• Lire la Critique sur le film par Benoit Basirico sur Bande à Part
Cinezik : Vous avez été révélée au public avec le violoncelle de AVA (2017) de Léa Mysius, présenté à la Semaine de la Critique...
Florencia Di Concilio : C'était une bande son qui n'a rien à voir avec celle dont on va parler. En général, quand on fait quelque chose qui a une certaine personnalité, on a tendance à nous demander ensuite de faire un peu la même chose. Cela peut séduire des réalisateurs qui cherchent le même grain de son, ils peuvent s'identifier à une personnalité musicale. AVA a forcément joué sur les choses que l'on m'a demandé de faire ensuite. Mais ça reste un film d'auteur donc l'impact est tout de même limité. J'étais donc touchée d'être approchée par Rémi Chayé pour CALAMITY car cela n'a rien à voir avec AVA, du moins en surface. Touchée qu'il ait trouvé dans cette partition des éléments intéressants, dans le jeu de textures, qu'il puisse imaginer cela dans un contexte différent plus mélodique et plus western.
En effet, après le violoncelle d'AVA, et la guitare électrique dans JUST KIDS cet été, puisqu'il s'agit d'un film d'animation sur l'enfance d'une figure du western, on y entend la guitare et le banjo...
F.D.C : Le côté Bluegrass était nécessaire car l'histoire le demande. On a pris cela comme base. Puis on a ajouté des couleurs propre au film. En tout cas, j'ai essayé de rester proche de l'histoire, géographiquement et historiquement.
Vous êtes d'un parcours classique, comment vous êtes-vous préparée à composer cela, en écoutant beaucoup de musique Country ?
F.D.C : Oui, j'ai découvert pas mal de choses. Mais la culture américaine ne m'était pas totalement étrangère puisque j'ai fait mes études là-bas. Mon goût musical s'est forcément imprégné des choses américaines. Mais j'ai appris qu'il y avait toute une scène underground Bluegrass en France, notamment en Auvergne, d'où vient notre banjoïste. Donc il y a de très bons musiciens français qui ont pu interpréter cette partition.
Comment la rencontre avec Rémi Chayé s'est-elle faite ?
F.D.C : J'étais dans un supermarché et mon téléphone sonne : c'était Coralie Jacquier de 22D Music (le label). Je ne pourrais jamais autant la remercier d'avoir pensé à moi pour ce projet. Le réalisateur avait le désir d'avoir une parité dans les postes clés de son film, donc il cherchait une compositrice. Mais j'ai eu surtout le projet car il a bien aimé ma musique. Sauf s'il est masochiste, ça peut arriver. (rires) Je sais qu'il avait rencontré d'autres femmes, mais il a eu un coup de cœur pour ma personnalité.
L'envie d'avoir une compositrice, est-ce également l'idée d'être une sorte d'alter-ego du personnage féminin du film ?
F.D.C : Peut-être, mais c'est surtout un engagement pour la parité.
Au-delà du contexte de production, pour la fabrication de la musique, une fois qu'il vous a appelée, à quel stade l'animation en était ? Vous avez pu travailler sur des animatiques ?
F.D.C : Tout à fait. Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est, de mon côté je l'ai découvert puisque c'est mon premier film d'animation, j'ai donc appris que l'animatique, c'est comme le story board d'un film, synchronisé en mouvement avec le son. Les scènes sont ainsi mises en mouvement, j'ai donc travaillé dans un premier temps sur ces animatiques, et petit à petit des couleurs apparaissaient, des formes s'ajoutaient... Et par la suite le montage a très peu changé. Au fur et à mesure que les couleurs s'ajoutaient, le film s'élargissait. La musique devait accompagner ce mouvement. Je tiens à souligner l'extraordinaire flexibilité de la production et d'Emmanuel Deletang de 22D Music. Nous sommes passés en quelques mois de quatre musiciens à un orchestre symphonique enregistré à Londres.
Il y avait donc un vrai confort de production pour la musique ? C'était un confort de pouvoir travailler avec un orchestre ?
F.D.C : Si je pouvais travailler tous les jours dans ces conditions ! Et pour l'anecdote, sur la chanson finale, la directrice de Prod' s'est prêtée au jeu de faire des chœurs. C'était merveilleux.
Est-ce que le réalisateur avait des références précises, vous a t-il fait entendre des musiques, ou alors vous aviez Carte Blanche ?
F.D.C : Au tout début il y avait quelques morceaux placés, juste pour le confort du monteur, mais il n'y a pas eu d'instructions. Puis dès qu'il y a eu mes premières maquettes, il a tout de suite tout remplacé.
Comme vous le disiez, en plus du style bluesgrass, un orchestre fait son apparition pour élargir le cadre. L'évolution de la partition vers cette dimension orchestrale correspond finalement au parcours d'émancipation du personnage, l'orchestre c'est le personnage qui prend son envol, c'est ainsi que vous l'avez pensé ?
F.D.C : Tout à fait. On peut ainsi trouver un parallèle avec AVA où c'était aussi le cas. Il y a une structure, une évolution. J'ai du mal à faire une partition qui soit un pot pourri, une collection des plus beaux succès du salon de Florencia. C'est l'histoire qui fait naître la musique, la partition se développe comme les personnages, comme la narration, comme les paysages aussi. Le film est aussi un road movie, jusqu'à arriver à cette énorme scène de fin où l'orchestre prend son envol face à l'énorme espace de Rocky Mountain.
Vous n'avez pas été tentée de pasticher Morricone qu'on associe au western...
F.D.C : Je ne peux que faire attention au film pour lequel je suis en train de composer. Si chaque film est unique, la composition doit l'être aussi. Et je ne peux pas m'empêcher de l'imprimer dans ma propre pâte créatrice. Et puis si j'avais essayé de faire du Morricone, ce serait de la caricature, et il n'y a rien de caricatural dans ce film.
Il y a aussi le travail mélodique, avec un thème qui revient régulièrement, cela favorise l'unité et l'identité du film...
F.D.C : Ça favorise aussi l'empathie, même pour des enfants. Quand mes enfants écoutent la mélodie, ils me regardent avec les yeux qui brillent. Ils me disent : "Ah, c'est CALAMITY !". J'ai compris d'ailleurs avec ce film les enjeux d'avoir un thème pour un personnage. Et c'est ce que j'ai inconsciemment fait.
Au-delà de l'écriture de thèmes, il y a aussi un aspect sonore dans votre musique, notamment lors des instants plus inquiétants du film. Vous participez à l'élaboration sonore de votre musique, que vous orchestrez vous-même...
F.D.C : J'aime donner à ma musique une profondeur dans les textures. Ce qui fait que la musique marche avec un personnage, c'est certes la mélodie, mais aussi la couleur qui va donner du caractère à cette musique. J'aime bien orchestrer moi-même ma musique. Car quand je pense une musique, je ne peux pas la dissocier de l'orchestration. Je préfère passer ce temps-là plutôt que de passer du temps à l'expliquer à quelqu'un d'autre. Je ne peux pas penser juste en terme mélodique sans penser à la manière dont cela va sonner, et donc aux instruments qui vont être utilisés, et même comment ils vont être enregistrés. Je visualise la musique en quelque sorte. Et l'orchestration est quelque chose de très technique. Les gens pensent qu'une femme fait une belle mélodie et que la chose technique va être laissée à un mec. Moi-même j'ai pu penser cela au début. Et donc je tenais à faire quelque chose de très technique moi aussi et que ça soit vu au générique du film.
Pour terminer, il y a les voix, celle du personnage est interprétée par Salomé Boulven...
F.D.C : Elle est absolument géniale. En l'ayant vu plusieurs fois je n'arrive toujours pas à l'associer au personnage. Ça montre à quel point elle est une comédienne formidable ! Et c'était sa première fois.
Elle chante d'ailleurs dans la chanson finale...
F.D.C : J'adore faire des chansons. Je le fais depuis toujours. C'est une des formes les plus épurées. Faire une belle chanson, c'est aussi compliqué que de faire une grande symphonie. Pour la chanson de CALAMITY, j'ai voulu co-composer avec le réalisateur qui a écrit les paroles. On a fait cela ensemble, avec une partie de l'équipe également.
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)