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Conçu et animé par Benoit Basirico
- Publié le 07-05-2021En compagnie des superviseurs musicaux Astrid Gomez-Montoya (My Melody), Clément Souchier (Creaminal), Pierre-Marie Dru (Pigalle Production), membres de l'association ASM (Association des Superviseurs Musicaux). Quelles sont les missions de ce corps de métier dédié aux musiques préexistantes d'un film ? Quelle est leur implication auprès des compositeurs au service de la musique originale ?
Produit et Animé par Benoit Basirico
En compagnie des superviseurs Astrid Gomez-Montoya (My Melody), Clément Souchier (Creaminal), Pierre-Marie Dru (Pigalle Production).
Membres de l'association ASM (Association des Superviseurs Musicaux),
"Twisted Nerve" - Bernard Herrmann (dans "Kill Bill 1") supervisé par Mary Ramos.
"Knockin' on Heaven's Door" - Bob Dylan / Antony and the Johnsons (dans "I'm Not There") supervisé par Randall Poster.
La Belle époque - Anne-Sophie Versnaeyen, supervisé par Astrid Gomez-Montoya
"And i love her" - Les Beatles / Brad Mehldau (dans "Mon chien stupide"), supervisé par Astrid Gomez-Montoya
La Tortue rouge - Laurent Perez Del Mar, supervisé par Clément Souchier
"Move over the Light" - Laurent Perez Del Mar / Loic Fleury (chanson de fin dans "Les Invisibles"), supervisé par Clément Souchier
"La complainte du soleil" - Laura Cahen (chanson de fin dans "J'ai perdu mon corps"), supervisé par Pierre-Marie Dru
"Honoring the Dead" - Marc Streitenfeld (dans "Le chant du loup"), supervisé par Pierre-Marie Dru
"Passacaglia Della Vita" - Rosemary Standley & Dom La Nena (dans "Ava"), supervisé par Martin Caraux.
Site du Collectif : https://www.asm-supervisionmusicale.fr/a-propos
Cinezik : Pour commencer, une première sélection musicale d'illustres superviseuses ou superviseurs musicaux du cinéma, à commencer par Quentin Tarantino, qui est réputé pour être le cinéaste des musiques préexistantes, n'ayant collaboré qu'une seule fois avec un compositeur sur "Les Huit Salopards", avec Ennio Morricone. Mais avant cette collaboration, il avait pu emprunter évidemment au répertoire des musiques de films de Morricone, comme il l'a fait avec plein d'autres. Avec "Kill Bill : Volume 1", Tarantino rendait hommage aux films de série B des années 60, 70 et 80, et excelle dans la création de compilations explosives avec des titres parfaitement adaptés aux scènes du film. Tarantino a même réussi à faire découvrir des titres qui étaient jusque-là méconnus. Notamment ce titre de Bernard Herrmann, "Twisted Nerve", issu du film britannique "Sous l'emprise du démon", réalisé par Roy Boulting en 1968, et ressuscité par Tarantino dans "Kill Bill : Volume 1". Ce thème sifflé est récupéré dans le même emploi, puisque dans le film original, il s'agit d'un tueur en série, et dans "Kill Bill", il est associé au personnage de Daryl Hannah, tueuse à gages. Mary Ramos a supervisé la musique des films de Tarantino depuis "Pulp Fiction", dont celui-ci.
(Musique : Bernard Herrmann - "Twisted Nerve")
(Musique : Bob Dylan - "Knockin' on Heaven's Door", reprise par Antony and the Johnsons)
Cinezik : Après avoir écouté une musique de Bernard Herrmann choisie par Quentin Tarantino en collaboration avec la superviseuse Mary Ramos, nous entendions à l'instant la célèbre chanson de Bob Dylan, "Knockin' on Heaven's Door". Maintes fois reprise, notamment par les Guns N' Roses, elle apparaît ici dans "I'm Not There" de Todd Haynes, une sorte de biopic où différents acteurs, dont Cate Blanchett, montrent une facette du personnage de Bob Dylan. Au niveau des chansons, le principe est le même : différentes reprises des chansons de Dylan par des groupes modernes, notamment Antony and the Johnsons. "Knockin' on Heaven's Door" était, avant d'être reprise dans "I'm Not There", une chanson originale de film, écrite par Bob Dylan pour "Pat Garrett et Billy le Kid", western réalisé par Sam Peckinpah, dans lequel Bob Dylan interprète un personnage. Le superviseur de Todd Haynes n'est autre que le grand Randall Poster, également superviseur musical pour Wes Anderson ("The Grand Budapest Hotel", "The French Dispatch"), Martin Scorsese ("Le Loup de Wall Street"), Harmony Korine ("Spring Breakers"), ou encore David Fincher ("Zodiac"). Un grand superviseur qui propose cette reprise de Bob Dylan pour "I'm Not There". Les musiques préexistantes sont multiples et peuvent être également des interprétations originales au service du film. Je me retourne vers nos invités, par exemple Pierre-Marie Dru, qui préside cette nouvelle association des superviseurs musicaux. La première question qui s'impose est : qu'est-ce qu'un superviseur musical ? Pour tenter une définition, le superviseur intervient dans le choix des morceaux préexistants, négocie les droits d'utilisation, participe au choix du compositeur, assure la production exécutive de la musique, la mise en place de l'équipe autour du compositeur et peut aussi être amené à faire l'intermédiaire entre le réalisateur et le compositeur. Est-ce bien cela ? Pouvez-vous compléter ?
Pierre-Marie Dru : Oui, c'est exactement ça. Après, évidemment, la géométrie est variable en fonction des films. Le rapport de la musique originale à la musique additionnelle, on parlait de Tarantino, peut être très différent en fonction des réalisateurs. Un superviseur musical, si on doit faire une analogie, c'est comme un maître d'œuvre ou un médecin généraliste de la musique. On nous appelle parce qu'il y a plein de questions. Il peut arriver qu'un réalisateur ne sache pas avec quel compositeur travailler et ait besoin d'aide. Nous devons gérer un certain nombre de sujets qui sont soit artistiques, soit techniques, par exemple superviser un enregistrement de musique pendant un tournage. Cela demande des connaissances particulières. On peut faire appel à nous pour ça. Sur le plan financier, c'est souvent nous qui gérons le budget global de la musique et la manière dont il doit être alloué entre musique originale, musique additionnelle, production, jusqu'au mix final, qui est la dernière étape pour nous. Et puis, il y a un aspect juridique important dans nos métiers, et parfois commercial, quand on s'occupe des sorties de la bande originale.
Cinezik : Quand on parle de "clearer les droits", la fonction juridique du superviseur est-elle parfois de négocier les droits pour obtenir des morceaux à un moindre coût ?
Pierre-Marie Dru : Le coût est celui que nous négocions. Nous sommes engagés par les productions pour faire ce travail, mais les coûts sont fixés par les représentants des artistes, des musiciens, des auteurs-compositeurs, c'est-à-dire les labels et les éditeurs, avec qui nous travaillons en collaboration tous les jours. L'idée, c'est de trouver le bon prix et de rendre les choses possibles. C'est ça, notre métier.
Cinezik : Considérez-vous faire le même métier en France que Randall Poster ou Mary Ramos aux États-Unis ?
Astrid Gomez Montoya : Justement, le métier de superviseur en France et aux États-Unis n'est pas le même. Aux États-Unis, les superviseurs gèrent les titres préexistants. La partie musique originale concerne vraiment la relation entre le compositeur et le réalisateur. Alors qu'en France, notre métier prend en charge les deux pôles d'activité : la musique originale et les titres préexistants. Nous gérons donc autant un pôle que l'autre, contrairement aux États-Unis.
Cinezik : Astrid Gomez Montoya, vous représentez My Melody ; Pierre-Marie Dru, vous représentez Pigalle Production ; et Clément Souchier, Criminal. Derrière un superviseur, il y a souvent une société. Comme le disait Astrid Gomez Montoya, il y a une différence entre les États-Unis et la France. Aux États-Unis, le "music supervisor" est une profession plus ancienne, historiquement destinée aux musiques préexistantes. En France, le métier est plus récent. Historiquement, un film a trois auteurs : le scénariste, le réalisateur et le compositeur. La fonction de superviseur ou superviseuse est plus récente, le cinéma n'en a pas eu besoin pendant longtemps. La question est donc : pourquoi le développement de ce métier ? Quel besoin particulier justifie aujourd'hui qu'on ne puisse plus s'en dispenser ?
Clément Souchier : Bonne question, et je ne suis pas sûr d'avoir la réponse. C'est un métier qui est arrivé assez récemment en France, il y a un peu moins d'une vingtaine d'années. Au début, il y avait des gens qui s'occupaient surtout de la "clearance", c'est-à-dire d'acheter les droits des titres préexistants. Puis, de nouvelles générations de superviseurs sont arrivées et ont commencé à proposer un accompagnement plus global. C'est peut-être une définition assez française du métier, qui nous permet de faire des arbitrages, ce qui est très intéressant pour le producteur. Il nous confie une enveloppe globale et cela nous permet de voir ce qu'on va consacrer à la musique préexistante versus la musique originale.
Cinezik : Auparavant, c'était peut-être les producteurs qui se préoccupaient de cela. L'arrivée des superviseurs musicaux leur permettrait-elle de se décharger de cette tâche ?
Clément Souchier : Totalement. Je pense que c'est un des axes du succès de la supervision aujourd'hui. S'occuper de la musique d'un film est complexe, tant au niveau de la clearance des droits qu'artistiquement. Obtenir tous les droits afférents à l'utilisation d'une musique dans un film est plus compliqué que d'aller acheter du lait à l'épicerie. Quand on veut les droits sur un titre comme "Black Skinhead" de Kanye West, je vous invite à regarder combien il y a de co-auteurs et de co-éditeurs sur le site de la SACEM. Il faut avoir l'accord de tous ces ayants droit. Quand ils y ont goûté, les producteurs ne reviennent généralement pas en arrière.
Pierre-Marie Dru : On est aux ordres du producteur, mais aussi du compositeur et surtout du réalisateur. On travaille pour le film. Ce qui explique peut-être l'arrivée des superviseurs en France, c'est qu'initialement, il y avait une utilisation moindre de musique additionnelle, c'est culturel. L'arrivée des séries a transformé l'histoire, créant un vrai besoin de superviseurs pour gérer la quantité de musique. Il y a aussi le fait que les choses se sont un peu paupérisées autour des compositeurs. Un des sujets de l'ASM est de défendre leur place. Dans les années 70, ils étaient plus entourés, avec des producteurs exécutifs, des équipes. Ils sont un peu plus fragiles aujourd'hui.
Cinezik : Revenons à l'association. Pierre-Marie Dru, vous présidez donc l'Association des Superviseurs Musicaux. Elle compte déjà 14 sociétés membres. Pourquoi créer cette association aujourd'hui ? J'imagine pour vous regrouper et défendre une cause commune. Mais pourquoi une association et non un syndicat ou une guilde ?
Pierre-Marie Dru : Cela s'est fait sous les conseils d'un juriste. L'idée était de s'associer. Une association sert à se regrouper et à s'entraider. C'est une idée née avant la crise sanitaire. Nous avons mis cela en forme à l'automne. Le but est de regrouper le maximum de gens et de défendre nos intérêts, qui vont dans le sens de la défense de la musique en général dans son rapport à l'image, que ce soit pour les films, les séries, la publicité ou les jeux vidéo.
Cinezik : Très souvent, les scénaristes ou les compositeurs se regroupent pour défendre leurs droits auprès du CNC ou de la SACEM. Les superviseurs ont-ils un droit à défendre aujourd'hui ?
Pierre-Marie Dru : Comme le racontaient mes confrères, nous travaillons souvent du début à la fin d'un film. C'est un engagement qui peut durer de six mois à deux ans. C'est un métier encore peu connu. Nous devons participer aux discussions au CNC, à la SACEM, au CNM, pour défendre les budgets pour la musique, pour les compositeurs, pour la production, et pour nous-mêmes. Il y a aussi tout un sujet lié à la profession : l'état des orchestres, des studios en France, et tous les métiers connexes comme les ingénieurs du son, les monteurs, qui ont un peu souffert.
Cinezik : Parlons maintenant de vos activités. Astrid Gomez Montoya, au sein de My Melody, vous avez créé en 2009 cette agence avec Rebecca Dehergne, qui est d'ailleurs trésorière de l'association. Vous avez travaillé avec des compositeurs comme Erwan Chandon pour "Quand on crie au loup", Mathieu Lamboley pour "Le Retour du héros", mais aussi Nicolas Bedos et Anne-Sophie Versnaeyen pour "La Belle Époque" ou "OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire". Sur "La Belle Époque", par exemple, quel a été le travail ? C'est un film d'époque qui replonge dans les années 70, avec des titres de cette période comme "J'ai dix ans" d'Alain Souchon, mais aussi une musique originale orchestrale.
Astrid Gomez Montoya : Nicolas Bedos travaille beaucoup en musique. Il écrit ses scénarios sur des musiques déjà déterminées, même si elles évoluent en fonction des budgets. Notre travail commence à la lecture du scénario, où nous vérifions si tous les titres inscrits peuvent rentrer dans le budget. Souvent, nous devons proposer des alternatives. La musique a un vrai sens narratif dans ses films. Les séquences sont presque tournées en musique. Ensuite, il y a la partie musique originale. La monteuse, Anny Danché, intervient énormément. Elle monte avec des musiques temporaires ("temp track"), puis Anne-Sophie et Nicolas, qui compose également, créent la musique à l'image pendant le montage.
Cinezik : Nicolas Bedos sachant presque tout faire, que délègue-t-il au superviseur ? L'aspect juridique et économique ?
Astrid Gomez Montoya : Oui, ainsi que la production exécutive que nous menons en collaboration avec Anne-Sophie, qui, elle, gérait le choix des musiciens, des studios.
Cinezik : Dans le film, Doria Tillier interprète une chanson initialement écrite par Kris Kristofferson et Fred Foster, puis popularisée par Janis Joplin. Est-ce que cela demande une supervision particulière ?
Astrid Gomez Montoya : Pour cet exemple, nous avons choisi le morceau avec Nicolas, puis nous sommes allés en studio avant le tournage pour enregistrer une version propre. Doria a répété le morceau et l'a interprété assez librement.
Cinezik : Qu'est-ce que cela change dans les négociations de faire réinterpréter un morceau plutôt que de prendre l'original ?
Astrid Gomez Montoya : Dans ce cas, nous ne payons qu'un seul type de droits. Normalement, on utilise les droits d'édition pour l'œuvre et les droits de l'enregistrement, le "master". Là, comme nous réenregistrons, nous ne payons que les droits éditoriaux.
(Musique : Anne-Sophie Versnaeyen - Thème de "La Belle Époque")
(Musique : Brad Mehldau - "And I Love Her")
Cinezik : Ces quelques notes, nous les avons tous en tête dans la version des Beatles, "And I Love Her". Ici, elles sont jouées au piano par Brad Mehldau, grand musicien de jazz et collaborateur d'Yvan Attal ("Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants", "Ma femme est une actrice"). Ils se retrouvent sur "Mon chien stupide". Astrid Gomez Montoya, vous avez supervisé la musique de ce film. Il est souvent dit que les droits des Beatles sont intouchables. Comment avez-vous fait ?
Astrid Gomez Montoya : Ce n'est pas intouchable, mais c'est très cher. La seule chose qui est impossible, c'est d'utiliser les enregistrements originaux des Beatles. On peut donc faire des reprises, ce qui a été le cas ici. Brad Mehldau, sur une idée d'Yvan Attal, a décidé de reprendre cette chanson pour le générique de fin. Contrairement à beaucoup de compositeurs, Brad ne travaille pas beaucoup les maquettes. Il arrive en studio, on ne sait pas trop ce qu'il va enregistrer, et la magie opère. Il a improvisé cette version d'une traite.
Cinezik : Cette émission montre qu'il existe des ponts entre musique originale et préexistante. Kubrick, par exemple, empruntait au répertoire classique pour "2001, l'Odyssée de l'espace", mais il choisissait des versions particulières. Pour "Barry Lyndon", le compositeur Leonard Rosenman a réalisé les arrangements de Haendel. Dans votre travail, y a-t-il aussi ce souci artistique de choisir la bonne version ?
Astrid Gomez Montoya : Exactement. Notre métier, qui a une quinzaine d'années, se professionnalise. Au départ, nous étions vus comme un coût additionnel. Aujourd'hui, notre apport artistique est reconnu. Nous intervenons très en amont, dès le scénario, et le fait de faire le lien entre musique originale et préexistante permet de trouver une identité musicale pour chaque réalisateur. Proposer des compositeurs permet de réfléchir au plus proche de la narration.
Cinezik : De nombreux compositeurs ressentent le besoin d'être pédagogues avec les producteurs. Valoriser la place de la musique dans le processus de création fait-il aussi partie de votre mission, Pierre-Marie Dru ?
Pierre-Marie Dru : C'est la clé de voûte. Nous sommes là pour parler plus et mieux de la musique. Un compositeur est entouré de tout un écosystème : orchestrateurs, copistes, ingénieurs du son. Il y a une histoire de transmission à défendre. C'est important de continuer à travailler en studio. Demander à un compositeur de tout faire dans son home studio n'est bon ni pour lui, ni pour la musique. Nous sommes là pour défendre le travail de toute l'équipe.
Cinezik : Il n'y a toujours pas de prix pour la musique à Cannes, mais il y a les César et les Oscars. Faudrait-il militer pour un César de la supervision musicale ?
Pierre-Marie Dru : Je ne crois pas. Nous sommes contents quand il y a de belles musiques, quand cela aide les films et quand les réalisateurs et compositeurs vivent une belle expérience. Si un compositeur ou une compositrice reçoit un prix, cela nous suffit largement. C'est la personne fondamentale, le troisième auteur. Nous sommes là pour l'aider.
Cinezik : Je me tourne vers Clément Souchier. Parlons de votre relation avec les compositeurs. Comment se fait le choix ? Vous avez été l'agent de Laurent Pérez Delmar, notamment sur "La Tortue Rouge". Est-ce que cela aide ?
Clément Souchier : Je ne me définis pas comme agent, mais plutôt comme son producteur exécutif de référence. Dans le métier de superviseur, il y a le volet préexistant et le volet production de musique originale. Sur ce dernier, on travaille au plus proche des compositeurs. Un climat de confiance s'installe. Mais Laurent Pérez Del Mar ne travaille pas qu'avec Criminal, il a fait plein d'autres films avec d'autres superviseurs.
Cinezik : Vous avez fondé Criminal en 2003. Depuis quelques années, les productions organisent des castings de compositeurs. Comment vous placez-vous par rapport à cette pratique ?
Clément Souchier : C'est une partie très excitante du métier. Dès le scénario, on se projette sur qui serait le compositeur le plus pertinent par rapport à la couleur du film, au tempérament du réalisateur. C'est une dimension importante de notre métier : comprendre si le couple réalisateur-compositeur va bien fonctionner.
Cinezik : Des compositeurs comme Bruno Coulais refusent publiquement les castings, car cela peut altérer la rencontre humaine. Avez-vous parfois le rôle du "briseur de couple" ?
Clément Souchier : J'espère que cette idée est derrière nous. Nous sommes les plus proches collaborateurs des compositeurs, nous sommes là pour les défendre, y compris sur les budgets. Nous allons souvent négocier le budget à la hausse. Nous pouvons aussi taper du poing sur la table si la prime de commande d'un compositeur n'est pas assez conséquente par rapport au coût d'un titre préexistant. Quand un couple réalisateur-compositeur fonctionne bien, nous sommes là pour l'accompagner et nous nous mettons en retrait.
Cinezik : Sur "La Tortue Rouge", film sans dialogue, quelle a été votre implication ?
Clément Souchier : C'était un projet à la fois exaltant et impressionnant. La musique est le seul dialogue du film. C'était un film contemplatif, produit par les studios Ghibli, mais il fallait aussi qu'il fonctionne en salle. Nous devions donc trouver un équilibre entre un film très artistique et un film accessible.
Cinezik : On va écouter une musique de Laurent Pérez Del Mar pour "La Tortue Rouge". Avez-vous travaillé sur le choix du chœur ?
Clément Souchier : Oui, le travail de producteur exécutif, c'est d'accompagner le compositeur sur tous les choix, artistiques comme budgétaires. Nous avons enregistré un chœur, un orchestre, des petits et grands ensembles.
Cinezik : Ce sont de vrais instruments ? C'est un combat face aux producteurs qui, pour économiser, se contentent parfois de maquettes.
Clément Souchier : C'est un de nos grands combats. Nous sommes plus nombreux pour défendre l'idée qu'un vrai orchestre est bien meilleur que des samples. Sur le film "Zarafa", le budget pour l'orchestre était de 17 000 euros sur un budget total de 9,5 millions. La plus-value d'un vrai orchestre par rapport à des instruments virtuels (VST) est immense pour un coût relatif.
(Musique : Laurent Pérez Del Mar - "Flying with the Turtles" de "La Tortue Rouge")
(Musique : Loïc Fleury - "Move Over the Light")
Cinezik : Nous entendons la voix de Loïc Fleury pour "Move Over the Light", chanson qui clôt le film "Les Invisibles" de Louis-Julien Petit. C'est une chanson originale, sur une musique de Laurent Pérez Delmar. Clément Souchier, vous avez supervisé "Les Invisibles". Le choix d'une chanson originale était-il délibéré ?
Clément Souchier : Oui, l'idée était que la musique rappelle le reste du score tout en ayant un morceau pop pour la fin. Au lieu d'acheter un titre, nous avons fait appel à Loïc Fleury, le chanteur d'Isaac Delusion, pour un featuring sur un titre de Laurent Pérez Del Mar.
Cinezik : Cela montre la confiance envers les compositeurs, qui sont capables d'être des caméléons. On peut leur demander une valse ou un tango au lieu d'en chercher un préexistant, pour garder une unité.
Clément Souchier : C'est une des grandes forces du modèle français. On peut se dire qu'il est parfois stupide d'acheter un titre très cher alors que notre compositeur peut très bien composer une musique de bar convaincante pour une séquence donnée.
Cinezik : Un autre préjugé à démonter : celui que les superviseurs veulent à tout prix placer de la musique. Votre travail consiste-t-il aussi à gérer les placements, voire les retraits de musique ?
Clément Souchier : Tout à fait. Pour le film "Les Chevaliers Blancs", sur l'histoire de l'Arche de Zoé, le film était très réaliste, filmé comme un documentaire. Ma première réponse aux producteurs a été de dire que le mieux serait qu'il n'y ait pas ou presque pas de musique. Notre métier est de servir le film. Si le film n'a pas besoin de musique, on le dit.
Cinezik : En termes de chiffres, sur 164 longs métrages français en 2020, seuls 10 étaient majoritairement avec des titres préexistants, et 30 étaient sans musique. La majorité des films ont donc encore une musique originale.
Astrid Gomez Montoya : Ces chiffres dépendent aussi de la typologie des films. Les comédies ont plus souvent des titres préexistants, tandis que les drames ou les films d'auteur ont plus de musique originale.
Cinezik : Pierre-Marie Dru, vous avez accompagné "J'ai perdu mon corps" de Jérémy Clapin, avec Dan Levy à la musique. C'est un cas particulier avec une musique originale, des chansons de rap originales et une chanson finale écrite pour le film, "La Complainte du Soleil" par Laura Cahen.
Pierre-Marie Dru : C'est un film trésor. Travailler avec Dan Levy est fantastique. Le réalisateur, Jérémy Clapin, a une grande qualité : l'écoute. Au début, il tenait à des raps préexistants. Mais en avançant, et surtout quand Dan a rejoint l'aventure, nous nous sommes dit que ce serait génial de tout faire en original. Dan a repéré la bande de L'Ordre du Périph' et ils ont improvisé ces raps fantastiques en studio. La chanson finale de Laura Cahen, c'est le monteur qui l'a calée sur le générique de fin pour une projection. Elle regroupait toutes les émotions du film et elle est restée.
Cinezik : Dan Levy, venant de la pop avec The Dø, a aussi cette capacité de producteur exécutif. Vous étiez là en soutien ?
Pierre-Marie Dru : Dan habite en Normandie, donc j'ai organisé une équipe à Paris pour faire le lien avec le réalisateur et le producteur. On a beaucoup poussé pour enregistrer le quatuor à cordes qui est présent tout au long du film et même sur la chanson de Laura Cahen pour créer un lien.
(Musique : Laura Cahen - "La Complainte du Soleil")
(Musique : Marc Streitenfeld - Thème de "Le Chant du loup")
Cinezik : Cette musique est signée Marc Streitenfeld pour "Le Chant du loup" d'Antonin Baudry. Pourtant, le compositeur officiel au générique est Tomandandy. Pierre-Marie Dru, vous avez supervisé cette partition où il y a plusieurs compositeurs. Comment cela s'est-il passé ?
Pierre-Marie Dru : C'est quelque chose qui arrive souvent : le temps est le maître de tout. Marc Streitenfeld n'était pas entièrement disponible. Il avait composé ce premier thème, très identifié par le réalisateur. En discutant avec son agent à Los Angeles, qui est aussi l'agent de Tomandandy, l'idée de les faire entrer dans l'aventure est née. Il restait 50% de la musique à composer 15 jours avant le mix. Ils ont fait un travail exceptionnel, et nous avons bien sûr gardé le thème de Marc pour les scènes de sortie des sous-marins.
Cinezik : Pour terminer, parlons des projets à venir. Pierre-Marie Dru, vous avez travaillé sur "Les Olympiades", le nouveau film de Jacques Audiard avec une musique de Rone, et sur "Annette" de Leos Carax, qui ouvrira le festival de Cannes, avec une musique des Sparks. Deux mots sur votre implication ?
Pierre-Marie Dru : "Annette", c'est deux ans de travail, jour et nuit. C'est un film musical construit autour des chansons des Sparks, avec un travail exceptionnel également de Clément Ducol sur les arrangements additionnels. Pour "Les Olympiades", Rone a livré une partition 100% originale exceptionnelle. Nous avons mixé la dernière musique le jour où il a reçu son César.
Cinezik : Astrid Gomez Montoya, il y a le nouvel "OSS 117" de Nicolas Bedos.
Astrid Gomez Montoya : Tout à fait, le film doit sortir en août. Il y a beaucoup de musique originale, au moins une heure, composée par Nicolas et Anne-Sophie Versnaeyen.
Cinezik : Clément Souchier, un film à venir ?
Clément Souchier : Je suis sur une nouvelle aventure entrepreneuriale en ce moment, donc un peu moins sur les sujets de supervision, mais ma société Criminal continue bien sûr sa route.
Cinezik : Au sein de l'Association des Superviseurs Musicaux, on retrouve des membres comme Élise Luguern (Noodles), Raphaël Hamburger (Hamburger Records), Frédéric Junca, Varda Kakon, Martin Carault, Pascal Mayer, Steve Bouyer (Noodles), Matthieu Sibony (Schmooze), Thibault Deboaisne (Supervision), et Valérie Lindon (Réflexe Music). Pierre-Marie Dru, tout superviseur peut candidater pour devenir membre ?
Pierre-Marie Dru : On les encourage à nous écrire. De nouveaux arrivants nous rejoindront cet été.
Cinezik : On termine avec une synchronisation qui m'avait marqué, du film "Ava" de Léa Mysius. La supervision était de Martin Carreau. Il y a la musique originale de Florencia Di Concilio, mais aussi des chansons comme ce "Passacaglia della Vita" par Rosemary Standley et Dom La Nena. Merci de nous avoir suivis.
(Musique : Rosemary Standley & Dom La Nena - "Passacaglia della Vita")
Conçu et animé par Benoit Basirico
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