Interview BO / LA FILLE AU BRACELET : Stéphane Demoustier et Carla Pallone

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Propos recueillis par Benoit Basirico en février 2020 - Publié le 12-02-2020




[Podcast dédié à écouter] La violoniste Carla Pallone, membre du groupe nantais Mansfield.TYA et du trio Vacarme, signe l'envoutante musique de LA FILLE AU BRACELET (sortie le 12 février) de Stéphane Demoustier, proposant avec son violon un contrepoint dramatique aux joutes verbales et aux silences de ce puissant film de procès. 

Lise (Melissa Guers), 18 ans, est accusée d'avoir assassiné sa meilleure amie. Elle assiste aux échanges du procès destinés à éclairer les faits, interrogée par l'avocate générale (Anais Demoustier), tout en rentrant chez elle auprès de ses parents (Roschdy Zem, Chiara Mastroianni) avec son bracelet électronique au pied. Son silence étonne.

Avec le Podcast dédié en écoute, entretien enregistré dans les Studios de Aligre FM :

Cinezik : Il y a une puissance du silence dans ce film situé principalement dans une salle de justice...

Stéphane Demoustier : Le film se déroule beaucoup en cour d'assises, puisqu'on assiste au procès de cette jeune fille. Et ce qui m'avait interpellait quand je suis allé en cour d'assises, c'était que la parole est omniprésente, elle se déploie, on laisse le temps à chacun de s'exprimer, mais on entend aussi beaucoup les silences, par contraste. Le film est le portrait d'une jeune fille de 17 ans, c'est un âge où on s'échappe beaucoup, on a besoin de se rendre inaccessible, et le silence peut être une manière d'y parvenir. C'est donc un personnage qui parle peu. Le silence est donc habité et dynamique, il crée du mystère.

Et donc au départ la présence d'une musique n'était envisagée ?

S.D : Chacun a ses portes d'entrée. Le cinéma est un art impur, tout le monde peut s'autoriser à faire du cinéma à condition d'avoir une porte d'entrée. Moi je suis à l'aise dans l'écriture et avec les acteurs, mais j'ai une très mauvaise oreille. Je ne pense pas musicalement. Donc quand je conçois le film, je l'imagine sans musique, je suis incapable de le faire à ce stade. Mais comme beaucoup de réalisateurs, je suis artisan et très pragmatique. Quand on s'est retrouvé au montage il nous est apparu indispensable qu'il y ait de la musique. On a senti que ce film en avait besoin, pour plein de raisons, parce que les scènes de procès étaient très tendues et qu'on avait l'impression qu'il nous fallait autre chose, qu'on avait besoin d'un contrepoint tout aussi fort avec la musique. Aussi, le dialogue c'est beaucoup du rythme, et quand on sortait des dialogues du procès on avait besoin d'un autre rythme et la musique c'est cela. On l'a fait de manière très empirique avec Carla Pallone.

Est-ce que le rôle de cette musique est d'être parallèle au silence de cette jeune fille, d'être un peu la musique dans sa tête ?

S.D : Oui vous avez raison, on s'est dit que cette musique était un des accès à l'intériorité de cette jeune femme. Elle intervient dans les moments de latence, les moments entre les scènes de tribunal où elle est seule. Même si on la voit dans le regard de son père, elle est relativement seule, et la musique pouvait nous raconter cet état intérieur. Je voulais aussi que la musique ne soit jamais illustrative, qu'elle soit complètement assumée. J'ai dit à Carla qu'il fallait que ce soit une musique qui ait du caractère. C'est d'ailleurs un personnage qui a beaucoup de caractère. Je ne voulais surtout pas de musique à peine perceptible, je voulais qu'elle soit franche, non pas qu'elle illustre l'atmosphère mais qu'elle crée une atmosphère. Et donc j'ai demandé à Carla d'y aller !

Pourquoi le choix de Carla Pallone ?

S.D : Je me suis tourné vers Carla parce que c'est un film qui répond à des codes assez classiques, on est dans le film de procès malgré tout, et en même temps je voulais que ce soit un film qui interroge le monde dans lequel on vit, qui soit baigné dans un univers contemporain, on est ailleurs dans un tribunal très moderne. Et c'est le portrait d'une jeune fille de 17 ans, et comment on la voit aujourd'hui. Je voulais ainsi questionner qui était cette génération. Je voulais donc d'une musique contemporaine. Et Carla a cette double casquette, d'être une musicienne classique, une violoniste, et aussi une compositrice de musique contemporaine. Après il s'agissait très progressif, de voir si on arrivait à se parler, à peu près à se comprendre. Je suis incapable de parler de musique mais je sais dire j'aime ou j'aime pas. Et elle essayait d'interpréter musicalement.

Carla, avez-vous déjà pratiqué la musique de film ?

Carla Pallone : J'avais déjà pratiqué, mais sur des passages plus courts, ou sur des adaptations en documentaire, mais c'est la première fois que je bosse sur un long-métrage avec autant de musique.

Quel a été votre premier contact avec ce film ?

C.P : Avec Stéphane, le luxe était d'avoir un premier montage, qui faisait 3h, donc on a eu le temps de faire des allers & retours pour définir à la fois les endroits et les ambiances, d'avoir le temps de faire des propositions, de se dire on va plutôt par-là ou plutôt par-là. Et la liberté que j'ai appréciée était de pouvoir proposer des choses sur des passages que Stéphane n'avait pas nommés, qu'on a développés ensemble.

Vous avez pu définir les emplacements ?

C.P : Stéphane m'a quand même donné des indications, mais il était disponible pour accueillir d'autres propositions.

S.D : Quand on est réalisateur, on se réjouit quand nos collaborateurs nous rendre plus intelligent que ce qu'on est. J'avais des intuitions mais si la compositrice a une idée, qu'elle nous fait une proposition et qu'elle s'avère bonne, on la garde. Parfois Carla faisait une musique pour une séquence et on l'essayait dans un autre moment et Carla rebondissait là-dessus pour l'améliorer. On avance pas à pas. Et pour une scène de procès avec la mère qui témoignait à la barre, on a quand même voulu essayer de la musique là-dessus, mais on a très vite eu l'intuition qu'il n'en fallait pas, car l'expérience qui est proposée au spectateur est de vivre cet instant, d'assister à ce procès comme si on n'y assistait réellement. On ne voulait pas que la musique influence le spectateur. On a testé des choses avec Carla qu'on n'a finalement pas gardé, mais qui ont par ricoché alimenté autre chose.

C.P : Tout l'intérêt de travailler au cinéma, c'est que les images amènent à chercher des chose vers lesquelles je n'irais pas forcément naturellement. Il y a un dialogue qui se créé pour pouvoir chercher la musique, une musique qui ne ressemble pas à ce que je peux faire dans mes groupes. C'est comme un nouveau dialogue musical.

Avez-vous de votre côté imaginé la musique comme la musique intérieure du personnage ?

C.P : Cela s'est précisé ainsi à travers l'idée du thème et de son côté entêtant, c'est devenu évident au fur et à mesure.

La musique prend en charge également un côté thriller...

S.D : On ne se l'ai jamais formulé ainsi, mais en tout cas il y a quelque chose de tendue, la musique participe à une tension qui n'autorise pas de relâchement. On peut dire qu'elle nourrit le côté thriller, j'accepte cette idée.

Cela vient sûrement de l'ostinato, les boucles de violon. Il y a quelque chose de presque carcérale dans la musique...

C.P : Il me fallait trouver un juste équilibre pour ne pas forcer le sentiment, mais à la fois soutenir une émotion. Il y a tout de même une certaine pudeur, cette émotion est latente.

Une sobriété qui se retrouve dans le jeu de l'actrice, et la musique évite le pathos...

C.P : Il y avait cette volonté de ne pas enfoncer le clou...

S.D : On est d'accord, on ne voulait ni hystérie ni pathos. On a évité ces écueils. On voulait malgré tout qu'il y ait une musique avec une intensité.

Vous êtes violoniste, pour concevoir cette partition vous êtes passé par le jeu de l'instrument ?

C.P : On a cherché plusieurs timbres par l'intermédiaire du violon mais il y a toujours ce danger de rentrer dans quelque chose qui soit trop mélancolique ou trop nostalgique. Pour moi c'était un défi de réussir par l'intermédiaire du violon, mon instrument de prédilection, de trouver cette matière sonore ensemble.

S.D : On a plein d'idées reçues quand on est profane sur le violon. J'étais étonné de pouvoir faire une musique aussi intense avec autant de caractère alors qu'on est avec un seul instrument, je l'ai vue à l'œuvre, elle m'a montré toutes les ressources qu'il pouvait y avoir avec cet instrument. Il y a même des techniques qui permettent de changer les tonalités attendues et s'éloigner du cliché "sortir les violons".

Hildur Gudnadottir (Joker), rare femme à Hollywood, a prouvé que le violon ou le violoncelle soliste est une belle porte d'entrée à la musique de film...

C.P : J'espère déjà qu'il y a une porte d'entrée pour les femmes au moins. J'écoute beaucoup Hildur Gudnadottir, mais davantage ses albums, ses compositions pour violoncelle solo. Ce n'est pas du tout Hollywood.

Après cette première expérience de musique de film, avez-vous envie de poursuivre dans le cinéma ?

C.P : Ah oui ! Tout est une histoire de collaboration, mais je trouve ça très riche, ça permet de chercher de nouvelles formes, des nouveaux sons, donc avec plaisir !

 

Propos recueillis par Benoit Basirico en février 2020

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