Interview B.O du tandem Julie Roué et Erwan Le Duc (PERDRIX, Quinzaine des Réalisateurs, Cannes 2019)

perdrix,rouet, - Interview B.O du tandem Julie Roué et Erwan Le Duc (PERDRIX, Quinzaine des Réalisateurs, Cannes 2019)

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico - Publié le 29-05-2019

 Accédez à notre espace dédié du Festival de Cannes 2019




Julie Roué signe la musique de cette comédie décalée, premier film de Erwan Le Duc, avec un thème mêlant le saxophone au piano, avec marimba et quatuor de cordes. 

Cinezik : Comment la rencontre s'est faite ?

Julie Roué : C'est la première fois que tu travailles avec un compositeur...

Erwan Le Duc : En effet. Comme j'avais fait les ateliers d'Emergence, j'ai regardé les gens qui y avaient participé, j'ai tapé leur nom un par un sur des moteurs de recherche, j'ai été voir leur site et j'ai écouté leur musique. J'ai donc découvert ainsi les musiques de Julie, j'ai écouté tout ce qu'elle a fait. J'ai trouvé vraiment intéressant qu'elle soit très variée éclectique, avec parfois des choix assez forts qui me plaisaient, qui me paraissaient pertinents pour le film.

Quels étaient les premiers échanges entre vous pour définir la musique de PERDRIX ?

J.R : Je me souviens que dans notre première conversation tu m'as parlé de marimba et de flûte de pan. Il y avait ce désir d'avoir des instruments qui nous apportent quelque chose d'exotique, dans ce décor des Vosges. Et une des choses que j'ai eues constamment en tête, c'était de surprendre, de ne pas coller aux images, d'être vraiment dans une proposition en décalage. Il y avait aussi l'idée d'accompagner l'état sauvage des personnages qui n'est pas visible mais qu'ils ont à l'intérieur.

E.L : J'avais en effet parlé de choses un peu exotiques, j'avais même une référence de musique africaine assez particulière ("Psychedelic Sanza" de Francis Bebey) qui parait improbable mais qui m'accompagnait dans l'écriture du scénario. Il y avait quelque chose d'un peu aventurier là dedans. Puis finalement on n'est pas allé vers ça, c'était un point de départ, mais il y a des choses qui restent, il y a encore le marimba.

Et il y a aussi un piano sur un morceau...

J.R : Oui, je suis allé à un Noël chez ma mère en Bretagne, j'ai posé un petit enregistreur à côté de son piano sur lequel j'ai appris à jouer il y a fort longtemps, qui est d'ailleurs dans un état pas terrible, pas très bien accordé. J'ai enregistré pendant pendant une demi-heure des improvisations. J'ai un peu monté les meilleurs moments comme un petit best-of et je vous ai fourni ça. On entend l'acoustique de la pièce, le tabouret qui craque, et tout ça c'est resté ! Au départ je m'imaginais qu'on allait le réenregistrer sur un joli piano en studio. Non, chaque craquement est resté à sa place. Il y avait quelque chose de l'ordre de l'instant qui a été capturé.

Quel a été le travail thématique de cette partition ? On a un thème bien présent au début, qui va se rendre moins perceptible par la suite...

J.R : A l'image de cette famille dysfonctionnelle qui a une mécanique bien huilée, bien rodée et routinière, et qui va perdre ses repères, le thème qu'on entend deux fois clairement au début va être moins reconnaissable en tant que thème, même s'il est là partout. On va l'entendre juste par un sifflement un peu faux, et à la fin du film on va le retrouver au piano, d'une façon très différente, beaucoup plus douce.

E.L : A la fin c'est plus de l'ordre du ressenti, mais il y a un vrai plaisir de retrouver ce thème, on le rattrape à la fin, ça nous remet dedans. C'est à nouveau ça mais autrement.

La première fois qu'on entend ce thème il y a la présence d'un saxophone, presque jazz...

J.R : Je ne qualifierais pas forcément ce morceau de jazz, peut-être que ça donne cette impression parce qu'il y a un saxophone, mais c'est plus du "classique déglingué" parce qu'il y a toujours des dissonances dans les accords, avec un rythme comme une danse habanera. C'est un saxo qui n'est pas joué jazz volontairement. La musicienne vient du classique pour se dépouiller de cette référence-là. Après il y a forcément tout l'imaginaire qu'on associe au saxophone.

Comment avez-vous défini l'emplacement et la nécessité de la musique ?

J.R : L'idée était que le film marche déjà sans musique, et qu'il y en est uniquement quand le film l'appelle vraiment, pour éviter de souligner chaque blague. La musique est donc là parfois pour signaler qu'on a le droit de rire, parce que ce n'est pas toujours évident, notamment à l'ouverture du film on commence avec un énorme accord majeur qui vient dire qu'on assiste à une grande pièce de théâtre quelque part.

Aviez-vous des références ?

E.L : Je peux citer 'L'homme de Rio" (Philippe de Broca) ou "Le Sauvage" (Rappeneau) comme références sur l'intention, sur l'idée d'aventure, de mouvement, de course, d'emballement et d'enchantement. Forcément la musique tout d'un coup nous amène ailleurs, elle cavale dans différentes directions. Chaque moment musical ouvre l'espace du film, la musique propose autre chose. L'émotion bouge. Il y a cette volonté que ça puisse être ouvert, le plus ample possible.

Quel a été le travail du montage sur l'ensemble des éléments du film ?

J.R : Tout le début du film est vraiment dans le registre de la comédie et joue beaucoup sur la mécanique du son et des images.

Julie Dupré (monteuse) : Le travail musical du film se fait sur les dialogues, le montage son, et la musique. Les raccords sont comme des percussions, comme des contretemps, on fabrique la musicalité du film plus globale. Et on a eu cette chance de travailler dès le début, très tôt dans le montage avec Julie, en collaboration, en échange, et on a construit tout le rythme du film avec cette complémentarité et toutes les énergies, tout le mouvement émotionnel du film, on l'a complètement construit avec la musique.

E.L : Julie (Dupré) était très forte pour bidouiller le travail musical de Julie (Roué), il y avait des morceaux où on se mettait à recouper dedans, à réajuster, à enlever une partie, donc il fallait vraiment avoir l'oreille pour pouvoir le faire en direct. Et puis il y a aussi des moments où j'ai choisi de garder cette forme un peu artisanale.

J.R : J'ai vraiment proposé beaucoup de musique, et après je les ai laissés en faire ce qu'ils voulaient au montage, pour retrouver un choc avec les images.

E.L : C'est comme avec la direction d'acteurs, je ne sais pas quelle est la méthode, j'ai l'impression qu'il faut la réinventer à chaque fois. Avec Julie, elle est arrivée lorsqu'on a commencé le montage, elle a  commencé à travailler avec des images... est-ce qu'il faut plus travailler avant ou pas, je ne sais pas. En tout cas on a essayé des choses. Parfois je lui ai demandé d'écrire un truc sans regarder les images. C'est plus de l'ajustement et d'essayer de trouver la manière de travailler en le faisant.

 

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

Cinezik Radio

Interview B.O du tandem Julie Roué et Erwan Le Duc (PERDRIX, Quinzaine des Réalisateurs, Cannes 2019)


En savoir plus :

Vos avis