Cheval de guerre (John Williams), Analyse Piste par Piste de la BO

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par Camille Brunel

- Publié le 01-01-2008




John Williams retrouve Steven Spielberg pour la 24e fois, entre "Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne" (2011) et "Lincoln" (2013). La flûte traversière, instrument inattendu, prend une place centrale et évoque le Nord de l'Angleterre, tout en dialoguant avec des violons majestueux et des cuivres étouffés. Ce choix d'instrumentation apporte une touche celtique, renforçant ainsi l'identité géographique de l'œuvre. Les thèmes évoluent en parallèle de l'intrigue, passant de la sérénité à l'aventure, puis à la tragédie. Des références à d'autres œuvres du compositeur, telles que "Jurassic Park" et "Harry Potter", sont également perceptibles.

 

 

1. Dartmoor, 1912. La flûte traversière est l'instrument roi. Bonne trouvaille : on ne l'aurait pas spontanément associée au cheval, généralement associé chez Spielberg en tout cas à des cordes plus lourdes (voir Indiana Jones 1). La flûte connote surtout le Nord de l'Angleterre (on se souvient du score de Braveheart de James Horner où la flûte jouait déjà un grand rôle). Très vite, apparitions de violons amples, majestueux, chaleureux. Très vite aussi, la local touch : le film commence en Angleterre, un thème un peu celtique apparaît, joué non pas à l'accordéon mais plutôt à l'orgue à bouche, semble-t-il. Puis les cordes reviennent, plus enjouées que dans l'ouverture : on croirait entendre Jurassic Park. Mêmes montées en puissance, à grand renfort de cuivres un peu étouffés. A l'époque, on avait trouvé ça sirupeux. Aujourd'hui, Jurassic Park est l'un des scores les plus mémorables du maître. Le thème qui éclate au bout d'une minute à peu près n'a cependant rien de grandiose : il est plutôt l'incarnation précise de ce qu'on appelle communément une envolée lyrique. Quelque chose y sonne de trop intime pour qu'on y ressente l'appel de l'aventure.

2. The Auction. Flûte traversière toujours. Comme souvent sur les BO de Williams, la deuxième plage est un peu à part, elle établit le mystère du film ; à part aussi parce qu'elle illustre le début, seul moment du film où l'aventure n'a pas commencé. Sorte de sérénité distraite. Le film se cherche, la musique aussi. Le ton reste plutôt joyeux, quoique pas euphorique ; la mélodie sonne celte, toujours. L'arrivée de la harpe confirme cette intuition (on pense à la lyre des bardes...)

3. Bringing Joey Home, and Bonding. Un début à la Hans Zimmer pour Pirates des Caraïbes, thème de Jack Sparrow. Cette troisième plage pourrait être une variation (imaginons un Jack Sparrow sobre). Quelque chose de pataud, de comique. La flûte revient, le thème aussi. Dialogue entre la flûte, lyrique, et la musique de comédie. Alternance régulière. Un passage plus onirique au milieu, puis retour à la comédie avec un autre thème plus joueur, plus enlevé que pataud : on pense à Pierre et le Loup, mais aussi et surtout, à certaines scènes des Harry Potter composés par Williams.

4. Learning the call. Les cordes s'envolent, enfin. L'ensemble reste très mélodique : rien à voir avec la période Minority Report/Guerre des Mondes/Indiana Jones 4. On est clairement plus proches des scores les plus mélodieux de Williams, Indiana Jones 3, Jurassic Park, Harry Potter (les deux premiers en tout cas). Il semblerait que la signature de cet opus-là, en plus de la flûte dominante, soit les contrebasses et violoncelles jouant à l'unisson quelques « pêches » régulières pour empêcher une mélodie légère comme une plume de retomber au sol.

5. Seeding, and Horse vs. Car. Alternance habituelle morceau rapide/morceau lent. Celui-ci est donc plus lent. On pense à la musique de Patriot de Roland Emmerich pour les élans chaleureux. Harpe, à nouveau. Apparition du cor, joué solitaire, à qui répond une flûte solitaire aussi... Chez Williams, le cor annonce la guerre, évoque immanquablement le requiem sublime d'Il faut sauver le soldat Ryan ; ou la scène du crash d'avion dans une autre Guerre, celle des Mondes... On n'en est encore qu'à la cinquième plage cependant : le thème reprend le dessus, toujours enjoué, toujours enlevé, porté à un nouveau stade d'euphorie, soutenu vers la fin par quelques trompettes très Indiana Jones première période.

6. Plowing. Scène de labour. Une ritournelle sombre évoque l'effort, le joug sur l'encolure de l'animal qui traîne cette ritournelle pendant une bonne minute avant de retrouver une liberté symbolisée par des accords comme seul Williams en a le secret : comme troublés, mais d'un trouble qui fait leur beauté, comme si l'on peinait à entendre quelque chose, à le croire, comme si ces accords étaient aussi fragiles qu'une vision. Cette fois le thème n'est qu'annoncé ; la ritournelle sombre revient ; le thème essaie de s'y mêler, et le mélange des deux produit une nouvelle version du thème plus mélancolique : quelque chose a changé. Cela donne le thème tel qu'il est entendu sur la bande-annonce : bourré de cordes, très Jurassic Park, très enlevé mais teinté de cordes semblant faire bande à part, qui l'atténuent en quelque sorte. On se souvient déjà tous des quelques notes jouées sur l'apparition du titre, à la fin de la bande-annonce, que l'on entend ici, à la fin.

7. Ruined crop, and going to war. Premier morceau résolument sombre. Mais il ne l'est pas tant que ça. L'inquiétude qui apparaît lors d'un passage en suspension reposant sur la répétition de trois notes s'efface assez tôt et laisse revenir le thème chaleureux du début. La fin cependant est celle d'un John Williams qui reprend Soldat Ryan - qui reprend même textuellement quelques notes du magnifique thème du générique de Band of Brothers, composé par Michael Kamen. War Horse est bien un film de guerre. 14-18 ou 39-45, la texture musicale reste la même tant que Spielberg tient les pinceaux.

8. The Charge and capture. Entrée en guerre de la caisse claire. Des cuivres menaçants façon Guerre des Mondes posant une note menaçante ici et là, se taisant pour revenir avec un air plus menaçant encore, puis renforcés d'autres cuivres qui, eux, sonnent plutôt comme Indiana Jones et le Temple Maudit. Retour au thème emprunté à Band of Brothers vers la fin, sorte d'errance tragique jouée par les cors et les cordes.

9. The Desertion. Première vraie musique d'action. On entend clairement Star Wars III par moments, la flûte traversière en plus. Les riffs sont ceux des dernières péripéties spatiales aperçues chez Lucas. Le tout s'apaise pour laisser la place à une deuxième partie beaucoup plus triste, portée par une contrebasse complètement déprimée.

10. Joey's new friends. Retour à quelque chose de plus léger. Sorte de marche légère : pom, pom, pom... Nouvelle mélodie, peu après, à la flûte toujours : Williams a été particulièrement généreux en la matière et on ne peut pas lui reprocher de s'être tenu à la même mélodie sur tout le film. La variété des parties de flûte est étonnante. Quelque chose du Terminal, par moment, dans cette nouvelle mélodie. Hanks était probablement perdu dans l'aéroport de New York comme le cheval se retrouve perdu en France...

11. Pulling the Cannon. On se demande ce qui va suivre cette intro pesante, angoissante. Scène d'action ou scène d'errance ? Star Wars III, encore, puis aussitôt, Soldat Ryan/Band of Brothers. War Horse est bien ce mélange de fantaisie à la Lucas et de realisme à la Spielberg. Les cuivres brûlants sont bel et bien ceux du dernier épisode de la saga interstellaire, sorti en 2005. Quelque chose de tragique dans cette brûlure. Les ouvertures grandioses de la fin, donnant sur des thèmes plus noirs encore, évoquent elles aussi Star Wars III - teintées d'Indiana Jones première période. War Horse est aussi ce mélange de la fantaisie de Spielberg du tournant des années 90, et de sa noirceur du tournant des années 2000. Le morceau s'achève sur deux accords épuisés.

12. The death of Topthorn. Un requiem. Morceau particulièrement triste dont la flûte a disparu, laissant la place au violon soliste. Descente interminable vers les octaves les plus graves. Splendide enchevêtrement de cordes désespérées, toujours très Star Wars III, avec une puissante contrebasse qui fait vibrer le creux du ventre tandis que le reste de l'orchestre tâche de s'élever. Magnifique.

13. No man's land. La musique devient soudain particulièrement horrifique. On nage en pleine Guerre des Mondes, lorsque l'œil vient inspecter la cave. Tapis ténu de cordes aiguës jouées à la Bernard Hermann, puis retour des cuivres menaçants et de leurs notes graves de Tripodes ; retour aussi de la caisse claire en guerre. Les cuivres ripostent avec quelque chose de très enlevé, très martial : on se croirait dans Indiana Jones ! Ca swingue, enfin ! Le morceau s'est littéralement métamorphosé - retour du thème à la Band of Brothers, mais comme à l'assaut, porté par tous les riffs possibles ; la caisse claire ne s'arrête pas ; change de rythme lorsque les cuivres menaçants changent de stratégie, et de mélodie ; les autres cuivres leur répondent avec un thème tellement héroïque qu'il en faut peu pour qu'on ne se croie revenus dans Pirates des Caraïbes. Les notes à la Star Wars III signent bien leur auteur, cependant... Quatrième temps, troisième stratégie : assaut des cordes, vite avorté - retour à un silence menaçant, tandis que grondent encore, faiblement, les cuivres, l'orage passe... S'éteint.

14. The Reunion. Est-ce que tout les compositeurs de films de guerre puisent leurs notes au même endroit, un air militaire unique serait-il à la source de tous les autres ? Après Soldat Ryan, Spielberg a produit Band of Brothers et Mémoires de Nos Pères, de Clint Eastwood : la musique de Band of Brothers est signée Michael Kamen, celle de Mémoires de nos Pères, Eastwood himself, pourtant au début de cette quatorzième plage de War Horse, avant que ne revienne le thème bien connu entendu dès le début du score, c'est Mémoires de nos Pères que l'on jurerait entendre. Humble renvoi d'ascenseur probablement de Williams à ceux qui se sont inspiré de son Soldat Ryan pour composer leurs musiques pour d'autres productions Spielberg... Nuance de tristesse ici lors du retour du thème, conséquence de l'orage constitué par les scènes d'aventures du milieu dont les mélodies ne ressortent pas vraiment indemnes. Mais ce morceau-là se termine en berceuse.

15. Remembering Emilie, and Finale. Morceau très apaisé. L'occasion de réécouter Heather Clark, Louise Dillon, Pedro Ustache, Geraldine Rotella ou Sarah Orme Weisz, l'un ou l'autre de ces flûtistes qui ont su donner au son de leur instrument une gravité peu commune - dans tous les sens du terme : leurs notes semblent étonnamment pleines, étonnamment douces, rondes, si bien qu'elles ne semblent pas moins remplies, moins riches que les mélodies reprises par l'orchestre entier, en réponse à leur solo. Finale au piano : sublime et un peu triste, comme tout ce qu'a toujours composé Williams au piano - on entend clairement ici un air de berceuse, furtivement... Avant que ne revienne l'orchestre, avec une grande douceur. Mais cette mélodie continue d'évoquer cette berceuse très célèbre (qu'avait reprise Keith Jarrett lors de son concert à Paris, piste 7 de son dernier album, Paris/London Testament - peut-être Williams écoute-t-il Jarrett plus souvent qu'on ne le croit ?). Dernières notes à la Band of Brothers, cependant.

16. The Homecoming. Le film terminé, voici la mélodie du générique de fin, où Williams peut reprendre tous ses thèmes et composer à son idée, sans avoir à suivre aucune image. La flûte occupe aussitôt le devant de la scène auditive et redevient plus joueuse, tandis que les cordes viennent la soutenir ici et là, avec des accords sonnant comme ceux de l'ouverture d'Indiana Jones 3. Quand les cordes jouent seules et s'offrent quelques-uns de ces sublimes accords troubles dont Williams a le secret, c'est toujours à Indiana Jones 3 que l'on pense - plutôt aux scènes du temple de la fin, cela dit. Quelque chose de celtique, qui tient probablement au caractère dansant des mélodies... Puis, à nouveau, un grandiose solo de flûte traversière. On se souvient alors des autres morceaux pour lesquels Williams avait composé des solos de flûte : c'était, en particulier pour Harry Potter 3. Il pousse ici la virtuosité à son comble : on ne saurait imaginer une mélodie plus adaptée à l'instrument. La flûte, c'est la solitude, l'isolement, un mélange de beauté de la solitude mêlée à sa mélancolie intrinsèque. La flûte de Williams raconte tout ça... L'orchestre indique la réunion. Mais les plus beaux passages sont ceux où la flûte part seule dans l'aventure d'un solo, loin au-dessus de l'orchestre, qui l'écoute.

par Camille Brunel


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