Seul sur Mars (Harry Gregson-Williams), nappes synthétiques et cordes planantes

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par Quentin Billard

- Publié le 30-10-2015




Le compositeur Harry Gregson-Williams retrouve le cinéaste Ridley Scott après "Kingdom of Heaven" (2005), sans oublier ses musiques additionnelles pour "Prometheus" (2012) et "Exodus: Gods and Kings" (2014), avec pour cette chronique spatiale sur un astronaute (Matt Damon) coincé la planète rouge, une partition qui fait ressentir l’optimisme et l'espoir du personnage plutôt que d'évoquer le désespoir ou la noirceur. 

« The Martian » marque les retrouvailles entre le réalisateur britannique et Harry Gregson-Williams, avec lequel il avait précédemment collaboré sur « Kingdom of Heaven » en 2005 (le compositeur avait aussi écrit de la musique additionnelle sur « Prometheus » et « Exodus »). Dans une interview récente accordée peu de temps après la sortie du film, Harry Gregson-Williams expliquait que Ridley Scott lui présenta l’histoire de « The Martian » sous un angle différent : pas question ici d’évoquer le désespoir ou la noirceur, il fallait avant tout que la musique fasse ressentir l’optimisme de Mark Watney, son amour de la science, sa volonté de triompher des épreuves qui l’attendent sur Mars et de résoudre les problèmes les uns après les autres de manière pragmatique. Prenant le sujet sous cet angle, HGW compose alors une partition mélodique, basée sur les recherches sonores, les ambiances et les rythmes tout en évoquant à la fois le paysage si particulier de Mars. C’est pourquoi le score débute avec « Mars » qui pose d’emblée cette idée de travail du son à l’aide de nappes synthétiques mystérieuses et planantes, qui semblent surgir d’un autre monde. Très vite, le thème principal associé au personnage de Matt Damon se met en place à l’aide d’une guitare électrique et de cordes planantes, thème qui évoque l’idée de l’espoir et de la survie, baignant ici dans un sound design intéressant évoquant l’aspect technologique du film et l’environnement hostile de Mars, suggérant aussi bien la beauté mystérieuse de la planète rouge et le danger qu’elle représente pour l’astronaute isolé – on reconnaît facilement la mélodie principale à l’aide ses groupes de 2 notes séparées d’une pause, idéale pour évoquer la solitude de Mark sur Mars - « Emergency Launch » évoque les dégâts provoqués par la tempête et le départ prématuré des astronautes, obligés d’abandonner Mark sur la planète. Une pulsation électronique et des cordes tendues suffisent ici à créer la tension avec ces cuivres rampants et inquiétants. A 1:55, un magnifique passage tragique et déchirant se met en place avec des violoncelles élégiaques et des cors plaintifs, lorsque Mark a son accident et disparaît dans la tempête, un des premiers grands moments d’émotion du score de « The Martian ».

« Making Water » nous ramène quand à lui dans le quotidien de Mark sur Mars, pour la scène où il fabrique de l’eau en manipulant chimiquement le carburant récupéré dans l’atterrisseur d’Ares III. Le thème principal associé à l’astronaute est repris ici dans une variante plus optimiste, avec des rythmes électroniques déterminés évoquant clairement l’idée de s’en sortir et de vaincre les épreuves difficiles qui l’attendent, mais sans aucune forme de triomphalisme. La musique d’HGW trouve le ton juste à l’écran grâce à une utilisation adroite des instruments mélangés aux synthétiseurs et aux boucles sonores, un moment assez inspirant qui rappelle encore une fois le talent de Ridley Scott pour inspirer ses compositeurs sur ses films. Très présent tout au long du film, le thème de Mark traverse les scènes à travers différentes variantes qui évoluent en fonction des situations décrites dans le film. Dans « Spotting Movement », on devine les premières notes de sa mélodie (reconnaissable notamment à sa cellule initiale d’une quinte ascendante) sous une forme plus sombre et mystérieuse, tout comme dans « Science The S*** Out of This » où on retrouve la mélodie aux violoncelles, entourée cette fois de percussions métalliques et de loops électro discrets. La seconde partie développe alors le thème à travers les notes réverbérées d’un clavier plus optimiste, rappelant clairement le style électro-orchestral habituel d’Harry Gregson-Williams, plus proche ici de ses travaux chez Tony Scott. L’ambiance devient un brin plus éthérée et planante dans « Messages from Hermes » avec les notes planantes du violoncelle de Caroline Dale accompagnant un cor soliste et des cordes émouvantes. Ici aussi, l’idée de l’espoir et de la survie semble à l’ordre du jour, avec une utilisation très juste des solistes et des sonorités électroniques.

« Sprouting Potatoes » est un brin plus particulier dans son ambiance résolument optimiste et déterminée lorsque Mark prépare ses plants de pommes de terre dans le dôme, avec ses cordes lumineuses et son violoncelle nostalgique accompagné de quelques notes de guitare et de sonorités new age des synthétiseurs, un très beau morceau qui apporte une certaine luminosité à un score finalement assez mélancolique et mystérieux. Puis, lorsque la NASA découvre que Mark est toujours en vie, la musique devient soudainement plus sérieuse, plus tendue dans « Watney’s Alive ! », où l’électronique reste très présent mais de manière plus fonctionnelle, malgré quelques rythmes plus nerveux et plus présents sur la fin du morceau. On appréciera les recherches sonores électroniques d’Harry Gregson-Williams dans « Pathfinder », où le thème principal reste très présent, mais sans originalité particulière – on aurait aimé que le compositeur aille plus loin dans ses recherches sonores qui restent finalement très convenues et déjà entendues mille fois auparavant – De la même façon, « Hexadecimals » développe l’électronique avec des samples électro-techno curieusement plus datés, plus proches des années 90, pour la scène où Mark communique avec la NASA en utilisant un code ASCII. Dans « Crossing Mars », on retrouve l’émotion rêveuse du début avec le retour du thème principal sous un angle plus intime et mélancolique, mais c’est la façon dont le thème évolue vers un espoir plus solennel qui nous frappe ici, notamment à travers un arrangement orchestral grandiose pour cors, cordes et choeur assez saisissant, sans aucun doute l’un des grands moments de la partition de « The Martian » et une solide envolée thématique qui va en satisfaire plus d’un ! On pourra aussi apprécier l’apport du violoncelle dans le fonctionnel « Reap & Sow », ou la mélancolie résignée et minimaliste de « Crops Are Dead » avec son solo de basson d’une grande fragilité et les vocalises du jeune Dominic Lynch, tandis que chacun tente de se retrousser les manches dans « Work The Problem », alors que les ingénieurs de la NASA réfléchissent à une solution pour ramener Mark sur Terre.

« See You In A Few » développe le thème de manière dramatique à l’aide du clavier, de l’orchestre et de la chorale du Bach Choir apportant là aussi un éclairage humain et émotionnel à la dernière partie du film alors qu’Hermes tente une mission de la dernière chance pour aller sauver Mark sur Mars. « Build A Bomb » confirme cette tension dramatique qui représente l’ultime espoir de survie pour Mark, qui est à cours d’option depuis la destruction de ses cultures de pommes de terre. A noter ici la manière dont Harry Gregson-Williams fait judicieusement monter la tension, de manière certes fonctionnelle, mais assez intense à l’écran, durant la scène où Hermes provoque une explosion pour freiner la course du vaisseau afin d’intercepter Mark dans la fusée d’Ares IV. « Fly Like Iron Man » conclut l’aventure avec une ultime montée de tension qui renforce le suspense au cours du sauvetage final de Mark. On appréciera ici la manière dont la tension laisse progressivement la place à des sonorités plus dramatiques, et un final plus élégiaque et majestueux où les nappes sonores new age (façon Vangelis) suggèrent une reprise solennelle et poignante du thème principal dans toute sa splendeur, avec un sentiment de libération. La coda de « Fly Like Iron Man » s’avère être plus triomphante, marquée par une dernière envolée orchestrale/chorale inspirée.

On ressort donc plutôt satisfait de l’écoute de « The Martian », sur l’album comme dans le film, la musique se révélant assez généreuse dans sa manière de suggérer les émotions, sans jamais en faire des tonnes pour autant. Harry Gregson-Williams mélange les couches sonores électroniques et marie les sonorités pour parvenir à ses fins, utilisant aussi bien les solistes (violoncelle, voix de garçon soprano, basson, piano, etc.) que l’orchestre, les choeurs ou les synthétiseurs pour parvenir à ses fins. Peu originale en soi, la musique de « The Martian » s’impose surtout par ses montées d’espoir vibrantes, son utilisation adroite de l’électronique et son thème principal très inspirant, omniprésent d’un bout à l’autre du film et développé à loisir sous toutes ses formes. Sans être le chef-d’oeuvre de la collaboration entre Ridley Scott et Harry Gregson-Williams (on attend surtout beaucoup de son travail sur « Alien Covenant » !), « The Martian » s’avère être malgré tout une jolie réussite qui confirme la bonne qualité des musiques des films de Ridley Scott, qui n’a pas son pareil pour inspirer les musiciens qui travaillent sur ses films !

par Quentin Billard


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