Journal des B.O de Cannes 2025 ( 1 )
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par Benoit Basirico
- Publié le 14-05-2025Certaines sélections du Festival de Cannes, à l'instar de la Quinzaine des cinéastes, la Semaine de la Critique et l'ACID, ouvrent leur programme dans une absence de collaboration musicale : "Enzo" de Robin Campillo et sa bande-son rap et techno ancrée dans le réel du personnage, l'absence totale de musique dans "L’Intérêt d’Adam" de Laura Wandel, ou les reprises ponctuelles de Bach par le fils de la cinéaste ainsi que Stone & Charden par Katerine dans "L’aventura" de Sophie Letourneur. La sélection officielle permet en revanche de montrer le double visage de la musique. Elle est un personnage à part entière et de premier plan dans le film chanté “Partir un Jour”, avec des reprises de chansons populaires arrangées pour l’occasion et interprétées par le casting sur le plateau. La musique déploie également sa puissance narrative, de manière plus discrète mais tout aussi cruciale dans “Promis le Ciel”, où ses notes suggèrent l’invisible, consolident le récit, font le lien entre les personnages, et insufflent une émotion. Ainsi, qu'elle soit manifestement en vedette ou subtilement intégrée, préexistante ou spécifiquement composée, qu'elle évoque le hors-champ ou participe pleinement au spectacle visuel, la musique lors des Ouvertures de Cannes 2025 démontre l'étendue de ses possibilités expressives et de son impact dans l'art cinématographique.
Partir un jour (Amélie Bonnin ) ★★★★
[Ouverture Selection officielle]-
Le film d'Amélie Bonnin, adaptation de son court-métrage éponyme primé aux César, relate l'histoire de Cécile (Juliette Armanet), cheffe sur le point d'ouvrir son restaurant à Paris, mais contrainte de retourner dans son village natal et au relais routier familial suite à l'infarctus de son père (François Rollin). Ce retour la confronte à Julien (Bastien Bouillon), son amour de jeunesse, ravivant ses souvenirs liés à ses origines modestes, dans une atmosphère douce-amère. La bande originale, puisant dans le répertoire populaire des années 90 (avec des titres comme "Le Loir-et-Cher" de Michel Delpech, "Cécile ma fille" de Claude Nougaro, "Paroles, paroles" de Dalida, pour se terminer par "Partir un jour" des 2Be3), agit comme un catalyseur émotionnel. Elle explore la nostalgie et illustre un récit de retour aux sources et de regrets amoureux. À l'instar d'"On connaît la chanson" d'Alain Resnais, le film utilise les paroles de chansons comme dialogue entre les personnages ou comme expression de leurs pensées et sentiments. Elles sont là pour raviver une flamme. Les titres sont réarrangés pour l'occasion (par P.R2B, Thomas Krameyer, Keren Ann et Chilly Gonzales), interprétés par les acteurs (outre le duo en tête d'affiche, on retrouve Tewfik Jallab, Pierre-Antoine Billon, Mhamed Arezki, Dominique Blanc et Amandine Dewasmes) et enregistrés en direct sur le plateau. Les personnages passent du parlé au chanté, ce qui fait avancer l'intrigue tout en évitant le spectacle gratuit (le "film karaoké") pour privilégier l'authenticité des émotions et des non-dits. Le film explore ainsi, dans une approche intimiste, les thèmes du retour aux sources et des romances manquées, tout en jouant néanmoins avec les codes de la comédie musicale, en s'amusant avec les attentes (comme lorsque l'instrumental de "Je l'aime à mourir" semble annoncer la chanson, mais s'interrompt avant que le personnage ne puisse s'exprimer).
Promis le ciel (Erige Sehiri ) ★★★ - BO : Valentin Hadjadj
[Ouverture Un Certain Regard]
Valentin Hadjadj, connu pour sa sensibilité musicale à fleur de peau dans "Girl" (2018) et "Close" (2022), signe la musique du film dramatique franco-tuniso-qatari d'Erige Sehiri. La réalisatrice avait auparavant fait appel à Omar Aloulou pour "La Voie normale" et à Amine Bouhafa pour "Sous les figues". La partition, caractérisée ici par la présence intermittente du violoncelle comme fil conducteur émotionnel et le timbre du oud pour le contexte culturel, instaure un hors-champ sensible alors que la mise en scène se concentre sur l'intimité des visages et des paroles. Le film relate l'histoire de Marie (Aïssa Maïga), pasteure ivoirienne et ancienne journaliste vivant à Tunis. Elle héberge Naney (Déborah Lobe Naney), une jeune mère en quête d'un avenir meilleur, et Jolie (Laetitia Ky), une étudiante déterminée. Leur quotidien est bouleversé lorsqu'elles recueillent Kenza (Estelle Kenza Dogbo), une fillette de 4 ans rescapée d'un naufrage. Elles forment ainsi une famille recomposée, tendre mais intranquille, dans un climat social de plus en plus préoccupant. La musique vient alors relier les trois femmes de ce portrait choral. Le film intègre également les chants religieux de la paroisse.
Enzo (Robin Campillo ) ★★★
[Ouverture Quinzaine des Cinéastes]
Robin Campillo a finalisé le dernier film de Laurent Cantet (dont il était le scénariste), décédé avant son achèvement, comme l'aboutissement d'une longue amitié et collaboration. Le film relate le parcours d'Enzo (Eloy Pohu), un adolescent de 16 ans, apprenti maçon à La Ciotat, qui rejette son milieu bourgeois et un cadre familial qu'il juge étouffant. Le film explore la complexité de ce jeune homme en quête d'identité, tiraillé entre son environnement d'origine et la découverte d'une autre réalité. Le récit confronte ainsi deux milieux sociaux, alternant les scènes sur les chantiers avec celles se déroulant dans la villa familiale dotée d'une piscine. Le film joue sur des effets de miroir. Le nouvel horizon, qu'Enzo fantasme auprès de Vlad (son collègue ukrainien), fait écho à la jeune fille, amie de son frère, avec laquelle il passe une nuit. De plus, le film se présente comme une sorte de miroir inversé d'"Arthur Rambo", le précédent et dernier film achevé par Laurent Cantet. En effet, on y retrouve une histoire de transfuge de classe : le maçon issu d'un milieu bourgeois, qui renonce à une éventuelle carrière de dessinateur, remplace ici l'écrivain provenant d'un milieu défavorisé. Sur le plan musical, rien ne vient illustrer cette quête identitaire et l'opposition des mondes sociaux, la musique est principalement intra-diégétique, qu'il s'agisse d'un rap chantonné par le personnage ou de la musique d'ambiance lors d'une fête au bord de la piscine. Ceci permet d'amplifier les silences pesants et les non-dits. Une exception notable survient à la fin, où le spectateur quitte le film sur un oratorio de Haendel, "Le Triomphe du Temps et de la Désillusion", dont le titre fait écho au parcours initiatique du jeune homme.
L’Aventura (Sophie Letourneur ) ★★
[Ouverture ACID]
Pour la musique de sa chronique familiale, Sophie Letourneur (réalisatrice de "Voyages en Italie" et "Enorme") recherchait une ritournelle simple et répétitive. C'est ainsi que l'on entend à plusieurs reprises le "Prélude n°1 en do majeur (BWV 846)" de Bach. Interprétée au piano par son propre fils dans une version fragile, cette pièce renforce le côté foutraque et artisanal de ce récit de vacances et par ses réminiscences souligne la thématique du souvenir. Le film suit une famille – Sophie (incarnée par la réalisatrice), Jean-Phi (Philippe Katerine), leur fille Claudine (Bérénice Vernet) et leur fils Raoul (Esteban Melero), âgé de 3 ans – lors de vacances en Sardaigne. Ce road trip explore avec humour les dynamiques familiales et le passage du temps (notamment avec des vignettes contées au passé en voix off) empruntant un ton trivial (souvent scatologique), célébrant la vacuité, le tout encouragé par une sécheresse musicale. Le film se clôt cependant sur une reprise de "L'Avventura", la chanson de Stone & Charden, interprétée par Katerine.
par Benoit Basirico
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