carrie,donaggio, - Carrie (Pino Donaggio, 1976), le thriller et son contrepoint mélodieux Carrie (Pino Donaggio, 1976), le thriller et son contrepoint mélodieux

carrie,donaggio, - Carrie (Pino Donaggio, 1976), le thriller et son contrepoint mélodieux


par Benoit Basirico

- Publié le 20-09-2019




Pour Carrie, adaptation du premier roman de Stephen King, Brian De Palma inaugure sa collaboration avec le compositeur italien Pino Donaggio. Ce partenariat, qui s'étendra sur six films, naît d'une circonstance tragique : le décès de Bernard Herrmann, compositeur fétiche du réalisateur, juste après la livraison de la partition d' Obsession. De Palma se tourne alors vers Donaggio pour mettre en musique l'histoire de cette adolescente tourmentée et douée de télékinésie. Le compositeur italien se voit confier la double tâche de succéder à une légende tout en développant une identité sonore propre, capable de saisir les nuances complexes d'un film oscillant entre le drame psychologique et l'horreur pure.    

L'influence d'Herrmann est palpable et délibérément intégrée par Donaggio, qui lui rend un hommage appuyé. L'écriture des cordes, avec ses attaques stridentes et ses glissandos angoissants, évoque immanquablement l'héritage de Psycho, ancrant fermement le film dans le registre du thriller. Cependant, Donaggio s'écarte de son modèle en injectant dans sa partition un lyrisme mélodique qui lui est propre. Les thèmes principaux, portés par le piano et la flûte, sont d'une douceur et d'une mélancolie poignantes. Ce choix instrumental crée une dichotomie fondamentale : la tension anxiogène des cordes cohabite avec une tendresse mélodique qui va définir toute l'approche musicale du film.

La grande singularité de la bande originale de Carrie réside dans ce contraste audacieux entre la musique et la nature horrifique du récit. Plutôt que de simplement souligner la terreur, la partition de Donaggio choisit d'incarner l'innocence et la vulnérabilité de son héroïne. Les mélodies légères et romantiques accompagnent les rêves de Carrie, son désir de normalité et sa découverte d'un amour naissant. En habillant de nombreuses scènes d'un voile de pudeur quasi contemplative, la musique crée un décalage saisissant avec la cruauté des situations. L'horreur n'en devient que plus brutale lorsqu'elle fait irruption, car elle vient déchirer une quiétude musicale patiemment établie.

Cette symbiose entre l'image et le son atteint son paroxysme lors de l'inoubliable séquence du bal de fin d'année. Donaggio y déploie tout son savoir-faire narratif. La musique accompagne d'abord l'émerveillement de Carrie, couronnée reine du bal, avec un thème ample et romantique qui semble valider son rêve. Puis, au moment de l'humiliation suprême, la partition bascule dans le chaos. Les dissonances, les percussions agressives et les cuivres menaçants remplacent la mélodie, traduisant le basculement psychologique du personnage. La musique devient alors le moteur exclusif de la vengeance, se substituant aux dialogues pour exprimer une rage et une souffrance inexprimables par les mots, dans une séquence opératique où la vision de De Palma et le son de Donaggio fusionnent parfaitement.

La partition de Carrie est bien plus qu'une simple musique de film d'horreur ; elle est une composante essentielle de la psychologie du personnage et de l'efficacité narrative du film. Par sa capacité à exprimer la dualité de Carrie, entre innocence bafouée et fureur destructrice, Pino Donaggio ne se contente pas de succéder à Bernard Herrmann : il impose un style et une approche qui marqueront durablement le cinéma de Brian De Palma. Cette première collaboration est une réussite magistrale, où la musique ne se limite pas à accompagner l'effroi, mais contribue à le rendre profondément tragique et humain.

par Benoit Basirico


En savoir plus :

Vos avis