Prospero's Books (1991, Michael Nyman)

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par Julien Mazaudier

- Publié le 07-05-2008




Prospero’s Books est assurément le projet de Peter Greenaway le plus riche et le plus ambitieux. Le film est réalisé en Vidéo Haute Définition (un procédé très rare pour l’époque), ce qui permet de nombreuses manipulations d’images. Le film utilise en effet le langage populaire de MTV, (l’incrustation de texte et de l’image) mais il s’attaque à un texte profondément archaïque et obscur, la dernière pièce de William Shakespeare, The Tempest présentée pour la première fois à la cour en 1611.  L’histoire se situe pendant la Renaissance. Prospero, Duc de Milan, est chassé de son trône avec sa fille Miranda par son frère Antonio. Il les met sur un bateau en espérant que ceux-ci mourront dans le voyage puisqu'il sabote le bateau. L'ami de Prospero, Gonzalo, lui laisse 24 livres encyclopédiques qui contiennent toutes les connaissances accumulées au début du XVIIe siècle. Prospero et sa fille échouent sains et saufs sur une île magique où règne Caliban, un monstre hybride. Par la puissance de ses livres, Prospero va régner pendant 12 ans sur cette île. La Post-Production de ce film a suscité un partenariat important avec l’infographiste parisienne Eve Ramboz qui créa les enluminures particulièrement complexes des 24 livres de Prospéro (sur "Le livre de l’eau", l’image est composée d’une cinquantaine de sources différentes !) Par moment, le film rappelle la démesure baroque du Satyricon de Fellini, on y trouve aussi des allusions à la mythologie grecque et biblique.

La musique de Michael Nyman joue une place importante dans le film. L'importance accordée à la voix et aux nombreuses chansons adaptés des textes de Shakespeare sont du à un contresens de Nyman. En se souvenant du récit du personnage de Caliban dans La Tempête évoquant le royaume de Prospero comme "une île plein de voix" (an isle full of voices) il construit une partition dynamique basée sur de nombreux passages vocaux dont cinq écrits pour la voix soprano "de jeune garçon" de Sarah Leonard mimée dans le film par Ariel, le petit chérubin. Plus tard, il s'aperçoit que le texte fait référence en réalité à "une île plein de bruits". (an isle full of noises).

On peut dire que ce contresens fut véritablement bénéfique au film car les morceaux chantés sont particulièrement réussit principalement The Masque, une scena lyrique qui célèbre les fiançailles de Miranda, la fille de Prospero avec Ferdinand. Un morceau de 12mn très ambitieux par sa complexité rythmique et la tessiture complexe des voix. Les timbres individuels des trois chanteuses, Marie Angel (Iris), Ute Lemper (Cérès) et Deborah Conway (Junon) viennent toutes d'une tradition vocale différente et jouent un rôle central dans la caractérisation musicale.

La couleur vocale du morceau évoque beaucoup les compositions échevelées de Louis Andriessen et les opéras néo-classiques de Philip Glass comme Akhnaten. Le film se présente d'ailleurs comme un véritable opéra où toutes les disciplines artistiques sont évoquées. La musique rythme l'action et se superpose à la danse, le mode d'expression de Caliban. Les chorégraphies particulièrement élégantes sont signées par la française Karine Saporta. Certaines musiques déjà composées par Nyman en 1989 pour l'oratorio La Traversée de Paris furent intégrées et réarrangées pour le film.


Nyman adapta ensuite pour voix soliste et piano les chansons d'Ariel pour la sopraniste Ute Lemper sur le disque Songbooks. Il fit aussi une adaptation de concert pour les compositions Where the bees sucks pour saxophone soprano en 1991 et le superbe Miranda réadapté pour un ensemble de chœur. La version complète et originale de ce morceau se trouve sur le disque La Traversée de Paris.

C'est sur ce film que Michael Nyman et Peter Greenaway se sont brouillés et ont définitivement arrêtés leur collaboration. Plus qu'à l'accoutumé, le réalisateur pratique un montage sonore assez fragmenté ce qui a eu pour conséquences de raccourcir ou de transformer les morceaux originaux écrits par Nyman. Il utilise également de nombreux effets sonores, parfois électroniques par-dessus la musique. Cris d'animaux, martèlements, tonnerre, gouttes d'eaux.

La voix de Prospero est elle-même multipliée en écho et modulée en tonalité différente pour la prêter aux différents personnages qu'il interprète. Généralement le compositeur de musique de film exécute la musique au chronomètre, en suivant le montage du film. Peter Greenaway fait l'inverse et monte lui-même la musique déjà composée où bon lui semble. D'un côté, Nyman bénéficie d'une grande liberté de composition car sa musique n'est pas soumise au rythme du film.

En contrepartie le réalisateur a le dernier mot puisqu'il dispose à loisir du matériel musical qu'il peut modifier à sa guise... Comme semble le dire amèrement Nyman dans le livret de Prospero's Books : "Les œuvres musicales, nouvelles ou anciennes que j'ai entassées dans la salle de montage de Peter Greenaway sont devenues le centre de son autorité, dans le domaine de l'organisation, de l'illustration et de l'émotion." Malgré les réserves - assez légitimes - que peut penser le compositeur sur cette méthode, le résultat sonore de Prospero's Books est d'une complexité ébouriffante et la musique de Michael Nyman n'a jamais été aussi bien mise en valeur que dans ce film.

par Julien Mazaudier


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