bo-hebdo,lemonnier,monstre-orchestra,simonini,cinetrio,oliva,interpretes, - Table Ronde : Spécial 'Interpréter la musique de film' Table Ronde : Spécial 'Interpréter la musique de film'

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Conçu et animé par Benoit Basirico,

- Publié le 07-12-2021




Interpréter (ou diriger) la musique de film, avec un piano, une chorale, un orchestre, puis proposer des concerts et albums de reprises. C'est la mission de nos invités : Steve Journé (Le monstre orchestra), Arthur Simonini (Les Clés d'Euphonia), Jérôme Lemonnier (compositeur et pianiste), Philippe Barbey-Lallia & Philippe Dupouy (le Ciné Trio), Stephan Oliva (pianiste).

Produit et Animé par Benoit Basirico

En compagnie de :

-Steve Journé, Le monstre orchestra (Président fondateur & Chef d'orchestre)

-Arthur Simonini, violoniste dans l'orchestre Les Clés d'Euphonia & compositeur/arrangeur (notamment des choeurs dans "Portrait de la jeune fille en feu" de Céline Sciamma et "Spectre" de Para One).

-Jérôme Lemonnier, pianiste & compositeur pour Denis Dercourt (films dans lesquels les acteurs/rices jouent d'un instrument comme "La Tourneuse de pages").

- Le Ciné Trio (Philippe Barbey-Lallia - arrangeur et pianiste & Philippe Dupouy - producteur) : reprise de musiques de films en concert

- Stephan Oliva, compositeur & pianiste de jazz qui rend hommage au cinéma par des albums de reprises

Programme des musiques :

  • "Trois Couleurs : BLEU" (Zbigniew Preisner) - extrait du film avec la voix de Juliette Binoche
  • "Le jour de la comète" (Steve Journé) - interprété par Le monstre orchestra
  • "Mission Impossible" - Theme (Monty Norman) - repris par Le monstre orchestra
  • "Pour ton anniversaire" - piano et cordes (Jérôme Lemonnier)
  • "La Tourneuse de Page" - piano (Jérôme Lemonnier)- extrait du film + repris par le compositeur ("Piano Works")
  • "Mobile étoile" - chorale (Jérôme Lemonnier)
  • "Spectre" - chants bulgares (Para One / Arthur Simonini)
  • "Portrait de la jeune fille en feu" - chant & claquement de mains (Para One / Arthur Simonini)
  • Vertigo (Bernard Herrmann) par Les Clés d'Euphonia
  • Vertigo (Bernard Herrmann) par le Traffic Quintet
  • Danse avec les loups (John Barry) par le Ciné Trio
  • Mission (Ennio Morricone)par le Ciné Trio
  • Mission (Ennio Morricone)par Stefano Di Battista ("Morricone Stories")
  • Psycho (Bernard Herrmann) par Stephan Oliva
  • Le Mépris (Georges Delerue) par Stephan Oliva

 

Cinezik : Musique de film, émission spéciale : Interpréter la musique de film. En compagnie de Steve Journé, président fondateur et chef d'orchestre de la formation Le Monstre Orchestra. Steve, bonjour. Arthur Simonini, violoniste dans l'orchestre Les Clés d'Euphonia, ainsi que compositeur-arrangeur auprès de Para One dans les films de Céline Sciamma, notamment "Portrait de la jeune fille en feu". Arthur, bonjour. Jérôme Lemonnier, pianiste et compositeur pour Denis Dercourt, notamment des films dans lesquels les acteurs ou les actrices jouent d'un instrument, comme "La Tourneuse de pages". Jérôme, bonjour.

Jérôme Lemonnier : Bonjour Benoît.

Cinezik : Et enfin, le Ciné-Trio : Philippe Barbey-Lallia : au piano, et Philippe Dupouy, qui en est l'organisateur, sont avec nous. Le Ciné-Trio vient d'ailleurs de diffuser hier soir un de ses concerts en ligne avec une programmation John Williams. Bonjour Philippe et Philippe.

Philippe Barbey-Lallia : Bonjour Renaud. Bonjour.

Cinezik : Enfin, nous écouterons Stephan Oliva, que j'ai interrogé par téléphone, pianiste de jazz qui rend hommage au cinéma à travers différents albums de reprises, notamment Bernard Herrmann, Jean-Luc Godard ou le film noir. Avec vous, nous échangerons sur le rôle des interprètes pour créer et faire vivre la musique de film.

[Extrait sonore du film "Trois Couleurs : Bleu"]

Cinezik :La thématique est donc "interpréter la musique", ce qui se comprend dans différents sens. D'abord, le premier sens, c'est interpréter la musique pour le film : comment la musique est interprétée pour les enjeux d'une partition originale. Et puis, il y aura aussi un deuxième volet : interpréter la musique pour le concert et pour les albums, c'est-à-dire faire vivre la musique au-delà de l'image. On commence avec une scène qui a beaucoup marqué dans un film de Krzysztof Kieślowski, "Trois Couleurs : Bleu", musique du Polonais Zbigniew Preisner, avec Juliette Binoche qui incarne la veuve d'un grand compositeur décédé. Elle va donc terminer le Concerto pour l'Europe, œuvre laissée inachevée par son mari.

[Extrait musical de "Le Jour de la comète"]

Cinezik :Ces dernières notes que l'on vient d'entendre sont signées Steve Journé, un de nos invités, pour "Le Jour de la comète", long métrage réalisé par Sébastien Milhou et Cédric Hachard et Hervé Freiburger. Des notes qui se sont très bien enchaînées, d'ailleurs, après celles de Zbigniew Preisner. Vous êtes donc compositeur sur cette partition mais également le chef d'orchestre, puisque vous avez fait interpréter votre musique par votre propre formation, le Monstre Orchestra. Sur un film comme celui-ci, abordons la question du budget. C'est un film avec de très faibles moyens et vous avez donc fait appel à votre propre orchestre. Est-ce un bénéfice, finalement, d'avoir son propre orchestre pour ce type de partition, puisque l'on entend très souvent que sans argent, on ne peut pas avoir d'orchestre ?

Steve Journé Oui, effectivement, l'aspect financier est toujours très compliqué. J'ai la chance d'avoir mon propre orchestre, avec tous mes musiciens qui me suivent. Je fais donc mes propres budgets. Quand il faut faire des efforts, on est là pour les faire. Évidemment, dans le budget, ce qui est très important, c'est le nombre de musiciens que l'on va pouvoir embaucher. Il faut donc vraiment adapter la musique en fonction du budget disponible pour la réalisation et l'enregistrement. C'était mon premier long métrage, donc j'ai tout misé sur l'interprétation. C'était très important pour moi d'avoir de la vraie musique, vraiment interprétée, parce que je fais partie des personnes qui n'aiment pas trop les samples, ni les maquettes. Ce sont des efforts, tout simplement.

Cinezik :À côté de l'interprétation, il y a aussi le procédé de la maquette. Beaucoup de compositeurs, avant de faire interpréter, vont, depuis leurs ordinateurs, utiliser de faux sons pour simuler l'orchestre, avant que ce soit réellement joué. Est-ce que vous utilisez ce type de logiciel, Steve Journé ?

Steve Journé Personnellement, non. J'écris tout sur papier, ou alors j'utilise Finale, qui est un logiciel d'édition. Je n'aime pas faire des maquettes, parce que finalement, on passe plus de temps à réaliser une maquette qui ne sera de toute manière pas identique à l'enregistrement final. Je trouve qu'avec les maquettes, on est un peu enfermé par les sons du logiciel, que nous avons un peu tous les mêmes. Alors que sur le papier, on est totalement libre de créer tous les effets que l'on veut, ce qui est très difficile à réaliser avec des maquettes. Je pense que dans la profession, il faut faire confiance au compositeur. On choisit un compositeur parce qu'on connaît déjà la musique qu'il réalise. Il faut lui faire confiance.

Cinezik :Quand on est à la tête d'un orchestre pour l'image, ce n'est sans doute pas la même chose que pour le concert, notamment en ce qui concerne la synchronisation au film. Comment cela se passe-t-il ? On entend beaucoup parler du "clic", le métronome dans l'oreille.

Steve Journé Absolument, on a le clic dans l'oreille. Mais la synchronisation n'est pas vraiment un problème, finalement. Beaucoup stressent par rapport à ça, mais avec des logiciels comme Pro Tools, où l'on peut modifier certaines durées, ce n'est pas un souci. Je préfère privilégier l'interprétation musicale. En général, je suis le seul à avoir le clic ; je ne le donne pas aux musiciens. Ainsi, ils sont libres d'interpréter sans avoir ce métronome qui est quand même un peu embêtant, on peut le dire. C'est bien pour travailler son instrument, mais pour jouer et interpréter, ce n'est pas génial. Ils ont donc cette liberté. Quand on ne suit pas trop le métronome, la musique devient un peu plus vivante. Et après, on se débrouille, on peut corriger ensuite sans aucun problème.

Cinezik :On entend aussi beaucoup parler du fait de faire appel à des orchestres étrangers, notamment dans les pays de l'Est, car cela coûterait moins cher. Depuis deux ou trois ans, des voix s'élèvent pour recentrer l'enregistrement des musiques en France. Le Monstre Orchestra s'inscrit-il dans cette démarche ?

Steve Journé Oui, cela fait 20 ans que je milite pour ça, ce n'est pas nouveau. C'est sûr que c'est beaucoup moins cher d'aller dans les pays de l'Est. Maintenant, il faut être un peu chauvin, sinon on peut tout faire à l'étranger pour payer moins cher. Je pense qu'on a en France plein de musiciens qui sont très, très bons. Et si on ne veut pas qu'ils disparaissent, il faut les faire travailler. Il y a autre chose de très important : la qualité des instruments. Quand on ne paie pas un musicien correctement, il ne peut pas avoir un instrument digne de ce nom, sachant qu'un instrument peut coûter facilement plusieurs dizaines de milliers d'euros. Je ne suis pas sûr que dans les pays de l'Est, les musiciens puissent avoir des instruments de cette qualité. Il y a plein de choses qui rentrent en jeu.

Cinezik :Jérôme Lemonnier, compositeur pour Denis Dercourt notamment, vous avez beaucoup pratiqué l'orchestre. Quel est votre regard sur ce qui vient d'être évoqué ?

Jérôme Lemonnier : Je souscris entièrement à ce qui a été dit sur les orchestres en France ou à l'étranger. C'est un peu comme les chirurgiens : plus ils opèrent, meilleurs ils sont. Il faut évidemment privilégier les musiciens français, et c'est mon cas pour des petites formations ou des instruments solistes. Je travaille avec des musiciens qui présentent un avantage, ne serait-ce que géographique, par leur proximité. Et dans la mesure du possible, j'aime autant ne pas me déplacer. Il y a donc des considérations assez pratiques. Après, comme le dit Steve, il faut voir aussi que si les coûts sont très bas, il y a forcément des raisons. Ce n'est pas juste que c'est moins cher ; cela va aussi avec tout un système social qui n'est pas le même. Il faut aussi que ce soit techniquement faisable. Il vaut peut-être mieux être pragmatique et envisager des situations où l'on va en Angleterre, en Allemagne ou en Belgique. Il n'y a pas non plus de blasphème, mais il y a une conduite à préserver, je pense.

Cinezik :Très bien. On reviendra sur ces questions liées à l'orchestre avec Arthur Simonini. Steve Journé, le deuxième volet de votre activité, ce sont les concerts avec votre Monstre Orchestra : des concerts basés sur des musiques de films et de séries, notamment deux spectacles, "Game of the Series" et "SOS Monstres" sur les films fantastiques. À cette occasion, vous effectuez aussi un travail de réarrangement. Vous arrangez vous-même ces musiques préexistantes ?

Steve Journé Oui, absolument. C'est un peu ma marque de fabrique. J'adore l'orchestration. Souvent, j'utilise juste les thèmes et je réarrange un peu à ma sauce. Encore une fois, j'ai cette chance d'avoir l'orchestre, donc je m'amuse, tout simplement.

Cinezik :Vous appelez vos spectacles des "stand-up symphoniques", c'est-à-dire qu'il y a à la fois de la musique et des pastilles humoristiques. Dans les extraits, on voit une très bonne interprétation des musiciens, mais en même temps, ils jouent la comédie, bougent sur leur chaise. Comment peuvent-ils être comédiens et bons musiciens en même temps ?

Steve Journé Parce que je le leur demande, tout simplement. Non, mais c'est un état d'esprit. Le Monstre Orchestra, c'est un peu comme une famille. Cela fait 20 ans que je connais les musiciens. J'ai toujours fait beaucoup de blagues pendant les séances d'enregistrement, il y a toujours une ambiance très festive. Pour moi, enregistrer un orchestre est une fête, et j'ai voulu partager ça sur scène. Je leur ai demandé de jouer un peu la comédie. Mon assistante, Laura Marin, joue mon assistante sur scène, ce qui permet de créer un binôme vraiment incroyable.

Cinezik :Il y a donc à la fois cette concentration sur la partition et ce côté ludique. J'ai l'impression que les concerts de musique de film étaient moins courants il y a une quinzaine ou une vingtaine d'années. Philippe Dupouy, producteur du Ciné-Trio, ne me démentira pas. L'intérêt du public pour ces concerts semble s'être développé ces dernières années. Le ressentez-vous ?

Philippe Dupouy Oui, je pense qu'aujourd'hui, il n'y a pas un seul orchestre symphonique déjà constitué en France qui n'a pas au moins un concert de musique de film par an. C'est devenu assez courant. Après, il y a très peu d'orchestres qui y sont uniquement consacrés. Il y a effectivement le Monstre Orchestra. De notre côté, nous avons l'Orchestre Cinématographique de Paris, même si pour l'instant, nous jouons surtout dans un cadre événementiel. Mais il nous est déjà arrivé de jouer devant un public. C'est devenu assez fréquent.

Cinezik :Le concert du Ciné-Trio spécial Morricone était complet ?

Philippe Dupouy Oui, c'était archi-complet. On a dû pousser les murs, rajouter des chaises partout. Nous jouons dans un temple aux Gobelins, le Temple de Port-Royal, quatre, cinq, parfois six fois par an, avec à chaque fois une thématique différente, puisque le Ciné-Trio a aujourd'hui plus de 400 arrangements inédits. À Paris, nous fonctionnons sous la forme de concerts thématiques parce que nous avons un public vraiment fidèle, plus de 1200 personnes qui nous suivent très régulièrement, avec aussi une production discographique.

Cinezik :Ce qui distingue le Ciné-Trio, c'est une certaine homogénéité dans le style, qui vient de ces trois musiciens. Ils amènent les partitions, que ce soit de Morricone, de Nino Rota ou de John Williams, vers une forme qui leur est propre, et qui nous berce. Cela se distingue par exemple du Monstre Orchestra qui revendique, j'ai l'impression, un côté hybride, un mélange des styles : hip-hop, électro... Vous faites de l'électro avec des cordes. Ce mélange se traduit par des arrangements très différents ?

Steve Journé L'idée, c'est d'utiliser tout le potentiel de l'orchestre. Nous, c'est un orchestre... En général, on fait des concerts à 40-50 musiciens. J'ai la basse, la batterie, la guitare, même deux guitares, ce qui permet énormément de choses. On exploite vraiment tous les timbres à fond.

Cinezik :Découvrons l'un de vos arrangements du thème de "Mission: Impossible" de Lalo Schifrin.

[Extrait musical : "Mission: Impossible", arrangé par Steve Journé et interprété par le Monstre Orchestra]

Cinezik :"Mission: Impossible", donc, nouvel arrangement de Steve Journé, interprété par le Monstre Orchestra. [...] Jérôme Lemonnier, vous avez écrit cette partition en pensant à ce personnage qui devait interpréter ce morceau au piano.

Jérôme Lemonnier : Oui, c'est ça. Le film, comme beaucoup de films de Denis Dercourt, présente la particularité d'avoir une musique structurellement présente dans le scénario. L'acteur ou l'actrice principale est musicien, concertiste, et pratique un instrument. Cela amène le compositeur à réfléchir en amont à ce qu'il va bien pouvoir écrire, sachant que cette partition sera ensuite interprétée à l'image par l'actrice, en l'occurrence Marie Bäumer, toute seule au piano.

Cinezik :Il y a eu Vincent Pérez au piano également dans "Demain dès l'aube" de Denis Dercourt, et dans "En équilibre", c'est Cécile de France qui joue du piano. Tout a commencé par "La Tourneuse de pages". En fait, Jérôme Lemonnier, vous êtes devenu compositeur de musique de film après avoir été appelé par Denis Dercourt pour coacher Catherine Frot, qui devait jouer au piano des pièces de Chostakovitch, Schubert et Bach. Avant d'être compositeur de musique de film, vous avez donc été appelé pour la partie pianistique du film.

Jérôme Lemonnier : Oui, pratiquement. En réalité, c'était une façon pour Denis Dercourt et moi de nous apprivoiser, puisqu'aucun de nous deux n'avait beaucoup d'expérience en matière de musique de film. Denis n'avait pas de musique originale dans ses films précédents et je n'en avais jamais fait. C'était donc une façon délicate de travailler ensemble. Effectivement, initialement, Catherine Frot devait jouer une étude de Chopin, je crois. C'était à peu près dans l'esprit du film, mais pas tout à fait. La notion de musique originale était derrière et elle s'est peu à peu installée.

Cinezik :D'ailleurs, dans "La Tourneuse de pages", après avoir été appelé pour coacher l'actrice, vous avez fini par composer la musique originale et, par la suite, la musique de tous les films de Denis Dercourt. Vous avez même composé une des pièces jouées par le personnage.

[Extrait sonore du film "La Tourneuse de pages"]

Cinezik :"La Tourneuse de pages", donc. Musique originale de Jérôme Lemonnier. C'était l'étude d'Ariane, le personnage de Catherine Frot. Nous avons entendu un extrait du film, et puis à l'instant, ce même morceau, que vous interprétez vous-même dans un album de reprises, "Piano Works". Avant de parler de ce projet, nous avons entendu deux interprétations différentes : une destinée à Catherine Frot à l'image, et une que vous avez reprise vous-même. Pouvez-vous évoquer ce changement d'interprétation ?

Jérôme Lemonnier : Il y a eu un travail en amont pour préparer Catherine Frot à être filmée en train de jouer. Le prérequis, c'est qu'elle n'avait jamais, ou très peu, pratiqué le piano. Il s'agissait de trouver le meilleur arrangement possible pour qu'elle puisse faire illusion au moment du tournage. La technique était d'abord d'écrire un morceau qui, visuellement, avait un certain côté "filmique", un peu spectaculaire. On voyait notamment les extrémités des mains bouger, des déplacements, etc., qu'elle devait maîtriser pendant la période de coaching. Au milieu, ce n'est pas très important visuellement. Au moment du tournage, on sélectionne des passages du morceau. J'avais écrit un morceau complet, et on sélectionne des passages, comme des focus où elle va être filmée. C'est ce qui va rester.

Cinezik :Ce sont des points de synchronisation.

Jérôme Lemonnier : En fait, la technique - je vais la révéler -, ce n'est pas un tour de magie, mais ça explique les choses : elle joue et retransmet tout ce qu'elle a mémorisé en termes de gestuelle, de déplacement. Elle met les doigts au bon endroit, au bon moment, et elle joue sur un clavier muet. Pendant ce temps, on diffuse le playback du morceau que j'ai préparé en amont. Elle se synchronise au mieux sur ce qu'elle entend, et après, dans une deuxième étape, je récupère ce qui a été filmé et je resynchronise moi-même au mieux. Du coup, on obtient un résultat crédible.

Cinezik :C'est la magie du cinéma. On croit réellement que Catherine Frot interprète sa musique, alors que c'est votre interprétation. Souvent, on dit qu'un compositeur se met dans la peau d'un personnage ; là, c'est littéralement le cas. Vous allez même parfois jusqu'à faire une partition peut-être mal interprétée ou simpliste, parce qu'il faut que ce soit raccord avec le personnage.

Jérôme Lemonnier : C'est ça, c'est ce qu'on a entendu dans la première interprétation, où elle tape un peu sur son piano, parce qu'on la voit en train de répéter. Elle s'arrête, elle reprend, elle fait des fausses notes. On la filme dans son élément, en train de travailler.

Cinezik :Finalement, faire cet album "Piano Works", n'est-ce pas un moyen pour vous de vous réapproprier vos musiques en les sophistiquant, en les détachant des personnages ?

Jérôme Lemonnier : Oui, en les sortant de leur contexte, certainement. Ça partait d'une idée simple : j'ai voulu aussi rendre hommage à une collaboration avec Denis Dercourt. J'ai rassemblé ces pièces car il y avait beaucoup de points communs dans les films, à la fois par le style, par l'histoire et par le piano, qui parcourt son cinéma.

Cinezik :Le piano est votre instrument. On parlait tout à l'heure de maquettes. Steve Journé disait ne pas passer par les faux instruments. Est-ce que vous, par exemple, vous passez par le piano pour les thèmes ?

Jérôme Lemonnier : Je suis un peu au milieu de plusieurs forces. J'ai une formation de compositeur "à la table", comme on dit, avec un papier et un crayon. Et en même temps, j'ai profité des avancées technologiques des années 80-90 jusqu'à aujourd'hui. J'ai pris le train en marche technologique. Je suis donc de cette formation un peu initiale de compositeur avec une technologie omniprésente. J'utilise beaucoup les maquettes parce que, de toute façon, ça dépasse l'orchestre depuis longtemps. Il y a beaucoup de sonorités que l'orchestre ne pourra pas aborder, et inversement, les technologies ne pourront pas reproduire l'orchestre. Chacun a une logique et un parcours différents.

Cinezik :Arthur Simonini, quel est votre procédé, votre démarche quand vous composez et arrangez pour le cinéma ?

Arthur Simonini C'est pareil, je suis un peu dans un entre-deux. Je milite pour qu'il y ait de vrais instrumentistes, de vrais instruments, toujours. En revanche, je suis assez souvent contraint de faire des maquettes, même si j'aimerais éviter cette étape. Mais je milite toujours pour que, même lors des maquettes, ce soit vraiment joué, qu'il y ait de vrais instruments. J'ai régulièrement des prises de bec avec des producteurs ou des réalisateurs qui me disent : « Ah, mais il ne faut pas travailler comme ça, ça ne marche pas. » Ce qui est terrible, c'est que les gens finissent par s'habituer à ces faux sons d'orchestre. Ils peuvent faire illusion quand on n'a pas cette culture, on pourrait dire que c'est de l'orchestre, mais ça n'a, je ne vais pas dire rien à voir, mais on est quand même très loin du son d'un orchestre et de la richesse symphonique. Je milite absolument pour qu'il y ait toujours de vrais instruments à chaque étape. Tout le monde n'est pas toujours d'accord avec ce procédé, mais je trouve ça primordial, sinon c'est une culture qu'on perd.

Cinezik :Il y a un instrument très compliqué à imiter avec le son synthétique : c'est la voix humaine. Jérôme Lemonnier, vous avez fait la musique d'un film qui s'appelle "Mobile Étoile", de Raphaël Nadjari, en 2016. Géraldine Pailhas y était professeure de chant, et vous avez écrit pour ce film une chanson originale interprétée par la formation musicale du film, une chorale de Montréal.

Jérôme Lemonnier : C'est ça. Dans le film, la chanson était destinée à une chorale amateur qui préservait un patrimoine musical, en l'occurrence celui du début du XXe siècle, ce qu'on appelle l'école française et la mélodie française. Raphaël Nadjari est venu me trouver pour écrire en amont du film un ensemble de chansons dans cet esprit, qui ont ensuite été interprétées par la chorale elle-même, dont les membres étaient aussi acteurs du film.

Cinezik :C'est donc une autre affaire par rapport au piano. Là, c'est vraiment le jeu de la voix de la chorale ?

Jérôme Lemonnier : Oui, nous avons fait des maquettes avec des chanteurs, qui ont ensuite servi de base de travail, à Montréal, pour enregistrer les chansons. C'est une musique de film à l'envers, en fait : on fait d'abord la musique et ensuite on filme sur la musique.

Cinezik :"Mobile Étoile" de Raphaël Nadjari et les chansons composées par Jérôme Lemonnier.

[Extrait musical de "Mobile Étoile"]

Cinezik : ["Spectre"] un documentaire entre expérimental, essai et fiction, à travers l'histoire de la propre famille du réalisateur, Jean-Baptiste de Laubier, autour de laquelle plane un secret lié au père. Un film, une enquête intime très émouvante. Et derrière cette partition, il y a donc ces chœurs que vous avez vous-même arrangés et composés. Ce sont des chants bulgares, n'est-ce pas ?

Arthur Simonini Tout à fait. C'était une volonté de Jean-Baptiste, qui avait écouté dans son adolescence Le Mystère des Voix Bulgares, le chœur mythique qu'on connaît tous. Il avait envie depuis très longtemps d'intégrer ce chœur dans un de ses disques ou son film. Il m'a donc demandé de rajouter un arrangement de chœur sur trois ou quatre de ses morceaux et de composer en plus une sorte de prélude pour l'un d'eux. Le but était de les faire enregistrer par Le Mystère des Voix Bulgares.

Cinezik :Ce sont donc réellement des chanteurs bulgares ?

Arthur Simonini Tout à fait. J'ai écrit les partitions, donc j'ai dû faire des maquettes - n'en déplaise à Steve ici présent - avec ma propre voix. On a fait les partitions, et puis il a essayé de contacter Le Mystère des Voix Bulgares. Cela a payé, et nous sommes partis à Sofia enregistrer le chœur quelques mois plus tard.

Cinezik :En entendant cette partition, qui m'a fait beaucoup penser à celle de "Ghost in the Shell" de Mamoru Oshii, j'ai découvert que les chœurs de ce film étaient proches des chants bulgares.

Arthur Simonini Oui, sauf que je crois que c'est un chœur japonais dans "Ghost in the Shell". Mais c'était une des références, donc ça fera très plaisir à Jean-Baptiste, et à moi aussi. Ça veut dire que j'ai rempli ma mission.

Cinezik :Vous avez parlé d'arrangement. Peut-on aborder cette question technique ? Il y a le compositeur, mais aussi l'arrangeur et l'orchestrateur. Pour les auditeurs qui ne connaissent pas la définition de chaque terme, qu'est-ce qu'un arrangeur et qu'est-ce qu'un orchestrateur ?

Arthur Simonini Ça va un peu se rejoindre sur certains territoires, et puis il y a des querelles... C'est une question assez difficile, je trouve. Chacun va avoir un peu sa version.

Cinezik :Il y a des arrangeurs qui composent ?

Arthur Simonini Il y en a qui vont être les trois. Je ne sais pas si Jérôme peut-être...

Jérôme Lemonnier : Je crois que le mot "arrangeur" est postérieur à celui d'"orchestrateur". Il me semble que c'est Jean-Claude Petit qui a introduit cette notion dans la chanson, dans la variété, dans les années 70-80. Il avait affaire à des chanteurs qui n'étaient pas musiciens au sens technique du terme, mais des mélodistes. Son travail était d'"arranger", au sens de faire en sorte qu'un certain désordre se transforme en ordre. Alors que l'orchestrateur, c'est quelque chose de beaucoup plus technique, où il s'agit de ventiler et de distribuer des voix aux différents instruments de l'orchestre. Ce n'est pas tout à fait le même travail. L'orchestration part d'un matériau qui est stable.

Steve Journé En fait, dans l'orchestration, on ne fait pas de modification harmonique ni thématique, en gros. Ce qui m'a toujours frappé, c'est qu'il n'y a pas le terme "orchestrateur" sur les feuillets de la SACEM. Je trouve ça très dommage parce que je me considère vraiment comme un orchestrateur. C'est un peu un décorateur qui va donner des couleurs, qui va jouer avec les textures de l'orchestre ou des instruments qu'il a à sa disposition. C'est un métier que je trouve encore plus intéressant que l'arrangement ou la composition.

Cinezik :Pour revenir à Arthur Simonini, que ce soit l'orchestrateur ou l'arrangeur, le travail porte parfois aussi sur le choix des instruments. L'orchestrateur distribue un thème aux différents pupitres, tandis que l'arrangeur va choisir les instruments pour une musique donnée. Dans votre collaboration avec Para One, quelle était la part de votre travail dans le choix des instruments ?

Arthur Simonini Alors là, la chose était un peu établie, puisque c'était des chœurs. La question a été assez vite réglée. La donnée de base, c'était ces chœurs avec la couleur du Mystère des Voix Bulgares. On ne savait pas si on pourrait avoir ce chœur précisément, mais c'était le souhait. Donc pour ce cas précis, la question ne s'est pas trop posée.

Cinezik :Mais après, il y a aussi le travail d'adaptation. Une partition n'est pas forcément jouable par tel ou tel instrument ou par des voix. Votre travail d'arrangement consiste-t-il aussi à adapter la partition aux interprètes ?

Arthur Simonini Le morceau qu'on a entendu était un prélude, donc j'avais un peu carte blanche. J'ai vraiment composé un morceau en respectant la tessiture des voix. Pour le reste, j'avais des bases harmoniques et des morceaux de musique électronique sur lesquels on a rajouté une partie de chœur. J'étais libre dans les mélodies et les tessitures, donc pas de difficulté particulière.

[Extrait musical de "Portrait de la jeune fille en feu"]

Cinezik :... à l'instant, un extrait du film de Céline Sciamma, "Portrait de la jeune fille en feu", musique de Para One et Arthur Simonini, ici présent, avec une partition presque 100 % vocale. On y ajoute des claquements de mains, je crois. C'est vraiment une partition 100 % humaine. Comment s'est-elle fabriquée ?

Arthur Simonini Par une contrainte qui venait du scénario : le chœur qu'on entend était à l'image. On a donc dû composer avant le tournage. Il fallait juste un chœur, et Céline Sciamma nous avait dit : « Elles peuvent éventuellement faire des percussions ou taper dans les mains. » On a donc un peu utilisé toutes les cartes à notre disposition, on a rajouté ces claquements de mains.

Cinezik :C'est intéressant d'évoquer dans cette émission un extrait où il n'y a aucun instrument.

Arthur Simonini Si tant est que la voix ne soit pas un instrument...

Cinezik :J'attendais cette précision. Même le corps est un instrument.

Arthur Simonini Bien sûr.

Cinezik :Arthur Simonini, vous êtes aussi compositeur en solo, avec notamment en 2022, "À l'ombre des filles" d'Étienne Comar, une sorte de film musical belge. Un mot sur l'interprétation dans ce contexte ?

Arthur Simonini "Comédie musicale", je ne sais pas si on ira jusque-là. En fait, c'est l'histoire de femmes en détention qui prennent des cours de chant. Le film suit pendant quelques mois leurs cours, avec évidemment toutes les histoires à l'intérieur de la prison, et on suit leur progression vocale.

Cinezik :Il y a donc tout un travail vocal.

Arthur Simonini Oui, et pour la musique, j'ai composé la partie extra-diégétique qui se détache un peu. Pour contrebalancer les nombreux chants du film - elles chantent du Schubert, des morceaux de variété -, il y a une partie de musique originale. On a volontairement évité de mettre trop de voix pour que ça ne devienne pas indigeste. On a réservé l'usage de la voix pour les deux dernières scènes du film, où elle finit par rencontrer la musique qu'on entend depuis le début.

Cinezik :Vous êtes aussi violoniste dans l'orchestre Les Clés d'Euphonia, qui existe depuis 11 ans avec une soixantaine de musiciens, dirigé par Laetitia Trouvé, qui fait également les arrangements. Récemment, vous avez interprété du Bernard Herrmann : "Vertigo", "Citizen Kane", "Psycho". La particularité de vos concerts, c'est qu'ils sont en synchronisation avec les scènes des films, c'est bien ça ?

Arthur Simonini Oui, et là, on peut revenir à ce dont on a parlé tout à l'heure avec cette histoire de métronome. C'était très intéressant de décortiquer comment c'était synchronisé, sachant qu'on parle de films qui commencent à dater, sans les moyens techniques actuels. Il y a eu un énorme travail de notre cheffe, Laetitia Trouvé. La problématique du concert, c'est qu'on ne peut pas dépasser la scène. Ce qui était passionnant, c'est de voir comment, sans métronome, les compositeurs comme Bernard Herrmann arrivaient à coller à l'image. À l'époque, ils avaient juste le film projeté et ils se calaient dessus. Ça peut expliquer des ralentis ou des accélérations, même si le style d'interprétation de l'époque avait cette mode du tempo très mouvant, "hollywoodien". Il y a des moments où l'on a l'impression que ça tire en arrière, parce qu'ils sont un peu en avance et qu'il faut arriver pile sur la vague ou le baiser. On sent que les trois mesures avant, ça tire derrière pour pouvoir déclencher au bon moment. C'est un travail passionnant.

Cinezik :Comment un interprète peut-il apporter sa personnalité à une œuvre préexistante comme celle de Bernard Herrmann ?

Arthur Simonini Pour moi, l'interprète, c'est vraiment la cheffe d'orchestre. Elle fait tout un travail d'explication des œuvres. La particularité de son travail avec cet orchestre, c'est qu'elle a créé la formation dans le but de faire des concerts commentés, d'abord avec du répertoire symphonique, puis en s'élargissant à la musique de film. L'apport de l'interprétation, quand il y a un orchestre, est vraiment la responsabilité du chef.

Steve Journé On se pose toujours la question : mais que fait le chef d'orchestre ? Tout simplement, il interprète.

Cinezik :Je me dirige vers le Ciné-Trio et Philippe Barbey-Lallia. Vous êtes à la fois l'arrangeur, le pianiste, et on peut dire le chef d'orchestre du Ciné-Trio, n'est-ce pas ?

Philippe Barbey-Lallia : Tout à fait. Cet ensemble un peu inédit, un trio piano, violon et hautbois/cor anglais, est une formation qu'on ne voit pas tous les jours. L'histoire de cette réorchestration est simple : le violon solo, le hautbois - l'instrument qui donne le "la" à tout l'orchestre - et le piano, qui peut couvrir de la contrebasse jusqu'à la flûte piccolo. C'est un travail de réorchestration avec le souci de coller le plus possible à l'original, de s'éloigner le moins possible des notes du compositeur. C'est une distinction primordiale pour que l'auditeur puisse retrouver le caractère symphonique des pièces.

Cinezik :Parfois, on écoute des reprises où l'on ne reconnaît plus le morceau tant la liberté prise est grande. Votre souci, c'est de coller à l'original pour que le public retrouve le plaisir des musiques qu'il a aimées.

Philippe Barbey-Lallia : Exactement. Pour cela, soit j'arrive à trouver les partitions orchestrales originales - de plus en plus d'éditeurs les publient, comme John Williams qui a sa propre édition -, soit je repars d'une feuille vierge, j'écoute la partition et je retranscris les notes. Ensuite, j'organise l'orchestration en fonction de nos trois instruments. Le but est vraiment de coller aux couleurs essentielles de la musique.

Cinezik :Avant de revenir au Ciné-Trio, écoutons du Bernard Herrmann, avec Arthur Simonini au violon au sein des Clés d'Euphonia.

Arthur Simonini Je ne suis pas tout seul !

Cinezik :Bien sûr. "Vertigo" de Bernard Herrmann, repris par Les Clés d'Euphonia.

[Extrait musical : "Vertigo", par Les Clés d'Euphonia, puis par le Traffic Quintet]

Cinezik :Deux versions du même morceau : à l'instant, "Vertigo" par le Traffic Quintet, dirigé par Dominique Lemonnier et arrangé par Alexandre Desplat, après la version des Clés d'Euphonia. Le Traffic Quintet est la formation qui a beaucoup interprété les partitions d'Alexandre Desplat, notamment pour les premiers films de Jacques Audiard. Ce qui permet de faire un petit point sur les disques, puisque la plupart de ces reprises jouées en concert ont aussi une vie discographique. Jérôme Lemonnier, votre album "Piano Works". Steve Journé, vous avez aussi des CD ?

Steve Journé Oui, absolument. Nous avons une campagne Ulule pour "Destination Classique". Le concept est de reprendre des œuvres pour piano de grands compositeurs - Liszt, Bartók, Scarlatti, Debussy - et de fabriquer une musique de film qui colle à une histoire, à un texte. Ce sont des résumés d'œuvres littéraires : "Le Bourgeois Gentilhomme", "Le Portrait de Dorian Gray", etc. L'idée était de marier un grand auteur avec un grand compositeur. C'est un travail passionnant : on part d'une partition pour piano et on l'arrange pour 17 musiciens, en mélangeant les thèmes, en les superposant. C'est sur le site lemonstreorchestra.com. J'ai fait ma pub, c'est super.

Cinezik : Merci Steve. Le Ciné-Trio peut aussi faire sa pub. Il y a des CD du Ciné-Trio.

Philippe Barbey-Lallia : Nous avons sorti il y a deux mois un CD consacré à Ennio Morricone, pour lui rendre hommage. Ce sont les versions que l'on joue en concert. Auparavant, nous avions déjà sorti trois CD thématiques, avec des musiques françaises, américaines, japonaises... Et nous avons d'autres CD en préparation, notamment un sur John Williams, que nous avons enregistré pendant le confinement.

Philippe Dupouy Si tout va bien, nous aurons trois nouveaux CD qui sortiront au premier semestre : un consacré aux cartoons français, japonais, américains ; un autre aux compositeurs français. Tout a déjà été enregistré. Et puis, comme l'a dit Philippe, au mois de juin, ce sera 100 % John Williams, avec plus ou moins le même programme que ce qui a été joué hier soir en streaming.

Cinezik :Vous avez des concerts en salle, comme au Temple de Port-Royal, et aussi des concerts en ligne sur des plateformes comme Recit-Hall. Philippe Dupouy, c'est vous qui avez initié ce Ciné-Trio il y a 15 ans ?

Philippe Dupouy Non, le Ciné-Trio était tout jeune quand on s'est rencontrés. L'idée m'a plu parce que c'est vraiment original. Je pense que ces musiques de film, avec le trio comme avec d'autres orchestres, sont un moyen d'attirer des gens qui ne vont pas régulièrement écouter de la musique classique. Quand vous leur dites qu'on va interpréter "Lawrence d'Arabie", "Le Docteur Jivago", "Amélie Poulain" ou bien d'autres - le Ciné-Trio a plus de 400 arrangements -, ça attire vraiment le public. Ce qui me plaît, et ce qu'on essaie toujours de faire, c'est de travailler sur l'émotion. L'interprétation permet de véhiculer cette émotion, et c'est ce qui me motive.

Cinezik :Philippe Barbey-Lallia, il y a le choix d'être fidèle aux partitions et aussi le choix de ne pas projeter d'images.

Philippe Barbey-Lallia : Exactement, ce sont des musiques de films en concert, pas des ciné-concerts, bien qu'on en ait fait aussi. Ce sont deux concepts différents. L'idée initiale était de faire de la musique de chambre, comme un concert classique, mais avec un répertoire adapté, pour vraiment mettre en valeur l'écriture musicale de chaque compositeur.

Cinezik :On entend le "style" Ciné-Trio. Il y a le plaisir de retrouver les musiques qu'on aime, mais aussi de retrouver votre empreinte. C'est un choix ?

Philippe Barbey-Lallia : Oui. On se réunit souvent avec Cyril Baleton et Timothée Varon, mes deux comparses, pour savoir quelles seront les prochaines musiques que l'on va jouer et arranger. On suit également les nouveautés. On a notamment ajouté à notre répertoire les dernières musiques de Philippe Rombi ou de Mathieu Lamboley. On propose des thématiques pour les enfants, avec des cartoons, des dessins animés, pour continuer notre chemin.

Cinezik :Le prochain événement aura lieu le 22 janvier à 18h30 au Temple de Port-Royal, dédié aux plus belles musiques de films oscarisées. Parmi celles-ci, il y aura celle-là.

[Extrait musical : "Danse avec les loups", par le Ciné-Trio]

Cinezik :Nous venons d'entendre "Danse avec les loups", musique de John Barry, qui sera jouée le 22 janvier. Philippe Barbey-Lallia, comment se fait le choix des partitions ? Est-ce que tout peut être interprété par le Ciné-Trio ?

Philippe Barbey-Lallia : Il faut qu'il y ait une possibilité technique. On est dans de la musique acoustique, classique, donc on n'a pas accès à des processus de transformation du son. On se réunit et on essaie de voir quels sont les films qui nous ont plu, car c'est aussi une question cinématographique. Beaucoup de musiques viennent de films aussi célèbres que leurs compositeurs. C'est un choix complexe, qui dépend de nos propres appétences musicales.

Cinezik :Ça ne vous empêche pas de jouer des pièces orchestrales de John Williams.

Philippe Barbey-Lallia : John Williams est fascinant de ce point de vue, car la structure même de son orchestration fait qu'il suffit d'un violon pour entendre la section des cordes et d'un hautbois pour magnifier un thème. Il y a toujours un dialogue entre les cordes, les bois et le piano - puisqu'il compose au piano. L'ADN même de ses partitions est tout à fait adapté au Ciné-Trio.

Cinezik :Steve Journé, pour le choix des pièces, tout est possible ?

Steve Journé Oui, tout est possible. On choisit ce qu'on aime, tout simplement. Je livre un peu toutes les musiques de films que j'adore. C'est un choix très personnel.

Cinezik :Vous avez déjà joué du Morricone ?

Steve Journé Non, pas encore. On en a enregistré pour un CD une fois, mais pas en concert. Mais ça viendra vraisemblablement.

Cinezik :En revanche, le Ciné-Trio a joué Morricone. On peut l'entendre ici.

[Extrait musical : "Mission" de Ennio Morricone, par le Ciné-Trio, puis par Stefano Di Battista]

Cinezik :À l'instant, "Mission" de Ennio Morricone avec deux versions. La dernière était celle du grand saxophoniste de jazz italien Stefano Di Battista en quartet, où le saxophone remplace le hautbois. Et dans la version du Ciné-Trio, nous avons le vrai hautbois, celui de l'original. C'est une chance d'avoir le hautbois dans le trio.

Philippe Barbey-Lallia : Oui, le hautbois de Gabriel, puisque dans le film "Mission", Jeremy Irons joue lui-même du hautbois. C'est la partie originale composée par Morricone.

Cinezik :On va terminer avec un dernier invité interrogé par téléphone, Stephan Oliva. Avant de l'entendre, je remercie mes invités : merci Philippe Barbey-Lallia : et Philippe Dupouy pour le Ciné-Trio. Merci Steve Journé pour le Monstre Orchestra.

Steve Journé Merci Benoît.

Cinezik :Merci Jérôme Lemonnier, qui se représente lui-même, et qui travaille encore. On peut annoncer un nouveau film de Denis Dercourt, il me semble.

Jérôme Lemonnier : Oui, on vient juste de le terminer. Il s'appelle "Vanishing", une production franco-coréenne qui sortira l'année prochaine, dès que possible.

Cinezik :Merci Jérôme. Et merci Arthur Simonini. On a hâte de découvrir vos nouvelles partitions pour l'image. Stephan Oliva est pianiste de jazz. Il est en concert les 7 et 8 février au 104 à Paris pour un spectacle intitulé "J'aurais voulu faire de la bande dessinée" avec le dessinateur Philippe Dupuy et le chanteur Dominique A. Également les 10 et 11 février au Sunside en duo avec Jean-Marc Foltz, et enfin un ciné-concert le 13 février sur les films de Laurel et Hardy au Luxy, cinéma d'Ivry-sur-Seine. Il est l'auteur de plusieurs disques de reprises : "Vaguement Godard", "Films Noirs" et "Ghosts of Bernard Herrmann". Stephan Oliva va nous parler de son travail de réinterprétation. On ouvre cet entretien avec sa reprise de "Psycho" de Bernard Herrmann.

[Musique : "Psycho" par Stephan Oliva]

Cinezik :Bonjour Stephan Oliva.

Stephan Oliva Bonjour Benoît.

Cinezik :Sur ces hommages à la musique de film, vous êtes à la fois dans la contrainte de respecter la partition d'origine, mais aussi dans une grande liberté de la transformer.

Stephan Oliva Je fais des reprises de musique de film librement. Je ne cherche pas du tout à reproduire la partition d'origine, que je n'ai pas d'ailleurs. Je joue plutôt à l'oreille, à partir de l'écoute des films. Je revois les films et je me remets un peu dans la position du compositeur face aux images, laissant émerger à l'instinct la musique qui va fonctionner. J'aime ce moment de fragilité où la musique n'est pas encore sortie, où la greffe va prendre entre les effluves de notes et ce qui deviendra une musique symphonique chez Herrmann. Il y a un côté un peu inconscient, psychanalytique, qui fait beaucoup parler l'instinct du compositeur. Quand je joue seul, je fais plus appel à mon côté jazzistique, c'est-à-dire que je me réapproprie le matériel thématique. Le jazz a d'ailleurs beaucoup puisé dans le cinéma. Mais il y a des thèmes qui ne sont jamais joués dans le jazz, et je trouvais intéressant d'approcher ces musiques qui n'ont pas un style jazz, mais d'y mettre l'esprit du jazz : le feeling, la réappropriation, le toucher. Je ne cherche pas à "jazzifier" une partition de Herrmann. Quand on joue "Vertigo", il faut pouvoir évoquer des choses dans des styles très peu définissables, comme l'est la musique de film.

Cinezik :Au piano, il y a une nudité où le thème apparaît dans sa pureté.

Stephan Oliva Il y a un côté dépouillé. En mettant à nu une mélodie, on a un rapport plus intime avec elle, on la redécouvre pour elle-même, alors qu'elle est parfois noyée dans l'orchestration. C'est poignant de voir comment quelques notes très simples peuvent vivre éternellement grâce au film. Les thèmes forts se suffisent à eux-mêmes. Il n'y a pas besoin de les rendre complexes ; c'est parfois encore plus beau de les simplifier. Je ne cherche pas à restituer l'harmonie exacte du morceau, parce que sans le film, il manque des notes pour moi. La couleur d'un film, les lumières, les scènes, harmonisent aussi la musique. Donc je modifie les harmonies. Quand il n'y a plus les images, il me manque quelque chose, alors je les épaissis un peu, je les rends plus mystérieuses, plus floues. Je ne suis pas un grand fan d'écouter les musiques de film telles quelles, sans le film. Je préfère les modifier. Je ne regarde même pas les partitions. La partition réelle, pour moi, c'est le film lui-même. Je me mets à égalité avec le spectateur, sauf que je suis musicien et j'essaie d'en faire quelque chose. La musique porte l'ADN du film.

Cinezik :Je propose qu'on se quitte avec "Le Mépris", justement, de Georges Delerue, remanié par Stephan Oliva et son piano. Merci Stephan.

Stephan Oliva Merci Benoît.

[Musique : "Le Mépris" par Stephan Oliva]

 

 

Conçu et animé par Benoit Basirico,

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