulièrement. Mais les musiciens, les artistes, oui.

Auriez-vous envie de faire un album hors musique de film ?

Oui, c'est prévu pour l'année prochaine ! En 2007, je vais arrêter d'écrire pour le cinéma après SHREK 3, c'est à dire courant mai. Et après, pas de film pendant six mois !

Quel genre de musique ?

Je ne sais pas encore... Je vous laisse découvrir ! Mais ce ne sera pas de la musique de film !

 
Entretien réalisé à Madrid le 1er juillet 2006 par Sylvain Rivaud, Quentin Billard et Maxime Marion.

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