Interview : Patrick Doyle se confie, 'un compositeur c’est comme un autre metteur en scène'

doyle,festival-aubagne, - Interview : Patrick Doyle se confie, 'un compositeur c’est comme un autre metteur en scène'

Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 29-07-2019




Le compositeur écossais Patrick Doyle évoque ses collaborations avec Kenneth Branagh (HENRY V, THOR), Mike Newell (DONNIE BRASCO, HARRY POTTER & LA COUPE DE FEU), Régis Warnier (INDOCHINE), Brian De Palma (L'IMPASSE), Robert Altman (GOSFORD PARK), avec les Studios Pixar ou Marvel, et révèle ses méthodes de travail. Cet entretien est une version partielle des propos tenus par le compositeur lors des rencontres animées par Benoît Basirico au Festival d’Aubagne 2019.

Avant de composer de la musique pour des films internationaux, vous étiez musicien pour le théâtre écossais... comme s'est faite la transition ?

Patrick Doyle : J'ai commencé en 1976 jusqu'en 1987 au théâtre, j'y faisais beaucoup de choses, j'étais à la fois compositeur mais aussi acteur et directeur musical. Puis j'ai décidé de complètement arrêter ma carrière d'acteur et de me concentrer uniquement sur la composition musicale. Et c'est grâce à la rencontre majeure de ma vie, celle avec Kenneth Branagh sur le film HENRI V (1989). C'est la première fois que j'ai composé la musique d'un film à part entière. J'avais un peu insisté pour le faire. Avant cela je ne me mettais pas vraiment en avant, les choses arrivaient un peu comme ça, une chose en entraînant une autre, mais là c'est la première fois avec Branagh que je me suis mis en avant et que j'ai voulu faire cette musique de film. C'était important pour moi. Au théâtre, il m'est arrivé de diriger des petites chorales avec quatre instruments, ça n'allait pas beaucoup plus loin. Mais là pour la première fois j'ai eu à faire un travail majeur. Et depuis Branagh est vraiment devenu un très bon ami, je travaille d'ailleurs en ce moment pour lui sur un projet. Entre nous, c'est une relation de confiance, une relation honnête, on sait être diplomates, comme le sont les anglo-saxons, on ne veut pas blesser l'autre, on dit les choses mais de façon diplomatique. Il y a aussi une grande patience, on a beaucoup de traits en commun, on est très déterminé, des perfectionnistes, des passionnés, presque des obsessionnels dans le travail. On est tous les deux des Celtes, c'est très important, on vient de la même culture. Branagh est irlandais, il vient de Belfast, donc il y a cette culture celte, et dans le travail il a cette technique très anglaise et cette rigueur. Pour créer une belle œuvre, il faut avoir ce contact humain.

30 ans de relation avec Kenneth Branagh en 15 films, donc quasiment un film tous les deux ans... à quel moment vous intervenez avec lui ? Comment se construit le dialogue avec le réalisateur ?

P.D : Avec Kenneth Branagh on se comprend tout de suite. On n'a presque pas besoin de parler. Dès le premier appel téléphonique je commence à trouver des idées. Il me parle du film, il me dit où il sera tourné (en Toscane par exemple pour BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN, 1993), et automatiquement je commence à me projeter dans l'univers. Le réalisateur me décrit précisément chaque personnage, toujours avec beaucoup de passion et de détails. Donc mon imaginaire s'envole tout de suite. On est donc sur la même longueur d'onde dès le premier coup de fil. Après je peux donner des suggestions, parfois même comme un défi et Kenneth me dit s'il aime ou pas. Il y a une complémentarité qui va s'instaurer tout le long du processus et ce qu'il apprécie particulièrement c'est mon enthousiasme. Il l'est aussi.

Dans quelle mesure le style orchestral que l'on vous attribue est votre style musical personnel ou est le fruit de la collaboration et des commandes ?

P.D : Mon style est la somme de mes inspirations. Toutes les formes d'art m'inspirent, la sculpture, la peinture, le cinéma, la littérature... Et j'écoute toutes les musiques, j'absorbe tout. Je conseille d'être touche-à-tout, de connaître la palette des différentes formes d'art. Il faut se créer son propre répertoire selon son propre goût. C'est en ayant tout écouté que l'on peut être sûr de ses propres goûts et de ses propres choix en matière musicale. Quand on travaille avec quelqu'un de la qualité de Branagh, quand on arrive avec une idée il faut qu'on soit à la hauteur. Les grands réalisateurs aiment travailler avec des gens qui soient à leur hauteur. Il faut donc avoir cette grande culture artistique quand on leur propose quelque chose pour leur montrer que cela ne vient pas de n'importe où. Il faut qu'il y ait de la substance dans toutes les propositions. Il faut montrer à ces réalisateurs que l'on est prêt à partager la lourde tâche avec eux de porter sur nos épaules tout un film. Et c'est à partir de là qu'il y a une confiance qui se créé avec ces grands réalisateurs.

Vous préférez avoir Carte Blanche ou avoir des intentions précises de la part du réalisateur ?  

P.D : Le compositeur doit s'adapter aux demandes du réalisateur. J'aime avoir des intentions très précises. Je déteste être dans le flou. Les plus grands réalisateurs avec lesquels j'ai travaillé, que ce soit Kenneth Branagh, Mike Newell ou encore Brian De Palma, savent dire ce qu'ils aiment ou n'aiment pas dans la seconde. "I love it ! I hate it !"

Quel est votre regard sur les références, qu'elle soient indiquées verbalement par le réalisateur ou placées sur le montage temporairement ?

P.D : Vous devez être un peu caméléon, il faut être tout à la fois, à la fois diplomate, à la fois fort, et patient. Le travail c'est 30 % la musique et 70 % de parvenir à comprendre l'esprit du réalisateur, savoir ce qu'il veut. C'est l'essentiel du travail. Une fois qu'on a compris ça, composer la musique c'est facile. J'ai travaillé une fois avec un réalisateur qui avait trois musiques en tête, simplement parce que c'était des morceaux qu'il aimait. Il les avait écoutés dans son enfance, et j'ai dit que ça ne convenait pas, que ça ne disait rien de son film et qu'il allait perdre le spectateur. Ça racontait tout de son enfance mais rien de son film. De mon côté je pouvais lui écrire quelque chose plus adapté. Il m'arrive ainsi de changer l'avis du réalisateur. Je fais des propositions. Par exemple pour la scène du bal dans CENDRILLON (2015), la première danse du film est une valse au rythme très lent, je voulais que la danse qui suit soit une polka plus rythmé. Là-dessus je me suis volé à moi-même un morceau que j'avais écrit quand j'avais 16 ans, je m'en suis rappelé, et donc je l'ai proposé tout de suite à Branagh qui a adoré.

Vous évoquez la notion de "caméléon", est-ce que vous vous considérez comme un acteur (ce que vous avez été), capable d'endosser plusieurs rôles ?

P.D : Pour moi un compositeur c'est plutôt comme un autre metteur en scène. Quand j'étais petit, je regardais beaucoup la télévision, et je faisais attention aux mouvements de caméra, je percevais tout ce qui se passe dans l'image. Sur INTO THE WEST ("Le Cheval venu de la mer" de Mike Newell, 1992), un film sans argent, je devais créer la magie du film. Le réalisateur m'avait lui-même avoué que sans la musique il ne se passe rien. A l'écran on voit un cheval blanc, et bien j'ai imaginé tout un univers magique autour de ce cheval. J'ai ainsi contribué à élever le film vers un aspect magique, alors que sur l'écran on ne voyait qu'un cheval. Aussi, le jeu de l'acteur Gabriel Byrne était toujours énervé, j'ai donc proposé une partition en contraste, beaucoup plus douce, en utilisant la harpe. J'ai voulu dire que c'était aussi quelqu'un qui a un cœur. C'est grâce à cela que des années plus tard il m'a confié la partition de son HARRY POTTER, parce que j'avais été capable d'imaginer le côté magique.

A propos de HARRY POTTER, vous êtes intervenu sur la saga juste après John Williams...

P.D : Il fallait être courageux, j'ai même failli dire non, je craignais qu'on m'impose de reprendre le thème qui avait déjà été composé par Williams. J'ai beaucoup parlé avec le réalisateur, et dans ce quatrième épisode les personnages ont évolué, ils sont plus âgés, l'histoire est beaucoup plus sombre, et il y a une histoire d'amour, avec un bal. Ce sont autant de choses nouvelles qui donnent de nouvelles opportunités. Il y avait de nouvelles atmosphères et ambiances. Ce film a permis de faire la musique que je voulais. Et en tout, j'ai dû reprendre 25 secondes du thème original, donc ce n'était pas gênant pour moi de passer après un compositeur de cette envergure. Mais il ne faut pas hésiter à dire non si on ne le sent pas, même si mes enfants me disaient que ce n'était pas possible que je dise non à Harry Potter. D'ailleurs je viens de refuser un très gros film qui m'aurait pris 8 mois de travail, mais les conditions n'étaient pas réunies. J'ai conscience de ma chance. Quand on est un jeune compositeur, on ne peut pas renoncer pour des grandes franchises qui viennent vous chercher. Mais à 67 ans, j'ai le choix de pouvoir dire non. La priorité pour moi est d'y prendre du plaisir. Il y a quelques années j'ai dit non à un très grand réalisateur, et 10 jours après je me suis demandé si je n'avais pas fait une erreur, mais finalement dans la vie il y a parfois quelque chose d'autre qui arrive sur le chemin, une porte se ferme puis une autre qui s'ouvre. Et effectivement quelques jours après j'ai eu un appel de Robert Altman qui me proposait de faire la musique de GOSFORD PARK (2001). Il se trouve que le film pour lequel j'ai dit non a fait un échec pas possible, alors que le Altman est devenu un classique du cinéma et ce fut une très belle rencontre. Il faut surtout être honnête avec soi-même et ne pas faire les choses uniquement pour l'argent. Ce n'est pas un bon karma de se focaliser là-dessus.

Quelle est votre considération envers le travail mélodique qui a tendance à se perdre à Hollywood ?

P.D : La mélodie c'est ce qui est central, au cœur de tout. J'ai plein de mélodie dans la tête depuis que je suis tout petit, donc écrire des mélodies ce n'est pas difficile pour moi. Certaines personnes sont difficiles, mais la musique est pour moi toujours facile. Quand j'ai travaillé sur THOR (Kenneth Branagh, 2011), la production Marvel avait demandé une musique très moderne, très rythmée. Kenneth Branagh avait invité le directeur des studios Marvel à venir écouter pour la première fois ce que j'avais composé. C'était la première fois que ce grand directeur de production se retrouvait dans une salle de studio avec un compositeur au piano. Ce grand boss de Marvel a été épaté, il a trouvé ça magnifique, alors que j'avais proposé une musique beaucoup plus douce que ce qui était demandé. Et ma musique a été retenue. Tout le monde aime les mélodies, tout le monde se rappelle de mélodies, ce soit de Michel Legrand ou Maurice Jarre, elles ont marqué l'histoire du cinéma, la mélodie est un voyage, elle doit nous amener quelque part. J'aime construire des mélodies harmonieuses. Je prends des motifs et je les associe pour que chaque partition soit fluide, en pensant au premier mouvement de la 5e symphonie de Beethoven. Ce processus de création est un miracle, mais il faut parvenir à convaincre les réalisateurs que le thème est ce qu'il faut pour leur film. Je prends l'exemple de Mike Newell pour HARRY POTTER ET LA COUPE DE FEU (2005) qui était obsédé par une image, celle d'un serpent. Il me fallait trouver un motif revenant tout au long du film et qui correspondait à ce serpent. Au cœur du métier de compositeur il y a cette capacité de trouver des mélodies qui vont correspondre véritablement à l'idée de ce que le réalisateur a de la scène.

Vous vous êtes confronté aux blockbusters (HARRY POTTER ou THOR) grâce aux cinéastes (Mike Newell et Kenneth Branagh) avec lesquels une confiance est instaurée, mais est-ce que le changement de type de production change la nature de la collaboration ?

P.D : La seule différence qu'il peut y avoir c'est qu'avec un gros budget le studio peut parfois donner des instructions, alors que quand c'est un film indépendant, il y a beaucoup plus de liberté, d'autant que souvent le producteur est aussi le réalisateur. Avec Kenneth Branagh et Mike Newell, tous les deux aiment les acteurs, leur laissent beaucoup d'espace, c'est donc la même chose qui se produit avec le compositeur. Dans ces deux cas, mon travail et ma loyauté sont avec le réalisateur, pas avec les producteurs, notamment dans le premier mois, je travaille exclusivement avec le réalisateur. Si jamais j'entends des choses négatives venant de la production, je renonce au projet. Ou alors le réalisateur et moi sommes tous les deux licenciés par la production, ce qui est arrivé trois fois. Maintenant dans le métier on sait qui je suis et comment je fonctionne. J'ai maintenant une réputation. Un jour je parlais avec Robert Altman d'un compositeur, et il me répondait que c'était un gars des studios. Ce n'est jamais bon d'être considéré comme celui qui est à la botte des producteurs. Le travail se fait en partenariat entre le compositeur et le réalisateur.

La musique de film est un territoire qui peut se nourrir d'autres cultures, vous avez ainsi pu convoquer le folklore dans certaines partitions, notamment issu de la culture écossaise que vous connaissez bien (dans REBELLE pour Pixar, 2012)...

P.D : C'était facile pour moi de faire de la musique écossaise, puisque c'est mon enfance et ma culture, tout ce qui coule dans mes veines. J'étais ravi que Hollywood me confie à moi une musique pour un film qui se passe en Écosse et qui utilise le folklore écossais. Les producteurs m'ont révélé qu'ils ne savaient pas du tout que j'étais écossais. C'était juste qu'ils adoraient ma musique. Ce film a eu un succès phénoménal en Écosse, c'est devenu une vraie légende, et récemment un orchestre philharmonique d'Écosse a joué en concert cette partition. C'était fabuleux. Les studios Pixar sont très respectueux de la culture écossaise, c'était très nouveau pour moi, car quand j'étais petit je n'avais pas le droit à l'école de parler l'Écossais, je devais parler anglais. Depuis les années 60 cela a changé. On peut désormais parler avec sa langue locale. J'ai été ravi des critiques du film qui mettaient en avant la véracité de la langue écossaise utilisée et de cette musique. Ils sentaient que ce n'était pas quelque chose de fabriqué, mais c'était authentique. Pour la première fois dans un film Disney il y avait une chanson en langue gaélique.

Vous dites que Pixar vous a appelé parce qu'ils aiment votre musique, c'est aussi le cas du français Régis Wargnier qui vous avait appelé pour INDOCHINE (1992) car il écoutait la musique de HENRI V lors de la préparation de son film...

P.D : C'est grâce à Gérard Depardieu qui doublait le rôle D'HENRI V pour la France, et a parlé de ma musique à Régis Wargnier. J'ai eu la chance à cette occasion de rencontrer Catherine Deneuve, une actrice fantastique ! Le travail avec lui était très agréable, il a reconnu que j'avais très bien compris la trame de l'histoire, donc une confiance entre nous s'est instaurée. Cependant, lors de la première du film à Paris, j'étais assis dans la salle avec ma femme, et je me rencontre pendant la projection qu'une partie de ma musique avait été coupée, je suis furieux, je décide de quitter la salle. Lorsque je reviens je remarque la même chose. J'ai failli quitter la salle une seconde fois. Après la projection je me retrouve dans un café avec Catherine Deneuve qui me dit gentiment que ma musique était fantastique. Ma femme me dit que ce n'était pas très professionnel de dire cela. Après cette première à Paris qui m'avait laissé assez en colère, je suis rentré chez moi en Écosse. Au bout de quatre jours je me suis calmé, je me suis demandé si j'avais bien réagi, je n'étais pas fier de moi. A ce moment-là je reçois un appel de Regis Wargnier, je me suis tout de suite excusé, et j'ai eu beaucoup de chance ce jour-là que Régis me rappelle, car j'ai fait ses films suivants.

Pour terminer, comment était votre collaboration avec Brian De Palma sur L'IMPASSE (Carlito's Way, 1993) ?

P.D : De Palma m'a juste demandé de lui faire une musique et de nous revoir plusieurs mois après. Je lui ai répondu que je ne fonctionnais pas comme ça. Je voulais le voir, lui rendre visite à New York. J'avais écrit la musique d'ouverture du film et je suis allé lui jouer à New York. De Palma a juste dit que c'était bien, sans autre commentaire. C'était si simple que ça. À l'époque j'étais enseignant en Écosse, j'enseignais la musique au Conservatoire, et pour pouvoir réaliser ce film et aller à New York rencontrer le réalisateur j'ai dû quitter l'école. Je me sentais coupable d'avoir quitté mes élèves.

Dans ce film il y a la fameuse scène à la gare, avec 10 minutes de musique, est-ce que cette durée était anticipée ou cela s'est trouvé au montage ?

P.D : J'ai découvert cette scène derrière le banc de montage avec le monteur. Brian De Palma sait toujours à l'avance ce qu'il veut. Et donc pour cette scène il avait dit aux monteurs les intentions précises. Dès le tournage il savait exactement de quelle manière il voulait que la scène soit montée. Il n'y avait pas de coupure particulière à faire, il suffisait de prendre la séquence telle qu'elle, telle qu'elle a été tournée, parce qu'elle avait été déjà imaginée par Brian de palma avec ses mouvements de caméra, et donc également sa musique. Travailler avec Brian de Palma était aussi simple que cela, il était visionnaire.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

En savoir plus :

Vos avis