Interview B.O : Markus Schmidt

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Interview réalisée à Paris le 11 novembre 2011 par Benoit Basirico - Publié le 14-11-2011




D'origine allemande, Markus Schmidt est un compositeur spécialisé dans le jeu vidéo depuis 2003 : il vit en France depuis 15 ans. En 2011, il a signé la musique du jeu CURSED CRUSADE.


Quelle musique pour le jeu-vidéo ?

Cinezik : Quel a été votre parcours avant de composer pour le jeu vidéo ?

Markus Schmidt : J'ai commencé la musique sur le tard, vers 20 ans, avec 6 ans d'études théoriques musicales à Rennes. Avant, j'avais juste une guitare. J'ai toujours fait de la musique pour moi puis, en apprenant comment écrire la musique, je me suis dirigé vers le multimédia. J'ai alors rencontré, via le web, une entreprise allemande spécialisée dans le jeu vidéo. J'étais joueur comme tout le monde auparavant et je suis arrivé à travailler dans le domaine un peu par hasard.

Quel est pour vous le rôle de la musique dans un jeu vidéo ?

M.S : La musique ajoute ou approfondit un aspect humain et émotionnel qui n'est pas facile à reproduire dans l'univers virtuel du jeu. Dans un jeu, il y a différents type de musique : Elle peut apporter par exemple une coloration locale (pour une scène dans le désert, on joue les instruments du désert, comme le duduk). Il y a aussi la musique de combat, qui ajoute du rythme, de la "pêche", pour inciter le joueur à se surpasser lors des combats. Il y a aussi le thème principal qui donne une identité sonore au jeu. Puis Il y a bien-sûr des jingles qui sont des informations techniques, telle une musique associée au "Game Over" et une autre pour la victoire.

Dans l'histoire du jeu vidéo, la musique n'a pas toujours été à sa juste place, elle a souvent été considérée comme "une musique d'ascenseur", à l'image de ces simples motifs électroniques midi illustrant chaque pièce ("room") d'un jeu (on se souvient des fameux Amstrad, et même les premiers Mario Bros). En quoi cela a évolué depuis d'après vous ?

M.S : La musique de jeu vidéo n'est plus quelque-chose qui se joue uniquement avec des sons électroniques ou artificiels, elle peut aussi être jouée par un orchestre, des choeurs, des percussionnistes, cela rejoint la musique de film. La musique de jeu vidéo a bien évolué. La musique a un vrai rôle narratif, elle aide à raconter l'histoire du jeu, à le dynamiser, elle est intégrée dans le "game play", le déroulement du jeu.

Dans la mesure où la nature d'un jeu est conditionnée par son joueur, comment est défini le timing d'une musique, la durée d'un morceau ? Une musique composée est-elle ensuite diffusée en boucle ?

M.S : C'est la principale différence par rapport à une musique de film, le jeu vidéo n'est pas linéaire, on ne sait pas à l'avance ce que sera le timing du joueur, à quel moment le danger arrive, à quel moment le coup est donné, donc la musique doit accompagner tout cela sans donner de fausses informations. Généralement, la musique tourne en boucle en effet. La boucle intégrale peut durer entre 2 et 5 minutes, mais peut être interrompue au bout de 30 secondes si le joueur passe à autre chose. C'est au compositeur de faire une boucle suffisamment intéressante pour qu'au bout de dix répétitions il y ait toujours quelque-chose d'intéressant à y découvrir, car elle risque de devenir ennuyeuse sinon.

Est-ce à dire qu'il faut privilégier les textures au dépend du thème ?

M.S : Evidemment, une boucle qui ne comporte pas de thèmes est beaucoup plus discrète, donc pour une musique qui est beaucoup répétée, on a plutôt tendance à ne pas faire de thèmes pour qu'elle soit surtout atmosphérique. Mais les thèmes à la John Williams sont aussi beaucoup utilisés dans le jeu vidéo pour évoquer un personnage, ou pour l'identité du jeu, d'où le travail d'équilibriste du compositeur.

Y a t-il dans votre travail des musiques directement conséquentes aux actions du joueur, déclenchées par l'appui sur un bouton du joystick par exemple ?

M.S : Cela relève du bruitage, car une musique pourrait énerver le joueur, et il faut varier les sons selon les actions pour éviter que ce soit trop systématique. Mais la musique peut être elle-même interactive lorsque des percussions intensifient une action du joueur. Ce que je fais, c'est une superposition de différentes couches, avec plusieurs versions d'un même morceau (une version sans percussions, une version avec percussions) pour permettre de jouer sur ces différentes intensités en fonction de ce qui se joue.

Quel est votre interlocuteur, l'équivalent du réalisateur au cinéma ?

M.S : C'est le directeur artistique qui gère toutes les décisions globales sur le jeu, au niveau du graphisme, du scénario, de l'esthétique de l'interface, et aussi donc de la musique. Il est mon interlocuteur. Il n'est pas forcément musicien, donc on utilise des mots imagés, comme avec un réalisateur. L'idée est d'essayer de se comprendre pour correspondre à sa vision du jeu.

Y a t-il des pressions ou conditions imposées par les éditeurs ?

M.S : Il m'est arrivé une fois que l'éditeur s'en mêle, mais c'est relativement rare. Il peut intervenir sur le côté juridique.

A quel moment intervenez-vous sur un projet ?

M.S : J'interviens quand il y a des déjà des images. La musique ne se fait ni au début, ni à la toute fin lorsque tout est terminé, mais on travaille déjà avec les "Screenshots", sans avoir le jeu finalisé.

Etes-vous confrontés à des musiques préexistantes temporaires (temp track) destinés à vous donner des références pour votre travail ?

M.S : Oui, très souvent, c'est une pratique courante, cela permet de connaitre les intentions, je l'encourage même. Cela permet d'aller au delà des mots et peut aider à savoir ce que l'on recherche. C'est positif je trouve.

Quelle est ainsi la tendance actuelle de ces musiques d'emprunt ?

M.S : C'est variable, cela peut être une musique de film, une musique d'un autre jeu, la musique d'un tube de variétés, ou alors d'un musicien funk peu connu...

Parlez-nous maintenant de CURSED CRUSADE, votre dernier jeu-vidéo (la BO est sortie en septembre dernier, écoutez des extraits ci-dessous) ?

M.S : Mon interlocuteur était Yann Tambellini, directeur artistique chez le dévelopeu Kylotonn. Il m'a donné des instructions précises. Il voulait une musique mélodique, un thème qui soit sifflable pendant toute la BO. La musique devait avoir un son épique, hollywoodien, avec choeur, orchestre, percussions et instruments ethniques. La musique devait être intense et pas trop discrète contrairement à ce que je disais tout à l'heure. Mais la musique ne joue pas constamment pendant le jeu. Elle est si intense qu'elle doit faire des pauses.

Pourquoi le choix des percussions ?

M.S : J'avais fait plusieurs versions, et le développeur du jeu m'a demandé de rendre les percussions plus présentes. Le jeu est assez violent, donc les percussions soutiennent le côté brutal du jeu. C'est un choix pour ce jeu, mais sur un autre travail, on m'a plutôt demandé d'enlever les percussions pour éviter de les confondre avec les bruits des sabots de chevaux.

Connaissez-vous les bruitages au moment d'écrire la musique ?

M.S : On ne sait pas à quel moment quel bruit joue, donc il ne faut pas trop intégrer de bruitages dans sa musique. Il faut leur laisser la place.

Quelle est la durée de votre musique composée pour CURSED CRUSADE ?

M.S : Entre 20 et 30 minutes. Il y a une dizaine de morceaux. Je compose une minute par jour. Cela représente un à deux mois de travail à peu près.

Il s'agit de la durée de musique composée, mais j'imagine que la durée musicale du jeu est plus grande ?

M.S 
: Mes musiques reviennent plusieurs fois, le développeur les place où il veut en fonction de l'action. Un morceau de suspens peut revenir à plusieurs endroits dans le jeu.

Ce n'est pas au compositeur de synchroniser et de déterminer la place de ses musiques ?

M.S : L'intégration est faite par le développeur, ce n'est pas le compositeur qui choisit l'endroit des musiques. A partir du moment où j'ai livré la musique, c'est au développeur de choisir le lieu et le nombre de diffusion de chaque morceau. En revanche, concernant les cinématiques, ces petites séquences en intermède dans le jeu, où l'on passe en mode film, la musique est composée comme pour un film, spécialement pour la séquence, elle ne va pas ailleurs.

Comment votre musique doit-elle s'adapter au support du jeu, que ce soit un ordinateur, une console, ou maintenant des téléphones portables ?

M.S : Un PC ou une Playstation, c'est comparable, ce sont les même type d'enceinte que l'on va utiliser. En revanche, pour un téléphone, ce sont des petites enceintes, donc il faut éviter certaines fréquences pour que la musique reste précise. Pour les consoles portables, c'est pareil, on ne peut pas écrire une musique avec beaucoup de basses ou très orchestrée, on utilisera plutôt des fréquences aiguës, claires, avec peu d'éléments à la fois.
Quand on enregistre avec un orchestre, c'est une musique qui pourrait aussi bien aller pour un film, capable de supporter le "surround". Il y a encore des jeux vidéo où l'on est obligés de passer par le moteur du jeu pour produire certains sons. La technologie qui permet de développer des jeux produit elle-même des sons, on est donc obligé de coder la musique avec ces sons là. Mais depuis qu'on peut encoder des fichiers en wav, avec les capacités actuelles de mémoire, on arrive à une qualité cinématographique.

Que pensez-vous des talents français, sommes-nous en retard ?

M.S : La France a quand même Ubisoft, l'un des principaux éditeurs mondiaux, ou encore un studio de développement comme Quantic Dream, donc les talents sont là, mais en ce moment c'est le marché qui ne suit pas. J'ai connu des gens de grand talent qui sont partis pour le Canada, le jeu vidéo y est en plein développement alors que le marché en France est régulièrement en crise.

Que pensez-vous de ces compositeurs de cinéma tel Hans Zimmer qui se mettent à écrire de la musique pour le jeu vidéo ? Est-ce malgré tout un métier à part ?

M.S : Je pense que c'est un métier à part, mais cela n'empêche pas Hans Zimmer de s'adapter au spécificités du jeu vidéo. Et un compositeur de jeu vidéo peut aussi travailler pour le cinéma, ce qui est d'ailleurs dans mes projets actuels, car je suis passionné de cinéma. Je vise des productions dans les genres drame social (type "Welcome"), suspens et "horror-movie" (dans le style de Ligeti, qui s'adapte très bien à l'horreur).

Interview réalisée à Paris le 11 novembre 2011 par Benoit Basirico

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