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,@,Cannes 2025,planetes2025042512,becker, - Interview B.O : Nicolas Becker & Momoko Seto, le compositeur/sound designer et la réalisatrice des “Planètes”. Interview B.O : Nicolas Becker & Momoko Seto, le compositeur/sound designer et la réalisatrice des “Planètes”.

Cannes 2025 • Semaine de la Critique

,@,Cannes 2025,planetes2025042512,becker, - Interview B.O : Nicolas Becker & Momoko Seto, le compositeur/sound designer et la réalisatrice des “Planètes”.


Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 25-05-2025




Nicolas Becker ("Sound of Metal") et Quentin Sirjacq ("Les Beaux Jours") signent la musique du film d'animation franco-belge de Momoko Seto, une épopée singulière dans laquelle quatre graines de pissenlit, uniques rescapées d'une série d'explosions nucléaires qui ont anéanti la Terre, échouent sur une planète inconnue et se lancent dans une quête désespérée pour trouver un sol propice à la survie de leur espèce. L'absence totale de dialogues et de voix off confère à la musique et au design sonore un rôle prépondérant, devenant les véritables langages du film, traduisant la majesté et la fragilité du monde naturel, sans se priver d'oser la caractérisation de ces "personnages", se substituant même à leur parole. La collaboration entre le designer sonore et le compositeur promet une alchimie unique, où les enregistrements de terrain de Becker (vent, eau, vibrations du sol) et ses textures sonores s'intègrent aux compositions plus structurées de Sirjacq (piano, synthétiseurs, percussions accordées).

Cinezik : Tout d'abord, Nicolas Becker, comment peut-on définir votre travail sur ce film, celui du sound-designer ou du compositeur de la musique (auprès de Quentin Sirjacq) ?

Nicolas Becker : Au cours de ma carrière, j'ai été bruiteur, puis sound designer, et maintenant, je me consacre beaucoup à la musique. Je pense que cela relève toujours du son, mais il s'agit d'une sorte de construction différente, puisque la musique possède sa propre autonomie, son propre langage. Il était donc intéressant de pouvoir travailler à la fois sur le bruitage, le sound design et la musique, et de pouvoir réellement tisser tous ces éléments ensemble pour produire un résultat intéressant et plus homogène.

Momoko Seto, vous êtes réalisatrice au CNRS où vous avez réalisé des documentaires scientifiques, parallèlement ou antérieurement à votre activité de réalisatrice de cinéma. Pour la musique de ce film, lors de sa préparation, dans quelle mesure y a-t-il eu une recherche sonore liée à l'environnement naturel, à la faune et à la flore ?

Momoko Seto : Je fais des films scientifiques avec des penseurs et non en biologie. Le son dans ce film n'a rien à voir avec la science, puisque tous les sons sont faux, tout est fictif. Le son du champignon n'est pas celui qu'il a réellement émis. Je doute même que nos oreilles puissent percevoir le son d'un champignon. Tout a été inventé. Aussi, lorsque nous avons créé tout le sound design avec Nicolas, j'ai expliqué qu'il fallait transformer les sons. C'est-à-dire que si cet insecte ne mesure plus 2 millimètres, mais 2 mètres, quel son produirait-il en roulant, avec une taille de 2 mètres, nous avons donc opéré toute cette translation d'idées, cette transformation, cette redéfinition de ce que l'on voit par le son, en considérant qu'il est plus lourd, plus rapide. Tout cela a été subtilement travaillé avec Nicolas pour redéfinir ce que nous voyons.

Nicolas Becker : Il y a quelque chose de très intéressant dans la manière dont Momoko Seto a produit le film : un travail sur les échelles, à la fois temporelles et de taille, puisque l'on passe subitement de l'univers entier à un gros plan sur la patte d'un insecte. Il était donc également très intéressant de trouver un langage musical capable de retranscrire ce travail sur les échelles de temps et d'espace.

C'est un film d'animation - même si vous mettez en scène une matière réelle, telle la capture photographique d'éléments naturels - ce qui implique beaucoup de temps de préparation, à quel moment le son et la musique ont-ils été travaillés ? 

Momoko Seto : J'avais contacté Nicolas et Quentin Sirjacq avant même le tournage -  qui a duré 260 jours, dans plusieurs pays - dès l'étape de l'animatique et de l'écriture. Quentin et Nicolas sont d'ailleurs venus sur le tournage au château de Rambuteau, où nous sommes restés neuf mois à filmer beaucoup de plantes, pour observer le processus, et aussi pour capter quelques sons dont la texture pourrait nous inspirer. Nicolas m'a expliqué que la présence de son pendant le tournage modifiait la manière de filmer. Ce dialogue, cet échange, existait donc déjà au stade embryonnaire de la création de l'image. Ensuite, ils sont intervenus bien sûr durant le pré-montage, car la durée des plans, comme chacun sait, varie en fonction du son. Puis, ils ont commencé à proposer quelques idées musicales pour ajuster le montage, et parfois même des prises de vues que nous avons réalisées ultérieurement. Il y a donc eu un vrai dialogue, un véritable tissage entre la fabrication des images et celle du son. La création sonore s'est étendue sur presque deux ans : des idées ont été proposées, puis nous les avons laissées mûrir. 

Nicolas Becker : Désormais, lorsque je travaille sur un projet musical, j'essaie de former des « super groupes », c'est-à-dire de créer un collectif autour du projet en sollicitant des personnes aux caractéristiques musicales particulièrement intéressantes. Je travaille ainsi souvent en duo avec Quentin Sirjacq, qui a une formation plus classique que la mienne. Il a donc œuvré sur tout l'aspect du développement mélodique et des arrangements. Pour ma part, je me suis concentré sur la couleur, la palette sonore, les textures, les matières. Ensuite, nous avons également sollicité Eddy Ruscha, un ami avec qui je collabore fréquemment, qui a apporté une certaine folie. Il utilise beaucoup de petits synthétiseurs, il possède cet univers très coloré, un peu psychédélique. L'idée était donc de le faire participer pour conférer au film cette note très ludique et colorée. L'objectif est, à chaque fois, non pas de contraindre leur travail, mais plutôt de rechercher des personnalités dont les caractéristiques naturelles s'harmonisent bien avec l'univers du film.

Dans "Planètes", la frontière entre son et musique est très ténue, le son y est musical, et la musique joue avec les sonorités. Dans votre travail, dans quelle mesure avez-vous utilisé des instruments pour créer des sons, ou des sons réels comme s'il s'agissait d'une partition ?

Nicolas Becker : Il est vrai que dans ce cas, nous mélangeons tout. Ainsi, des bruitages peuvent devenir des bases rythmiques ; des sons musicaux peuvent venir renforcer, par exemple, les petits personnages lorsqu'ils évoluent dans l'espace. Par moments, de subtiles sonorités d'ondes Martenot sont employées pour leur donner une expression. Nous avons donc véritablement cherché à décloisonner et à entrelacer tous ces éléments, en écho au mélange visuel existant, qui intègre de multiples influences. Bien sûr, et plus secrètement, nous avons été quelque peu influencés par la musique électronique japonaise des années 80-90. C'est une influence que nous avons discrètement souhaité insuffler au projet. Et cela fonctionnait effectivement très bien.

Le film aurait pu s'orienter vers un film d'animation proche du documentaire, observant scrupuleusement la réalité. Or, la fiction l'emporte à travers l'existence de personnages. Les pissenlits deviennent des protagonistes, et le film se transforme en conte philosophique. À quel moment du processus cette création de personnages s'est-elle décidée ? La musique semble véritablement leur donner vie.

Momoko Seto : Les personnages étaient présents dès le début. Pour nous, il était essentiel de ne pas réaliser un film scientifique ni un documentaire naturaliste. Ce n'était absolument pas l'objectif. Il s'agit de percevoir la nature différemment, comme si elle jouait un rôle, dans un contexte d'« acting ». Les graines ne sont pas les seuls acteurs de ce film ; les plantes environnantes et le sol le sont également. Le sol et l'humidité sont des acteurs à part entière. Et tous ces éléments invisibles deviennent également des acteurs, car l'interaction nécessite au moins deux entités. Les graines interagissent avec le sol, qui devient ainsi le contrechamp de la graine. Si l'humidité disparaît, les plantes meurent. Qu'observent les plantes ? Elles observent l'humidité. Il s'établit ainsi un champ-contrechamp entre l'humidité et les plantes dépérissantes, comme le décrirait Darwin dans son magnifique ouvrage, « L'Origine des espèces ».

La caractérisation des personnages engendre de l'émotion : on s'émeut pour eux, on rit avec eux, on craint pour eux lors de confrontations avec certains animaux. Cette caractérisation - osons le terme de Mickey Mousing - vous l'employez, ce que je trouve audacieux de nos jours, alors que certains réalisateurs s'en détournent. Comment cette approche a-t-elle été développée ?

Nicolas Becker : Nous avons tout de même cherché à éviter un Mickey Mousing trop direct ; en réalité, nous avons employé des souffles pour animer les personnages, tout en veillant à ne pas tomber dans la caricature. En l'absence de dialogues, la musique et le son en général ont contribué à redéfinir et à renforcer la dimension fictionnelle, l'intrigue, l'état d'esprit des personnages à chaque instant, ainsi qu'à caractériser chaque environnement. La musique a donc joué un rôle à la fois narratif et plastique. Il a fallu jongler avec ces deux aspects, et Momoko Seto nous a guidés avec une grande précision sur ce que la bande-son devait véhiculer comme informations concernant les personnages et l'histoire. Il ne s'agit donc pas uniquement d'un travail plastique, mais également d'un travail narratif mené à travers la bande-son, en étroite collaboration avec Momoko Seto.

Vous parlez de précision. Momoko, si vous ne maîtrisez pas le vocabulaire musical, quels mots employez-vous pour exprimer cette précision ?

Momoko Seto : N'étant absolument pas musicienne et n'ayant aucun talent particulier dans ce domaine, je craignais un peu de ne pas parvenir à me faire comprendre par Nicolas et Quentin. Très vite, le dialogue entre nous s'est avéré très simple et clair. Nous n'avions pas besoin d'évoquer la musique en termes techniques, mais plutôt de parler d'émotions, de sensations. Par exemple : « Il faut que ce soit ample », « Il faut que l'on ressente de la peur »... Des sensations communes à toutes les formes d'art, que ce soit l'écriture ou la musique. Nous avons donc privilégié des termes du quotidien plutôt que le jargon spécifique à chaque discipline. Notre dialogue était ainsi plus global, plus directif, s'inscrivant dans un registre commun.

Nicolas Becker : L'absence de narration classique et de dialogues offre une manière d'introduire une dimension quasi phénoménologique. Le public doit ainsi appréhender l'histoire à travers l'expérience qu'il traverse. Cela invite à donner une voix, non pas en se substituant, mais en parlant pour les plantes, les animaux, et l'univers vivant en général - hors de la sphère humaine - et de chercher à susciter des émotions et des sensations pour que le spectateur s'interroge et réfléchisse au sens du film. Il y a à la fois une synesthésie avec l'univers visuel, et un langage qui doit se construire pour établir une narration à travers la musique et le son du film.

Momoko Seto, l'idée était-elle aussi pour vous de faire preuve de retenue ? Car le film évoque le cosmos, la catastrophe. Un orchestre aurait pu souligner cet aspect spectaculaire. Et pourtant, le film conserve une dimension intime.

Momoko Seto : Oui, nous souhaitions bien sûr éviter de tomber dans le grandiloquent. Je pense que c'est plutôt Nicolas et Quentin qui possèdent cette élégance, celle de ne pas verser dans le surplus ou l'excès caricatural, et de maintenir une approche plus subtile, plus indirecte. Au sein de l'équipe, nous apprécions tous les musiques expérimentales et celles qui repoussent les frontières établies. Nous ne cherchions donc aucunement à refaire un Fantasia 3 ou un Koyaanisqatsi 8, mais visions plutôt une œuvre qui ne soit ni confidentielle, ni excessivement grand public, afin de proposer une création nouvelle et avant-gardiste, à l'image du film.

Nicolas Becker : Il y a un équilibre à trouver entre l'aspect expérimental et l'aspect ludique. Recréer un univers également très ludique permet au public d'aborder différemment une dimension plus expérimentale. Nous devions donc véritablement trouver cet équilibre entre l'avant-garde et la dimension foncièrement ludique du film.

Et dans votre travail, Nicolas Becker, on perçoit souvent, que ce soit dans "Black Flies" ou "Sound of Metal", que l'on retrouve dans "Planètes", une dimension subjective, une exploration sonore de la psyché d'un personnage.

Nicolas Becker : Oui, c'est indéniablement la direction que prend mon travail. C'est également le cas sur le dernier film d'Andrea Arnold ("Bird", 2024). La bande-son réagit à l'état intérieur des personnages. Nous sommes donc véritablement dans la description d'un monde intérieur en résonance avec le monde extérieur. Comme si le son se transformait subitement en fonction de la psyché des personnages, de la tension ou de l'émotion des scènes. Pour moi, il y a donc véritablement une démarche de cet ordre à accomplir, mais elle ne doit pas être trop appuyée ; elle doit suggérer plutôt qu'être redondante. J'essaie donc toujours de procéder de manière assez discrète, mais en même temps très consciente.

Et comment s'est articulé le travail en binôme avec Quentin Sirjacq ? Momoko Seto avait-elle deux interlocuteurs distincts pour le son et la musique, comment cela s'est-il organisé ?

Nicolas Becker : Ce qui est très intéressant avec Quentin, c'est qu'il a une culture musicale extrêmement poussée, il possède une connaissance technique très approfondie de l'histoire de la musique. Ma position est davantage celle d'un praticien du son, des sonorités en général. Nous sommes très proches artistiquement, mais nos pratiques diffèrent complètement. Ce qui est notable, c'est l'absence de confrontation, de contradiction ou de problème entre nous. Nous sommes extrêmement complémentaires. De même, Eddy Ruscha, qui a collaboré avec nous, s'est très bien intégré, car il évolue lui aussi dans un univers très distinct. En réalité, cela relève davantage de l'esprit de groupe que d'un travail de composition solitaire. L'idée était véritablement de former une sorte de groupe éphémère, le groupe musical idéal pour le film de Momoko Seto.

Et Momoko Seto, vos goûts cinématographiques et en matière de musique de film ont-ils également constitué des références que vous pouviez exprimer ?

Momoko Seto : Je ne voulais surtout pas donner trop de références, car je craignais qu'ils interprètent cela comme une attente spécifique et s'y conforment. C'était vraiment une carte blanche. Je leur accordais une confiance absolue - plus qu'absolue, au-delà de 100 % - pour qu'ils créent leur propre univers, une fois le film appréhendé bien entendu, et qu'ils soumettent leurs propositions. Je ne souhaitais surtout rien imposer.

Nicolas Becker : Un autre aspect très important pour moi est la proximité avec les réalisateurs et la capacité à rebondir très rapidement sur leurs idées. Ainsi, lorsque Momoko Seto était avec nous, si une idée émergeait, nous la concrétisions immédiatement. Il y avait une véritable instantanéité dans le processus de travail : toute intuition se traduisait très vite en idées sonores ou musicales. C'est un aspect que j'apprécie énormément : pouvoir suivre au plus près la manière dont le réalisateur repense constamment son film. Car pendant le processus de travail, il y a toujours des évolutions, des changements, des remises en question. Suivre au plus près les intuitions de Momoko Seto est primordial, car cela engendre l'idée d'être véritablement ensemble dans un processus créatif collectif, et de pouvoir ainsi produire des éléments nouveaux qui intègrent en permanence de nouveaux paramètres, de nouvelles interrogations, de nouvelles intuitions. Il est crucial pour moi de posséder cette capacité de réaction rapide, cette dimension très performative, presque comme une performance en direct. Car nous parlons d'un univers très vivant, foisonnant de vie, où la nature elle-même génère constamment des émergences, des mutations, des hybridations. L'idée était donc de créer une bande-son également hybride, en mutation, en constante évolution.

On oppose souvent la texture - l'aspect climatique du sound design - à la mélodie. Vous fusionnez les deux, car même à partir du son, vous créez des motifs.

Nicolas Becker : Oui, c'est exactement l'idée. Disons que toute musique est son, mais tout son n'est pas musique. Ainsi, les sons se transforment en musique lorsqu'une structure musicale émerge d'eux, pour ensuite potentiellement redevenir simple son. Il s'opère une sorte de transformation alchimique, presque magique, où des éléments informes - textures, bruitages - peuvent soudainement se structurer pour devenir motif, mélodie, avant de se désagréger à nouveau pour redevenir son, matière plus chaotique et organique.

Pour la musique, l'étape du mixage est primordiale, voire un moment critique où tout peut être redistribué. Pour le travail sonore global, c'est une étape tout aussi essentielle ?

Nicolas Becker : L'avantage d'avoir pu travailler simultanément sur le bruitage, le son et la musique est l'absence de conflit. Tout étant conçu ensemble, les éléments coexistent, pacifiquement ou non, selon les enjeux de chaque séquence. Dans tous les cas, cela offre la capacité de tisser une matière complexe qui engendre une grande richesse. Un son peut se muer en musique, une musique en son, une ambiance peut évoluer : tout est en transformation constante. C'est un axe que nous souhaitions explorer, y compris dans sa dimension synesthésique. Le film étant très coloré, d'une richesse visuelle absolument incroyable, nous aspirions également à une grande richesse sonore. Cela pouvait inclure aussi bien des bruitages que des sons orchestraux, de petits synthétiseurs, ou encore des sonorités issues de ce que l'on nomme des « toys », de petits jouets sonores. Nous avons abordé les matériaux de manière très ouverte, ce qui a favorisé une grande diversité. Et j'apprécie beaucoup cet éclectisme dans le film. Je trouve que cela reflète bien la diversité de la vie et du monde vivant.

Assistez-vous forcément au mixage ou transmettez-vous des intentions précises ?

Nicolas Becker : Nous avons travaillé avec Thomas Gauder, qui est un ami de longue date et un très grand mixeur. Il possède une très grande capacité d'écoute et a mixé des centaines de films. Il peut donc réagir très rapidement et se montre véritablement à l'écoute. Travailler avec lui a donc été très facile pour moi. C'est pourquoi il m'importe toujours de collaborer avec des mixeurs avec lesquels j'ai une bonne entente. Car ainsi, je peux leur laisser une grande liberté, étant donné qu'ils ont compris le film, que nous nous connaissons et sommes amis. Il en découle une collaboration très naturelle. Pour moi, le mixage n'est pas une simple validation du travail antérieur, mais une véritable étape où notre création devient plus performative. C'est un moment où l'on interprète les sons dans la temporalité ; ils sont littéralement joués par les doigts du mixeur sur les faders. Il y a une dimension de réinterprétation qui est, à mes yeux, très importante. En musique pure, le mixage est souvent relativement statique. Ce qui est passionnant dans le mixage de musique de film, ou du son en général, c'est que, étant lié à une image en constante évolution - les espaces, les couleurs, les échelles varient -, on a soudain la possibilité de créer une dynamique sur les éléments musicaux et sonores que l'on peut rarement se permettre en musique pure, sans l'image.

On parle du son et de la musique au service du film. Momoko Seto, dans quelle mesure le montage, l'image même, ou la lumière ont-ils pu être influencés par une musique préalable ?

Momoko Seto : Un exemple de séquence ayant véritablement fait l'objet d'un aller-retour avec la musique : il s'agit de la scène où le personnage découvre enfin une planète et tente d'y pénétrer, mais où toute la constellation céleste se métamorphose en calamar. Ce fond étoilé se transforme donc en un calamar géant, formant un anneau - sans jeu de mots avec l'anneau de calamar - autour de la planète que les personnages finissent par percuter en y entrant. Pour cette scène, l'idée musicale était d'employer le gamelan indonésien, souvent utilisé dans le théâtre traditionnel, afin de créer une ambiance à la fois tribale, archaïque et psychédélique, où le calamar se met à émettre de la musique au moment où une frontière protégée est franchie. Les personnages pénètrent alors dans la planète. Nous avons enregistré cette musique, une création originale pour le film. Soudain, cette dimension tribale, archaïque, a pris vie, et nous avons allongé la séquence, initialement plus courte, car il fallait ressentir la masse de ces calamars protégeant la planète. Il y a donc eu deux ou trois allers-retours pour ajuster et finaliser la scène.

Nicolas Becker : Je souhaiterais ajouter que l'idée de la technique mixte est fondamentale. Elle est réellement présente dans le travail visuel. Cela peut concerner des plans ou des arrière-plans tournés dans divers pays. Ensuite, il y a des éléments réalisés en macro, en time-lapse, en slow motion, etc. Et au niveau musical, nous avons également cherché à mélanger différentes techniques. Des images réelles sont associées à des éléments sonores inventés. L'idée était donc d'employer des techniques mixtes pour la bande-son afin de s'aligner sur le langage visuel. Il y avait une sorte d'équivalence, de synesthésie, jusque dans les méthodes de travail.

 

[La version podcast de l'entretien sera publiée ultérieurement]

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico


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