Interview B.O de Jeux Vidéos : Olivier Derivière (A PLAGUE TALE: INNOCENCE)

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Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 11-05-2019




Avec A PLAGUE TALE: INNOCENCE (sortie du jeu vidéo le 14 mai 2019), Olivier Derivière retrouve Asobo Studio pour ce jeu de cache-cache et d'Infiltration créé par Olivier Ponsonnet (directeur artistique), Sébastien Renard (auteur - directeur narratif), David Dedeine (directeur créatif), et Kevin Choteau (réalisateur, "game director"). A cette occasion, il revient sur les spécificités de la création musicale pour l'art interactif et ludique.

Cinezik : Comment est née chez vous cette vocation ?

Olivier Derivière : J'ai commencé très jeune, je devais avoir 20 ans quand j'ai fait mon premier jeu. Avant cela, je faisais des "Coding Party", on se regroupait avec les copains pendant trois jours sans dormir et on fabriquait des choses complètement abstraites. Ce qui m'a toujours intéressé, c'était le jeu vidéo.

A quel moment est apparue la musique dans votre parcours ?

O.D : Je fais de la musique depuis tout petit. Depuis mes cinq ans j'ai été initié à la musique. J'ai parcouru le conservatoire, j'ai fait les études classiques, la musique était pour moi un besoin. Quand j'étais enfant, je me suis mis à composer parce que ma mère avait un synthé et ça me
faisait marrer d'appuyer sur trois boutons. Le piano ne m'intéressait pas mais le synthé oui. Et donc du synthétiseur à l'ordinateur et au jeu vidéo, faire la musique de jeu-vidéo avait du sens.

Vous êtes donc un compositeur amoureux du jeu-vidéo, donc conscient de ses spécificités ?

O.D : Il y a plusieurs catégories de compositeurs de musique de film comme il y a plusieurs catégories de compositeur de musique de jeu vidéo. Il existe des compositeurs qui ne pensent qu'à leur musique, et d'autres qui ont fait évolué le médium. Je me situe d'abord comme un amoureux du jeu vidéo. Je souhaite vraiment que la musique fasse partie, non pas de ce qu'on nous raconte (puisqu'un jeu vidéo n'est pas une histoire, ni une oeuvre comme on l'entend au cinéma), mais d'une expérience vécue par des joueurs et des joueuses, et cette expérience-là est due en très grande partie à ce qu'on appelle le "Game Play" (qu'est-ce qu'on doit faire ?). Comment la musique peut-elle aider à cette expérience ? Quand j'étais petit, j'ai découvert Mario Bros, par exemple, j'ai découvert ce que Koji Kondo avait fait, avec des mélodies iconiques. Il avait fait en sorte par exemple que dès lors qu'on prenait l'option "étoile" la musique changeait pour signifier au joueur qu'on était invincible. Puis lorsque le compteur s'approchait de zéro la musique s'accélérait... Il y avait une fonction supérieure au fait de juste illustrer un univers de manière jolie. Toute ma démarche est d'avoir artistiquement une forte identité, et de l'autre côté de servir de manière la plus absolue le propos qui est donc le "Game Play".

Quel est l'interlocuteur sur un jeu ?

O.D : Il y a bien sûr le "creative director" qui ressemble aux réalisateurs au cinéma, qui va tenir sa vision. Mais il ne va pas dire exactement dans le détail les choses, alors on peut mettre du temps à s'accorder avec lui. En tout cas un projet de jeu s'étale sur beaucoup plus de temps que le cinéma. Pour A PLAGUE TALE, c'était un an et demi. Donc même si on a eu trois mois d'incompréhensions, on a encore plus d'un an pour discuter. C'est vraiment un esprit d'équipe dans le jeu vidéo. C'est beaucoup plus collaboratif. Il n'y a pas un chef qui va prendre de temps en temps des collaborateurs. On est tous ensemble tout le temps. On fabrique l'objet ensemble pour arriver à quelque chose dont on ignore totalement la finalité.

Quel est votre premier contact avec un jeu sur lequel vous êtes impliqué ?

O.D : Le premier contact reste toujours les gens, ceux qui font le jeu. Donc l'idée est de rencontrer le "créative director", le producteur, de rencontrer toutes ces personnes qui forment la Corp. Team. Ce sont cinq personnes à peu près qui sont en train de développer une idée dont eux-mêmes ne savent pas comment ils vont la réaliser. De cette rencontre, on va commencer à sentir les sensibilités. C'est là que je vais me dire que je peux travailler avec ces personnes ou pas quelque soit le jeu.

Quels rôles joue la musique dans un jeu vidéo ?

O.D : On peut avoir des choses qui sont narratives, ou immersives, informatives, des choses plus de l'ordre de l'émotion ou de l'ordre du "reward", c'est à dire la récompense du joueur. Toutes ces fonctions qui sont d'un nombre illimité peuvent progresser et changer, parce que le jeu vidéo aujourd'hui n'a pas encore trouvé son langage. On se cherche tous, on ne sait pas comment faire un jeu vidéo. La technologie avance tout le temps et donc la musique de jeu vidéo ne sait pas elle-même. La plupart des jeux vidéo sont beaucoup plus illustratifs dans leur musique. Ca n'en fait pas des mauvaises musiques. Mais en tant que joueur, j'aimerais des expériences différentes que juste avoir de la jolie musique. C'est très important de se mettre à la place de celui qui joue. Si vous regardez sur YouTube un jeu vidéo ou si vous êtes à côté de quelqu'un qui joue, vous n'allez pas avoir le même ressenti que celui ou celle qui est en train de jouer. Parce que vous vous allez regarder les montagnes, les graphismes, les effets, etc... alors que celle ou celui qui joue a un but, comme celui d'aller récupérer un coffre ou d'envahir tel endroit... l'état d'esprit est totalement différent. Donc la question à se poser est : la musique doit-elle servir ce que vous voyez ou ce que vous vivez ?

Dans un jeu, la musique est souvent reproduite en boucle, est-ce votre cas ?

O.D : Ma bête noire, c'est la répétition. En tant que joueur justement, on a toujours envie de fraîcheur. Je pense qu'il faut faire très attention justement au rôle que l'on veut donner à la musique et à la fonction qu'on veut lui attribuer, parce que si jamais on se cantonne à l'illustration, on n'en oublie que le joueur peut y rester des heures à regarder, et que peut-être cette musique va finir par l'agacer. Ces problématiques sont les nôtres. Elles sont très compliquées à résoudre surtout sur des jeux comme A PLAGUE TALE, parce que c'est un jeu assez proche du cinéma, qui est par son rythme très classique, même si le jeu ensuite s'émancipe et donne beaucoup de liberté au joueur. Pour une expérience de jeu de 12 heures, on ne peut pas faire trois heures de musique originale, donc comment se débrouiller pour que ce soit acceptable et surtout utile au jeu. L'idée n'est pas que ça fonctionne mais que ça apporte quelque chose. La répétition, c'est un vrai problème du jeu vidéo. Il ne faut jamais hésiter à couper la musique, cela va donner de la valeur à la musique lorsqu'elle va revenir. C'est assez dommageable d'avoir de la musique tout le temps comme de n'en avoir jamais. Ca dépend du propos, mais si on met la musique tout le temps ça va finir par donner à l'aventure une sensation de normalisation qui fait qu'on en oublie qu'il y a de la musique. Sur des systèmes de musique adaptatifs selon les situations, on va pouvoir habiller ce système différemment selon les séquences et selon les contextes, et parfois de manière totalement aléatoire pour justement casser la normalisation. J'aime beaucoup donner aux joueurs une habitude et d'un coup la casser. Je prend beaucoup de plaisir à dénormaliser les expériences de jeu.

Pouvez-vous nous présenter A PLAGUE TALE ?

O.D : A PLAGUE TALE, c'est avant tout un jeu de cache-cache, donc ce qui est important pour le joueur, avant même de parler de la musique, c'est de savoir qu'il y a un ennemi à distance, plus ou moins près, qui nous a vu, qui sait où on est, qui vient vers nous, qui nous poursuit... ce sont des mécaniques de jeu assez classiques, mais la manière dont j'ai fait les choses est un peu différente je pense, par rapport "Splinter Cell" notamment. J'ai voulu apporter au joueur un élément supplémentaire avec cette fameuse distance qu'on ne travaillait pas auparavant. Aujourd'hui on peut accélérer la musique ou la ralentir, selon la distance.

Quels ont été les enjeux musicaux sur ce jeu ?

O.D : On a parfois à raconter l'environnement, ce qui se passe, la situation, le personnage, ce qu'il ressent, et le joueur, ce qu'il doit savoir, en terme d'informations de feed-back, par exemple lorsqu'un ennemi vous voit, il fallait le signifier au joueur. Donc la vraie question était, comment faire ça. Est-ce qu'on met des sons, des voix, on réfléchit. Et au final, j'ai demandé à mon violoncelliste de faire juste un son avec son instrument comme il sait bien le faire. C'est lui qui a "designé" le retour joueur avec son violoncelle. La frontière entre musique et sound design est mince.

Peut-on parler de thèmes dans votre partition ?

O.D : David Dedeine (directeur créatif) ne voulait pas de thèmes, alors que je suis quelqu'un de très mélodique. Pour tous les jeux, vous prenez la première piste des disques, c'est le thème. Je suis très thématique et ce n'est pas à la mode. Aujourd'hui, la musique écrite comme je la fais n'est pas très à la mode. J'avais donc cru ne pas pouvoir le faire, et en fait quand j'ai réalisé que l'idée pouvait lui plaire j'ai donc écrit quelques notes, ensuite il est revenu d'une présentation aux journalistes et m'a dit qu'il fallait le mettre partout. Il a réalisé que ça apportait beaucoup. Ensemble on a créé un juste milieu. Les thèmes sont là mais ne sont pas non plus envahissants comme je l'aurais proposé par moi-même.

Le thème permet de contribuer à l'identité propre d'un jeu...

O.D : Je suis un grand défenseur de créer une identité propre à chacun des jeux sur lesquels je travaille. Je défendrais quiconque qui fait ça sur n'importe quel type de jeu et n'importe quel type type de films. Le fait de pouvoir inter-changer une musique d'un jeu à un autre ou d'un film sur un autre, je trouve qu'il y a un vrai problème me concernant. Donc pour ce qui est de A PLAGUE TALE, c'est vraiment la musique de ce jeu. Le thème est unique, les instruments sont uniques (des violoncelles, une viol de gambe, une Nyckelharpa, des guitares médiévales, mais aussi du synthé derrière, très organique, qui va ajouter une chaleur). J'espère qu'on a trouvé l'identité du jeu, en tout cas on est plutôt satisfait.

Considérez-vous, malgré les contraintes inhérentes, faire une musique personnelle pour les jeux-vidéo ?

O.D : J'aime beaucoup les gederiviere,a-plague-tale-innocence,ns qui s'imaginent qu'avec la musique interactive on n'a plus le contrôle sur son œuvre. Je ne comprends pas bien cela, car tout est écrit. Alors aujourd'hui, débarque l'I.A (Intelligence artificielle). Il y a la possibilité d'avoir des pianos directement dans les jeux, qui ne sont pas enregistrés mais on a l'impression que c'est un vrai piano. Il faut rester ouvert à la possibilité que la musique soit totalement dynamique vis-à-vis de ce que le jeu demande. L'idée est de servir le jeu. On n'est pas là pour faire de la belle musique. J'aimerais que la musique soit belle à chaque fois, donc je travaille le plus que je peux là-dessus, mais ce que je souhaite le plus c'est sur l'expérience de jeu qu'elle réponde à ce que le joueur ressente. Il y a vraiment une possibilité pour les compositeurs d'exprimer leur musique pour l'expérience joueur. Je pense que ceux qui seront les John Williams de demain le feront sur des jeux vidéo.

Propos recueillis par Benoit Basirico

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