Signes (James Newton Howard) – Analyse musicale d'un film hitchcockien

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par Martin Mavilla

- Publié le 15-02-2021




Après "Sixième Sens" et "Incassable", M. Night Shyamalan retrouve pour la troisième fois le compositeur James Newton Howard sur la musique de Signes. Voici l'analyse musicale, en vidéo et par écrit, de Martin Mavilla.

À l'instar de Burton/Elfman ou Spielberg/Williams, Shyamalan et Howard font partie de ces duos inséparables : un réalisateur et un compositeur qui se sont parfaitement trouvés. Pour un film comme Signes, on pourrait davantage se référer à Hitchcock et Herrmann, l'histoire s'inspirant beaucoup des Oiseaux, allant même jusqu'à reproduire certains plans. De son côté, James Newton Howard rend hommage à Bernard Herrmann à travers un choix radical en construisant la musique du film à partir d'un motif de trois notes. Se définissant avant tout comme un mélodiste, Howard est d'abord connu pour écrire des thèmes mémorables dans la plupart de ses films. Par conséquent, la musique de Signes représente un exercice complètement nouveau pour le compositeur, qui déclare :

« Ça a complètement changé ma manière d'écrire la musique, car Night voulait que j'utilise une idée très simple. Mais je me suis rendu compte qu'en déclinant ce motif dans différentes harmonies, je pourrais écrire toute la musique du film avec une idée simple dont tout le monde se souviendrait. »

Un générique Hitchcockien

Howard met à exécution son concept dès le générique d'ouverture, à travers une musique incisive qui prend complètement l'auditeur par surprise. Cette répétition du motif nous maintient dans un état d'alerte et finit par créer un sentiment d'enfermement, au même titre que la famille se barricadant contre les aliens. La violence de ce générique n'est d'ailleurs pas sans évoquer celle de Psychose.

Dans la musique de Signes, on constate également que le motif est relayé par différents instruments de l'orchestre, au même titre que dans certains passages de La Mort aux Trousses. Ici, la propagation du motif à travers les instruments nous rappelle les crop circles se multipliant dans le monde et le danger pouvant surgir n'importe où.

Pour finir, l'élément le plus Hitchcockien de ce générique réside certainement dans son pouvoir évocateur, la musique étant présentée sous sa forme la plus intense avant-même le début du film, ce qui nous permet d'imaginer le pire d'entrée de jeu.

Un motif dissonant

Le motif de ce film est composé d'une répétition de trois notes : La - Ré - Mib.  La distance entre La et Mib constitue un intervalle de triton. Celui-ci procure un effet dissonant car il est situé entre la quarte (La - Ré) et la quinte (La - Mi), qui sont des intervalles dits « justes ». L'oreille a donc tendance à attendre que l'intervalle se résolve d'une manière ou d'une autre. 

Au Moyen-Âge, le triton était d'ailleurs surnommé « Diabolus in musica », de par son instabilité. James Newton Howard en use donc pour maintenir une tension tout au long du film. À certains moments, le motif peut également changer d'apparence, comme en témoigne le début du générique où les trois notes sont jouées aux violons sous forme d'accord.  Ce changement de forme est ainsi à l'image des extraterrestres pouvant se camoufler dans leur environnement tels des caméléons.

La peur sous plusieurs formes

James Newton Howard démontre également sa subtilité de narrateur pour la scène où Graham aperçoit la jambe d'un extraterrestre dans son champ de maïs en pleine nuit. La piste « In the Cornfield » nous offre une déclinaison mystérieuse et mélancolique du motif pour une scène d'effroi. Alors que le cliché du sursaut musical lui ouvrait les bras, Howard se place finalement du point de vue de l'extraterrestre s'en allant discrètement. Le choix d'une musique calme laisse également entendre le bruit effrayant du vent qui passe dans les feuilles au même moment, un effet sonore inaudible fut-il remplacé par un gros effet d'orchestre.Le compositeur parvient donc à jouer avec nos nerfs tout en délicatesse, mais la terreur peut s'avérer bien plus franche à d'autres moments, notamment pour la scène du goûter d'anniversaire où des enfants voient un extraterrestre passer dans la rue.

Howard opte ici pour des choix d'orchestration horrifiques comme des glissandi de cors, qui s'obtiennent en inclinant légèrement la main dans le pavillon de l'instrument, ce qui altère le son et créé un déséquilibre pour l'oreille. De son côté, le motif s'envenime dans un crescendo anxiogène. On notera la présence d'un violon solo exécutant des modes de jeux tels que le ricochet, consistant à faire rebondir l'archet sur la corde pour créer une sonorité dure et coupante.

Une menace métaphorique ?

Cependant, ce motif n'illustre pas toujours la menace extraterrestre, comme en témoigne la scène où la famille croise le docteur Reedy lors d'une promenade en ville. Il s'agit du vétérinaire ayant accidentellement tué la femme de Graham en s'endormant a volant de sa voiture.  Le motif est alors joué avec un caractère plus intime et dont la répétition traduit cette fois un deuil qui n'a pas été fait.

Les extraterrestres et la famille auraient-ils un motif commun ? Pour la dernière scène du film, James Newton Howard compose le remarquable « The Hand of Fate I & II », dix minutes de musique ininterrompues nous faisant passer de l'effroi, au deuil, puis à la libération du motif. Le compositeur a d'ailleurs décrit ce passage comme étant l'un des plus difficiles à mettre en musique de toute sa carrière.

Pour cette confrontation contre l'alien, le motif est d'abord développé dans un crescendo. Ce même crescendo qui faisait monter la terreur dans d'autres scènes retranscrit maintenant l'épiphanie de Graham, se remémorant la mort de sa femme, et dont les derniers mots lui serviront à trouver les indices pour venir à bout de la créature.

Lorsque la famille découvre que l'eau agit sur les extraterrestres comme de l'acide et que Bo faisait également partie de l'équation avec ses verres d'eau, le motif passe du violon solo à l'ensemble des cordes de l'orchestre. Les cuivres finissent ensuite par exprimer une saturation, bientôt suivi par le rugissement des flûtes ; après quoi le motif se déchaine en effectuant des allers-retours sur de grands intervalles, sublimé par des enchainements d'accords lumineux (Do - Lab - Fa). 

Au même titre que la famille affrontant ses démons à travers cette invasion, la musique parvient à se transcender elle-même. Le compositeur déclare à ce sujet : « Cette musique n'a rien d'horrifique, elle représente la transformation par la peur ; le fait de marcher au travers et passer de l'autre côté. »

James Newton Howard compose avec Signes l'une de ses musiques les plus audacieuses.  Ces trois notes entêtantes sont désormais aussi identifiables que le motif des Dents de la Mer ou que les violons stridents de Psychose : une idée simple et marquante. Cependant, le compositeur fait ici un pas de plus que ses prédécesseurs en parvenant à transformer l'horreur en beauté ; ce qui fait de cette bande originale un cas unique en son genre. 

 

par Martin Mavilla


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