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,@,renoir2025041019,Cannes 2025,boubal, - Interview B.O : Rémi Boubal, “Renoir” de Chie Hayakawa Interview B.O : Rémi Boubal, “Renoir” de Chie Hayakawa

Cannes 2025 • En Compétition

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Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 21-05-2025




Rémi Boubal retrouve la réalisatrice Chie Hayakawa après "Plan 75" (2022) pour ce drame japonais qui se déroule à Tokyo en 1987, où Fuki, une jeune fille de onze ans est confrontée à la maladie incurable de son père et au stress de sa mère, qui doit jongler entre les soins à son mari et son travail. Livrée à elle-même et dotée d'une imagination foisonnante, Fuki développe une fascination pour la télépathie et se réfugie dans son propre monde fantasmatique, cherchant à entrer en contact avec les vivants, les morts, et avec elle-même. La partition cherche à traduire le monde intérieur de Fuki, son innocence et son imagination, contrastant avec la dureté du récit (maladie, deuil). Subtilement mélodieuse, la musique reflète l'innocence enfantine à travers des sonorités tels que piano, vents (tuba, euphonium, clarinettes, saxophone), harpe, violon et vibraphone, prolongeant le monde onirique.

Cinezik : Concernant "Renoir", par rapport à "Plan 75", votre première collaboration avec Chie Hayakawa, y avait-il une forme de continuité ? Ou bien a-t-il fallu repartir de zéro, se poser de nouvelles questions pour ce nouveau film, un drame poignant qui explore le monde de l'enfance, nous ne quittons pas le regard de cette jeune fille, Fuki, dans le Tokyo de 1987.

Rémi Boubal : C'était un peu les deux. Il fallait effectivement repartir de zéro, car ce film n'a rien à voir avec "Plan 75", qui était une dystopie. "Renoir" est un film beaucoup plus autobiographique pour la réalisatrice, et elle n'avait donc pas les mêmes attentes en termes de musique. En revanche, elle faisait référence à l'atmosphère générale de "Plan 75" que nous avions trouvée ensemble. Elle souhaitait que nous restions sur quelque chose de très éthéré, de très climatique.

Et, le personnage de la jeune Fuki a pu inspirer la musique ? Une musique subtilement mélodieuse, qui navigue entre innocence et onirisme ? La musique traduit véritablement sa bulle intérieure.

Rémi Boubal : Oui, c'était l'idée. L'idée était à la fois que la musique soit un peu candide pour se rapprocher de Fuki, qui est âgée de 11 ans dans le film. Et puis, petit à petit, l'idée était que la musique épouse le ressenti de Fuki, lorsqu'elle réalise, par exemple - lors d'un fait notable où elle se rend chez un inconnu - et qu'au fur et à mesure qu'elle revient, elle prend conscience de ce qui s'est passé, de ce à quoi elle a échappé, sans vouloir divulgâcher le film. La musique accompagne cette prise de conscience. Il s'agissait d'interpréter les états intérieurs du personnage de Fuki, qui est une enfant, mais qui bascule dans le monde adulte à travers le décès de son père.

Il y a à la fois cette bulle, cette innocence, et en même temps une gravité, le deuil, ainsi que des moments où elle ne mesure pas pleinement ce qui lui arrive. La musique traduit donc ces fluctuations, ces allers-retours en quelque sorte ?

Rémi Boubal : Oui, c'est cela. Elle a plusieurs rôles. Dans le dernier tiers du film, à mesure que l'intrigue se développe, la musique reflète davantage les états intérieurs du personnage. La musique a aussi une autre utilité : elle permet de créer des séquences de recul, notamment lors des messages téléphoniques ou lorsque les personnages déambulent dans le Tokyo de 1987. Elle sert également à ménager des ellipses.

Est-ce que le fait de retrouver la réalisatrice vous a conduit à intervenir plus tôt que sur "Plan 75" ?

Rémi Boubal : Alors oui, parce que pour "Plan 75", c'était un peu à la dernière minute ; en tout cas, le film était déjà monté lorsque j'ai commencé à travailler. Pour "Renoir", Chie Hayakawa m'avait envoyé le scénario en amont, nous avions beaucoup discuté, puis elle m'a envoyé les photos de tournage. Quand j'ai reçu les photos, j'ai composé plusieurs thèmes, plusieurs morceaux de musique. Une bonne moitié de ces morceaux ont servi de base au montage du film et figurent finalement dans la bande originale actuelle.

Et quel type de réalisatrice est-elle pour un compositeur ? Accueille-t-elle volontiers les propositions ou est-elle très directive ?

Rémi Boubal : Elle est très directive quant aux sentiments vers lesquels la musique doit tendre. C'est très précis. Par ailleurs, elle est vraiment ouverte à tout. Nous nous entendons bien, c'est une collaboration réellement plaisante. Parce qu'elle n'impose aucune limite concernant les thèmes, les choix d'instruments, ou le style. En revanche, comme elle souhaite des choses très précises au niveau de la mise en scène, c'est moi qui m'auto-limite, ou du moins qui fais le tri dans mes idées pour lui proposer des éléments susceptibles de lui correspondre.

Et en termes d'instrumentation, vous avez opté pour des sonorités plutôt douces. On entend des vents : tuba, euphonium, clarinette, saxophone ; il y a aussi le violon, le piano. Et puis la harpe, qui renvoie évidemment à un univers de conte.

Rémi Boubal : Oui, je ne l'avais pas analysé ainsi, mais c'est juste. La harpe double le piano. Nous avons essayé plusieurs types de pianos : un piano droit, un piano préparé, un piano à queue... plusieurs choses. Mais l'idée de doubler le piano avec la harpe nous plaisait. Concernant les bois et les cuivres, l'idée était d'essayer de se rapprocher un peu des textures sonores des années 80, qui étaient alors très synthétiques, pas du tout acoustiques, mais de les évoquer avec des instruments acoustiques.

Le choix de l'instrumentation précède-t-il l'écriture des mélodies ? Comment organisez-vous ce processus ?

Rémi Boubal : Pour moi, c'est la mélodie qui vient en premier. L'instrumentation en découle ensuite, sachant que nous étions contraints par un budget, ce qui limite évidemment aussi le choix des instruments. Ensuite, cela a découlé de nos discussions avec Chie Hayakawa ; nous avons beaucoup parlé du vent, du souffle, qui est très présent dans le son du film, notamment à travers le dernier souffle du père de Fuki. Les bois se sont donc imposés assez naturellement. Par exemple, pour la clarinette alto, avec des articulations et une prise de son spécifiques, on entend autant le souffle de l'instrumentiste que les notes. Donc, c'est la mélodie en premier, mais l'idée de l'instrumentation, de l'orchestration, était tout de même présente dès le début.

Il y a un univers japonais, la culture de l'indicible, de quelque chose de caché, la place aux fantômes. On peut penser à Miyazaki, mais en images réelles. Dans la musique, avec ce piano, il y a quelque chose de cet ordre-là.

Rémi Boubal : La comparaison est élogieuse, j'adore Miyazaki, mais je ne me compare évidemment pas à Joe Hisaishi ! De plus, je n'ai vraiment pas essayé d'aller vers quelque chose de japonisant ou d'asiatique. Mais la première séquence, celle des funérailles par exemple, a finalement quelque chose d'un peu japonisant, même si ce n'était pas la volonté première. Tant mieux si cela vous évoque cela. Et ce sont peut-être aussi les images qui ont un fort pouvoir évocateur et auxquelles on associe volontiers ce type de musique.

Après, concernant Miyazaki, ce n'est pas vraiment de la musique japonisante au sens strict, car Joe Hisaishi reprenait des références occidentales comme Debussy ou Ravel. D'ailleurs, dans ce film, on entend un concerto de Mozart, on entend du Purcell. Il y a donc cette culture européenne présente. Malgré tout, dans ce film, on entend le Yellow Magic Orchestra, le groupe de Ryuichi Sakamoto ?

Rémi Boubal : Oui, c'était pertinent pour plusieurs raisons. Déjà, le film se déroule en 1987, donc c'était bien d'avoir une référence à la musique japonaise de ces années-là. Et Yellow Magic Orchestra était vraiment le groupe phare à cette époque. De plus, le titre est excellent. Et Chie Hayakawa voulait vraiment quelque chose d'assez radical, à tout point de vue d'ailleurs. Je pense que cela se vérifie dans le montage, dans le son, dans la musique. Le morceau de Sakamoto et Yellow Magic Orchestra arrive à un moment où on ne s'y attend pas et se coupe de manière abrupte, comme beaucoup de musiques dans le film d'ailleurs. C'était une volonté de sa part. Pour elle, cela corrobore l'imaginaire d'un enfant, celui de Fuki, qui change sans cesse et où il n'y a pas forcément de lien logique entre une idée et une autre. Dans l'imaginaire du personnage principal, évidemment, il y en a un. Moi, je trouve en tout cas qu'il y a une véritable poésie sur toute la longueur du film, qui relie les différentes scènes entre elles.

Ce sujet est très personnel pour la réalisatrice, inspiré par la perte de son propre père. Comment cette dimension intime a-t-elle créé un enjeu, et peut-être une pression supplémentaire pour vous, en tant que compositeur ? Comment vous positionner par rapport à quelque chose d'aussi important pour elle ?

Rémi Boubal : Alors, pression, oui et non, car j'ai découvert l'aspect autobiographique très tard. Au début, elle ne m'en avait pas parlé. Après avoir envoyé la première maquette, c'est vraiment plus tard, en voyant le film, que j'ai remarqué beaucoup de similitudes avec ce que je savais de la vie de Chie Hayakawa. Elle me l'a ensuite expliqué. Donc, la pression due au côté autobiographique du récit n'était pas présente initialement, puisque je l'ai appris après coup. Mais en tout cas, cela donne une autre lecture au film dès lors qu'on le sait.

Et en termes de placement, il n'y a pas de frilosité à mettre la musique sur des moments d'émotion, mais sans tomber dans le pathos. Elle contraste, elle crée un peu de magie. Cela allège la gravité de certaines situations.

Rémi Boubal : Merci. Oui, nous avons essayé des choses, et la réalisatrice voulait vraiment ne jamais sombrer dans un écueil ou un autre. La musique intervient parfois à des endroits où on ne s'y attend pas vraiment. Il y a des moments où l'on pourrait mettre de la musique, mais elle ne le souhaitait pas. Je pense que c'était un bon choix. Nous avons fait des essais, cela fait partie du processus. On essaie, puis on revient sur certaines idées.

Le film est très formel, il possède une grande beauté plastique. La musique contribue à cet aspect. D'un autre côté, il y a une sorte d'opacité narrative. On ne comprend pas toujours les enjeux, il y a un certain flottement, ce qui nous place dans la perspective de cette petite fille qui ne saisit pas non plus tout ce qui lui arrive. La musique peut parfois clarifier des enjeux narratifs. Dans ce travail, y avait-il aussi l'enjeu de ne pas trop appuyer, de ne pas trop clarifier justement ?

Rémi Boubal : Exactement. Oui, au début, j'avais vraiment essayé de composer quelque chose de beaucoup plus narratif, pensant justement que cela aiderait au niveau du montage et de la compréhension. Mais Chie Hayakawa m'a rapidement dit : « Non, non, je veux que ce flottement existe », pour les raisons que vous venez d'évoquer : exprimer ce que ressent cette petite fille perdue dans toutes ses émotions qui affluent en même temps et qu'elle n'arrive pas à trier. C'est pour cela qu'il y a cette radicalité, y compris le fait, comme je le mentionnais, que les musiques s'arrêtent de manière abrupte et que les choix soient très tranchés. C'était vraiment pour aller dans ce sens. Au début, j'avais écrit des thèmes qui se déployaient, mais cela ne fonctionnait pas avec la proposition de mise en scène de Chie, donc nous avons abandonné cette idée.

Y avait-il des références musicales ? Est-ce que Chie Hayakawa avait des idées précises en tête, des morceaux à vous faire entendre ?

Rémi Boubal : Non, pas vraiment. Elle m'a envoyé des photos, des images, elle m'a parlé de films. Des films japonais, je ne me souviens plus précisément lesquels. Puis, pour aider à créer une ambiance générale, elle m'a envoyé des photos de Fuki - enfin, de Yui, l'actrice principale - et un mood board avec aussi des éléments du décor... C'était vraiment des films des années 80 qu'elle avait en tête pour l'esthétique. Et à la fois, le film n'est pas non plus trop marqué, trop empreint de son époque. Il n'y a pas de longs plans sur des voitures des années 80, on n'est pas du tout dans ce type de reconstitution ; ce sont plutôt les codes vestimentaires qui sont là pour nous rappeler la période.

Et les années 80 sont une période de développement de la musique électronique, des synthétiseurs... mais votre musique se dispense d'aller dans cette direction ?

Rémi Boubal : Oui, nous nous sommes posé la question. Dans les premières maquettes, j'avais fait des propositions avec des synthétiseurs. Et puis, pour la raison que j'évoquais précédemment - cette notion de souffle -, même si l'on aurait pu trouver quelque chose avec des synthés pour l'exprimer, nous nous sommes dit que quelque chose d'acoustique serait peut-être plus proche du personnage de Fuki. Il y a tout de même un piano électrique et un synthétiseur à un moment donné. Il y a aussi une musique dans un restaurant que j'ai composée, un genre de pop un peu japonaise, très électronique, mais c'est de la musique diégétique.

Vous avez donc pris en charge des moments de musique diégétique ?

Rémi Boubal : Oui, beaucoup de moments diégétiques. Chie Hayakawa m'a fait confiance pour cela. Habituellement, on utilise des musiques de synchronisation (musiques préexistantes), et nous en avons utilisé quelques-unes, mais il y avait certains passages où Chie voulait vraiment que je propose des compositions originales. Notamment la séquence dans le cinéma, quand les personnages regardent un film d'animation qui retrace la Seconde Guerre mondiale. Pour cette musique-là, nous avons essayé que la musique diégétique devienne extra-diégétique. En tout cas, c'est l'idée que nous avons proposée, et j'ai donc aussi écrit cette musique.

Et cela a-t-il été ajouté en post-production, ou la musique était-elle prête pour le tournage ?

Rémi Boubal : Non, cela a été ajouté en post-production.

Il y a dans ce film un brouillage entre le réel et l'imaginaire. Souvent, la musique de film permet de s'extraire du réel. On est ancré dans une réalité, dans un travail sonore précis, et la musique vient créer un effet de bulle. Ici, ce brouillage se manifeste aussi dans le placement de la musique. C'est-à-dire qu'entre le réel et l'onirisme, ce brouillage est accentué par un placement musical où les arrêts et les reprises de la musique ne sont pas nets. La délimitation est très floue.

Rémi Boubal : Oui, c'était vraiment un choix de Chie Hayakawa. Au début, j'avais du mal à en saisir la raison, parce que cela me heurtait un peu. Évidemment, on aime composer une musique qui a un début, un développement, et une fin, qu'elle soit ouverte ou fermée, mais en tout cas que la conclusion soit musicalement assumée. J'étais donc un peu désorienté par cette approche. Et puis, comme elle me l'a expliqué, il était important pour elle que la fracture soit nette entre les moments musicaux et le réel qui reprend ses droits. Il y a souvent un son du réel - que ce soit la panique de la mère lorsque son père est ensanglanté dans la salle de bain, ou bien un son de train - qui vient couper net la musique. Et c'est toujours dans cette idée d'une succession de saynètes, reliées entre elles, mais qui figurent ce qui se passe dans la tête du personnage principal.

C'est vrai, on est davantage dans le ressenti, le sensoriel, que dans une conscience claire de l'histoire qui nous est racontée. En termes de mélodie, de thème, y avait-il aussi cette idée que le thème ne soit pas trop évident, qu'on ne le décèle pas trop facilement ?

Rémi Boubal : Oui, tout à fait. Et puis, Chie Hayakawa n'est pas vraiment adepte des thèmes trop mélodiques, en tout cas pour ce type de film. Donc, j'ai fait plusieurs propositions, mais il est vrai qu'il fallait un thème très court, d'une part parce que les séquences ne sont pas très longues. D'autre part, elle voulait qu'il soit facilement mémorisable pour pouvoir le réutiliser plus tard, à d'autres moments du film. Et puis, pour le côté « petite fille », il fallait que la musique retranscrive une certaine naïveté. Pour moi, cela passait par quelques notes, une petite mélodie. C'est pour ces raisons que la mélodie est courte et qu'elle ne se veut pas non plus trop envahissante ou apparente.

Et au-delà de la composition, en termes d'interprétation et d'orchestration, après le travail sur maquette, comment s'est opéré le choix des musiciens ?

Rémi Boubal : Le choix des musiciens s'est fait selon plusieurs critères. Le premier concernait les instruments : par exemple, pour le tuba contrebasse, il y a peu d'instrumentistes qui en jouent. Il fallait donc trouver quelqu'un qui maîtrise bien cet instrument. Pour la harpe, c'est plus facile. C'est moi qui ai joué le piano et l'euphonium. Je travaille avec une régisseuse qui s'occupe de la logistique des enregistrements de mes musiques. Je lui ai donné un cahier des charges, et elle m'a trouvé d'excellents musiciens. C'était très agréable d'enregistrer avec eux. Nous n'étions pas sur des instruments particulièrement rares ou trop difficiles à trouver sur Paris.

Donc, l'enregistrement s'est fait à Paris ? On sait qu'il y a une tendance, pour des raisons économiques, à faire appel à des musiciens depuis l'étranger. Y a-t-il aussi de votre part une forme de militantisme à faire travailler des musiciens français ?

Rémi Boubal : Oui, c'est un choix. En tout cas, je préférais enregistrer un effectif réduit, mais qui fonctionne très bien, me semble-t-il, pour la musique du film. Nous n'avions pas besoin de plus. Nous avons enregistré à Paris, au studio Ferber. J'aime beaucoup cette acoustique, qui est très mate. J'apprécie particulièrement le son de ce studio ; il y a une véritable proximité que l'on peut obtenir en enregistrant là-bas. Mais oui, c'était un choix. En tout cas, j'ai la chance de pouvoir enregistrer mes musiques à Paris et de ne pas avoir à délocaliser cette étape.

Vous travaillez sur des films aux géographies variées. Ici, nous sommes au Japon ; il y a eu "Mexico 86" qui se situait en Amérique du Sud. Il y a donc cette exploration de différentes géographies sans jamais les traiter de manière folklorique. Et puis, il y a aussi, et c'est peut-être le fil rouge de votre filmographie, une musique qui évoque l'absence, le manque, la perte.

Rémi Boubal : Oui, certainement. J'imagine que tout cela est lié aux demandes des réalisateurs et à leurs propositions. Lorsque nous discutons, il s'agit des sentiments qu'ils souhaitent exprimer à travers la musique, des raisons de ces choix, et j'essaie de traduire cela musicalement. 

En tout cas, cela permet à la musique de ne pas être un simple soutien, une illustration ou un commentaire de l'image. La musique devient un véritable personnage qui prend en charge l'invisible.

Rémi Boubal : Ah oui, merci. C'est ce que je m'efforce de faire. Parce que ces films le nécessitent. Je pense que c'est aussi le genre de film qui appelle ce type de musique. Et c'est vrai que j'éprouve beaucoup de plaisir à composer ces musiques, même si les sujets ne sont pas forcément joyeux. En tout cas, c'est très intéressant.

On constate que dans le cinéma international, vous avez trouvé votre place avec ce type de musique. Est-ce que vous choisissez les films en fonction de cela, ou ce sont plutôt ces projets qui viennent à vous ? Par exemple, seriez-vous intéressé par une pure comédie ?

Rémi Boubal : Je pense que, souvent, ce sont les films qui viennent à moi. Ce sont fréquemment des réalisateurs avec lesquels j'ai déjà travaillé, ou des sociétés de production. Car une production qui réalise des films d'auteur internationaux ne fait généralement pas de comédies, par exemple. D'autre part, si l'on me proposait une pure comédie, je la refuserais, car je ne me sentirais pas capable de la faire. Je pense que cela demande des codes, une culture que je n'ai malheureusement pas. Et j'ai beaucoup d'estime pour les compositeurs qui réussissent à écrire ce genre de musique, parce que faire rire en musique, je pense que c'est extrêmement difficile.

On parle souvent du côté caméléon des compositeurs, capables de s'adapter à tous les univers. Mais malgré tout, souhaitez-vous poursuivre dans un sillon qui correspondrait davantage à votre style personnel ?

Rémi Boubal : Sans doute... Je ne sais pas. Avec Lucien Papalu, nous avions fait "Platane", ou encore la série "LASCARS", qui étaient tout de même des comédies. Mais je pense que l'orientation de ma musique n'était pas très « Mickey Mousing » - et ce n'est absolument pas condescendant envers ceux qui le pratiquent. Nous avions essayé de trouver un second degré dans l'humour à travers une musique qui n'était pas forcément drôle à la base, mais c'est ce qui, apparemment, fonctionnait. Donc, peut-être y a-t-il quelque chose au fond de moi qui est plus proche du drame que de la comédie, je ne sais pas. 

En quoi considérez-vous que votre style musical, votre langage d'écriture, a évolué depuis vos premiers films jusqu'à aujourd'hui ?

Rémi Boubal : Je pense que je fais des choses plus personnelles aujourd'hui. Quand j'ai commencé, et c'est normal à mon avis, on a envie que la musique « sonne » comme de la musique de film, alors que la musique de film n'est pas un genre en soi. Maurice Ravel disait : « Surtout n'hésitez pas à imiter les maîtres, eux l'ont fait avant vous. » Je pense qu'il y avait un peu de cela au début pour moi. Aujourd'hui, je tends davantage vers quelque chose - je ne sais pas si c'est singulier - mais en tout cas qui me correspond davantage, et dans lequel je me reconnais, sans chercher à ressembler à tel ou tel compositeur. Parce qu'au début, il est finalement rassurant de se rapprocher de l'esthétique d'un compositeur, et c'est gratifiant aussi lorsqu'on réussit à s'en approcher - évidemment, on ne peut pas se comparer à des maîtres - mais de se dire que cela sonne un peu comme ce compositeur-là, ou cette esthétique-là. Je pense qu'ensuite, au fur et à mesure, on a envie de se détacher de cela et surtout de faire des choses singulières, authentiques, qui nous ressemblent.

Et concernant les conditions de travail dans le métier, y a-t-il une évolution ? 

Rémi Boubal : Je ne sais pas vraiment. Je remarque que les délais sont toujours courts, toujours trop courts de toute façon. Parce que dans le processus de composition, il y a un moment où il faut savoir s'arrêter sur une musique, et quand on est contraint par un cadre, c'est beaucoup plus simple de s'arrêter, parce qu'on a une raison : il y a une deadline. J'ai la chance que, la plupart du temps, nous commencions à travailler en amont. Donc, on est très vite intégré au processus, même si, finalement, les maquettes réalisées à partir d'un scénario ne correspondent pas toujours au résultat. C'est comme lire un livre et voir ensuite son adaptation au cinéma : on est forcément un peu désorienté. C'est pareil pour moi : quand je lis un scénario, puis que je vois les premières images du film, parfois l'imaginaire que l'on s'est construit ne fonctionne pas avec le montage. Il faut alors tout recommencer, mais cela fait partie du travail. Mais le fait d'être impliqué en amont signifie, je pense, que l'on est beaucoup plus intégré au processus que si l'on découvrait le film une fois le montage image terminé, où l'on ne peut plus vraiment s'immiscer. Par exemple, sur "Renoir", il y a une séquence pour laquelle j'avais composé une musique. Au début, le montage épousait parfaitement la musique. Puis, pour des raisons normales de durée, il a fallu raccourcir le film - ce qui est courant - et donc on raccourcit aussi les séquences musicales, logiquement. Sauf que là, on coupait le thème en plein milieu. Avec Chie Hayakawa et la monteuse, Anne Klotz, nous avons essayé plusieurs choses, et la solution a été de rallonger légèrement le montage pour que cela fonctionne avec la musique. Donc, à ce niveau-là, je me sens intégré dans le processus. 

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico


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