Interview B.O avec Jean-Michel Blais (MATTHIAS ET MAXIME, en Compétition Cannes 2019)

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Propos recueillis par Benoit Basirico

- Publié le 27-05-2019

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Le pianiste montréalais Jean-Michel Blais est l'invité de Benoit Basirico pour le film de Xavier Dolan.

Quel est votre rapport au cinéma ?

Jean-Michel Blais : J'ai toujours consommé beaucoup de cinéma. Très jeune il y avait un club vidéo près de chez moi et j'étais attiré par les films du répertoire, des films plus "cannois" que hollywoodien.

Le piano est votre instrument depuis toujours ?

J.B : J'ai commencé tard, j'ai commencé sur l'orgue quand j'avais 11 ans, puis je découvre le piano ensuite. Je me suis retrouvé chez la mère d'un de mes meilleurs amis qui avait un piano à queue. Je suis tombé en amour avec l'instrument. Après je suis entré au conservatoire que j'ai quitté abruptement. Je me retrouve à faire de la musique alors que ce n'était pas du tout prévu, j'avais pris une toute autre direction.

Quelle est la part d'écriture et d'interprétation improvisée dans votre création ?

J.B : Dans mes premiers cours de piano je structurais mes improvisations, j'ai appris à écrire mes improvisations. J'ai conservé cette méthode. J'ai appris ensuite que les gens fonctionnent d'une autre façon. Mais ce n'est pas du tout rationnel mon truc, c'est très intuitif, impulsif.

Y a t-il un lien avec le jazz ?

J.B : Oui et non. L'improvisation était très présente dans la musique classique, ça s'est perdu avec le temps. Bach et Mozart improvisaient constamment. Puis le jazz, qui est beaucoup plus récent historiquement, s'est approprié ça et a étendu le rapport à l'improvisation. J'ai eu longtemps un complexe d'infériorité par rapport aux jazzmen, puis je me suis rendu compte que ce que je faisais avait une certaine valeur. Je pense au classique, au baroque, au clavecin, quand tu réalises qu'il y a une grande tradition qui s'est perdue, ça donne envie de renouer avec cela.

Votre premier album date de 2016, vous avez eu envie de structurer vos improvisations sous forme d'album ?

J.B : La musique est chez moi un besoin comme manger ou dormir, et à un moment j'avais un trop-plein, j'avais juste besoin de mettre mes idées quelque part, parce que je commençais à oublier, j'avais trop de pièces dans ma tête, je n'arrivais plus à me rappeler. J'ai juste pris un petit micro et j'ai improvisé. J'ai mis ça en ligne et la maison de disque l'a repéré. Il y a eu des articles dans le Time Magazine. La vague était tellement grande que ça m'a forcé à arrêter mon travail (j'étais professeur en éducation spécialisée).

Qu'est-ce qui vous plait dans la musique de film ?

J.B : J'aime dans la musique de film le concept du thème et des variations avec un ou deux thèmes forts et des déclinaisons à travers tout le film. Je suis très intéressé par les bandes sonores parce que je trouve que c'est une esthétique très particulière, ce sont des pièces qui ont 30 secondes ou une minute et qui ont une cohérence entre elles. C'est un univers vraiment fascinant, ça vit de façon autonome et ça vit à travers le film. Et il y a cette façon d'aller juste en dessous du dialogue et de l'image, sans jamais prendre trop le dessus. J'ai appris dans mon expérience avec Xavier Dolan que si je fais un thème trop fort, une mélodie trop présente, ça peut avoir sa fonction dans le film mais pas constamment, parce qu'on accompagne, on suggère, on tente quelque chose... c'est un rapport différent. Je compare la musique de film à une aquarelle, c'est une peinture qui est transparente, il faut qu'on puisse un peu voir à travers, pour comprendre ce qui se passe derrière. Quand je suis un interprète pianiste, je suis seul sur scène, pour un show d'une heure et demie, il faut que je capte l'attention pendant une heure et demie sans arrêter, là ce n'est pas le projet, on se met au service de quelqu'un d'autre, c'est extrêmement libérateur aussi.

Comment s'est déroulée la rencontre avec Xavier Dolan ?

J.B : Il m'appelle, me dit qu'il aime ma musique et me demande si je souhaite faire celle de son prochain film. Je me sens minuscule comparé à Xavier, et de sentir que j'ai une certaine valeur à ses yeux donne une espèce de confiance. Et puis on se parlait au téléphone alors que j'habite à 3 minutes en vélo de chez lui. Il me propose alors de le retrouver, j'ai pris mon vélo et je suis allé chez lui. On a écouté toutes sortes de musiques, Il y avait déjà toutes les pièces qui sont dans le film, et aussi des pièces instrumentales d'inspiration. Il avait mon titre "Roses", son coup de coeur, qui devait au départ figurer dans le film, mais ensuite il me dit qu'il a envie d'avoir de la musique originale. Au départ ma musique était déclinée de "Roses". Puis ensuite en studio j'enregistrais des improvisations et Xavier repartait avec sur le tournage. Je pense que le choix de faire appel à un voisin a créé une sorte de proximité, c'est ce qu'il voulait. Il y avait vraiment cette volonté d'un retour aux sources. Il avait aussi cette volonté de m'essayer, de me révéler, de voir ce que ça donnerait, je ne le remercierais jamais assez.

Il y a une prise de risque dans le choix d'un musicien qui découvre cette activité pour le film...

J.B : D'autant plus qu'il y a eu des erreurs pendant que j'enregistrais. A un moment il y a un téléphone qui a sonné pendant une prise. Quand Xavier a reçu le morceau il a coupé la partie où il y a la sonnerie, la composition est ainsi raccourcie, il a fait ensuite son montage d'images sur cette pièce, c'est ce qui est dans le film. Il y a eu plein de beaux accident comme ça. Le regard artistique du cinéaste, c'est d'avoir une vision, mais aussi d'être capable de s'adapter. Il a ainsi par moment adapté son montage à la musique.

Quelle était votre source d'inspiration, et quel rôle devait avoir la musique par rapport à l'histoire du film ?

J.B : Mon rôle était de parler des univers intérieurs des deux personnages, de Matthias et Maxime, de leur relation, de leur évolution. Et pour l'inspiration, Xavier m'a fait écouter du Schubert (le deuxième mouvement de la sonate en la mineur n° 16), ça m'a fasciné pour deux raisons, parce que Schubert est un personnage historique dont on ne connaît pas beaucoup de la vie intime (il y a des spéculations sur son éventuelle homosexualité), je trouvais ça intéressant qu'il y ait eu un coup de foudre pour ce compositeur, puis aussi c'est le seul mouvement de toutes ses sonates qui est sous forme de thèmes et variations, Xavier a fait ce choix intuitivement, je ne pense pas que c'était rationnel. Il y a donc cette structure là sous-jacente. Mes pièces tournent autour, mais le thème est inexistant, je ne joue jamais de Schubert, mais j'ai comme cette structure autour de laquelle j'improvise. Là il y a un rapport avec le jazz, dans la manière de créer à partir d'un arc commun.

Et vous disiez que Xavier Dolan amenait votre musique sur le plateau ?

J.B : J'ai demandé à Xavier si je pouvais assister au tournage, je n'ai jamais vu ça de ma vie, j'espérais aussi mieux comprendre le rôle de la musique. C'est là que j'ai appris que pendant une prise un morceau était joué, le morceau "La Solitude". J'avais la chair de poule, je me cachais, j'étais stressé, en plus j'entendais les imperfections de la pièce. Les acteurs jouaient donc sur la musique, sur le plateau, au point même où dans certaines scènes on entend dans les micros si on écoute bien la musique qui joue. J'ai l'impression d'être un acteur qui avait un rôle à jouer sans paroles.

Votre musique est habitée par une certaine mélancolie...

J.B : Il y a un va et vient entre la mélancolie et la pureté. Xavier tenait à ce que ce soit simple pour contrebalancer la puissance des émotions, avec un piano claire, fragile, sans extravagance, qui s'adresse directement au coeur.

Est-ce que Xavier Dolan lâchait prise sur la musique ?

J.B : Pas du tout. Il sait exactement ce qu'il veut mais il ne connait pas les termes techniques. On créé la musique ensemble. C'est de la création pure.

 

 

Propos recueillis par Benoit Basirico


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