,@,lucky-lu2025051022,Cannes 2025,humenry2025052919, - Interview B.O : Charles Humenry, “Lucky Lu” de Lloyd Lee Choi Interview B.O : Charles Humenry, “Lucky Lu” de Lloyd Lee Choi

Cannes 2025 • Quinzaine des Cinéastes

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Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 30-05-2025




Charles Humenry retrouve Lloyd Lee Choi après leur collaboration sur le court-métrage "Closing Dynasty" (2023), pour la musique de ce drame américano-canadien qui relate les déboires de Lu Jia Cheng (Chang Chen), un immigré chinois livreur à vélo à New York, dont l'existence précaire bascule lorsque son unique gagne-pain, son vélo électrique, lui est dérobé. Cette crise survient alors que sa femme et sa fille, qu'il n'a pas vues depuis des années, arrivent d'Asie pour le rejoindre. S'engage une course désespérée de 48 heures, principalement dans Chinatown, pour récupérer son bien. La musique élégante et gracieuse de cordes et clarinette cherche à témoigner d'une certaine bonté, évitant habilement le pathos, en contraste avec le contexte, en mettant en lumière l'expérience immigrante de manière émotionnellement honnête, et tisse un lien avec les sons de la ville, dans une approche minimaliste et texturée.

Cinezik : Comment la rencontre s'est-elle faite avec le réalisateur Lloyd Lee Choi ?

Charles Humenry : C'est vraiment une histoire à la new-yorkaise. C'est-à-dire que tout a commencé il y a quelques années. Il était en relation avec ma colocataire, et c'est ainsi que nous nous sommes rencontrés. Nous sommes devenus très amis et avons fait un court métrage ensemble, qui a également rencontré du succès dans les festivals. Nous sommes allés à la Berlinale, à South by Southwest. Nous nous sommes donc retrouvés pour ce long métrage. C'était une excellente collaboration. Comme d'habitude avec lui, car nous sommes vraiment très amis.

Vous êtes un Français aux États-Unis. Quel a été votre parcours, votre formation musicale ?

Charles Humenry : J'ai commencé, comme beaucoup d'enfants, par le piano classique. J'ai fréquenté l'American School of Paris pendant quelques années, puis je suis parti étudier au Berklee College of Music à Boston. La découverte de la musique à l'image est venue un peu plus tard. Auparavant, je réalisais des albums. Et cela fait seulement quatre ou cinq ans que, me souvenant de mon enfance où j'écoutais des bandes originales de films, je m'y suis remis.

Alors, quel a été le premier point de contact sur "Lucky Lu" ? Était-ce l'image, le scénario, la rencontre ?

Charles Humenry : Forcément, la rencontre, puisque nous sommes amis. Puis, il m'a envoyé le scénario en août dernier. Nous avions commencé à parler un peu de musique. J'ai écrit deux ou trois morceaux qui lui ont plu. Et après, nous nous y sommes vraiment mis... Ce qui était un peu intense, c'est qu'ils ont tourné le film en décembre et janvier à New York. Et ensuite, toute la finalisation du film s'est faite très rapidement pour être à temps pour Cannes en mai. Mais voilà, c'est le scénario qui a initié des échanges d'idées, d'ambiances... Et nous avons trouvé une sonorité qui nous plaisait.

À la lecture du scénario et du sujet, qui porte sur la communauté chinoise aux États-Unis, aviez-vous connaissance qu'un film traitant d'un sujet similaire, "L'Histoire de Souleymane", avait été présenté à Cannes avec un certain succès ?

Charles Humenry : Bien sûr, nous en avons parlé. Mais les points de vue diffèrent un petit peu. Il est vrai que nous voulions rendre notre propre hommage à ce genre d'histoire, à ce genre de communauté.

Dans "Lucky Lu", le personnage principal est un livreur à vélo, d'où le lien avec "L'Histoire de Souleymane". Autant ce dernier film se prive totalement de musique, celui-ci en intègre, alors qu'il aurait pu s'en dispenser par souci de réalisme. Le réalisateur, à quel moment savait-il que le film pourrait accueillir de la musique ? 

Charles Humenry : Il a su tout de suite qu'il en voulait. Mais nous ne voulions pas que cela fasse "musique de film". Concrètement, nous ne soulignons pas des moments dans les scènes ; nous sommes là pour installer une atmosphère qui représente l'esprit du personnage principal, pour vraiment conserver ce réalisme : nous ne voulions jamais imposer des sentiments au public.

Quelle a été la première idée, intention musicale ? En termes d'instrumentation, de motifs ?

Charles Humenry : Après avoir lu le scénario en août, j'ai écrit une pièce musicale et il a tout de suite dit : "Ah, c'est magnifique, mais ce n'est pas ça." Et puis, pendant le montage, je me suis souvenu de cette pièce et je me suis dit : "Mais tiens, nous n'avons pas essayé ici..." En fait, une scène se déroule quand la famille se réunit finalement à New York : la petite fille et la maman arrivent dans le bus, et il y a un peu plus d'émotion. C'est un trio de cordes. Nous avons utilisé cette première pièce que j'ai écrite au début, sans savoir où nous allions l'utiliser ou quoi que ce soit. La boucle était bouclée. C'était vraiment un beau moment où nous nous sommes rendu compte que, juste avec la lecture du scénario, nous avions déjà réussi à trouver des idées qui allaient fonctionner.

Dans le scénario, il y a donc ce livreur à vélo en difficulté : il se fait voler son vélo, il est dans une détresse économique, chassé de son logement. Et la musique reste élégante, gracieuse. Finalement, il y a une certaine bonté dans la musique, plutôt que d'écraser davantage la situation du personnage...

Charles Humenry : Complètement, je suis content que vous ayez apprécié cela. Nous ne voulions vraiment pas surcharger ce qui se passait à l'image. Par exemple, un des moments que je considère comme l'un de mes préférés dans le film : à la fin, il commet un acte pas idéal et un accident survient, sans dévoiler le film. Mais la musique reste au même niveau, il n'y a pas de crescendo ou quoi que ce soit. C'est presque distant et inévitable. Nous voulions vraiment approcher ce moment comme cela, sans suggérer : "Attention, il va y avoir un gros accident, quelque chose arrive." Il y avait vraiment ce détachement par rapport au personnage principal à ce moment-là.

Il y avait le refus de jouer complètement la carte du thriller ?

Charles Humenry : Nous avons vraiment fait l'effort ; par exemple, lorsqu'on voit la famille qui se retrouve, nous avons fait en sorte que la mélodie qui les représente arrive bien plus tôt dans la scène, avant qu'on ne les voie. Nous ne voulions pas que cela arrive au moment précis où nous les voyons se réunir. Et nous n'avons jamais voulu être trop directifs : "Allez, il faut être triste, il faut être content" ou quoi que ce soit. Donc vraiment, nous avons fait l'effort d'être un peu à contre-courant.

Il n'y a pas le soutien du thriller, ni de l'émotion appuyée, et il n'y a pas non plus le soutien à cette culture chinoise. À aucun moment des instrumentations chinoises ne figurent dans la musique...

Charles Humenry : Exactement, nous voulions vraiment que ce soit une histoire de famille par rapport à cet homme. Nous avons eu forcément beaucoup de conversations au début. Nous sommes à New York, donc est-ce qu'on fait quelque chose d'un peu jazz ? Est-ce qu'on fait des choses avec pas mal de batterie pour donner un peu de rythme ? Parce que c'est vrai que New York est une ville très bruyante. Et l'équipe, notamment Matt Drake qui a fait les bruitages, a réalisé un travail incroyable. Nous nous sommes dit tout de suite qu'il fallait vraiment marquer une différence. C'est vrai que la musique est très intime, en fait, par rapport à tout le bruit ambiant de New York. Nous voulions vraiment créer cette différence et nous connecter à l'idée de famille, d'un père qui essaie de tout faire pour les siens.

Le rôle du compositeur est de chercher la bonne place pour la musique, quel espace elle va occuper. Et là, on voit qu'elle occupe l'espace psychologique. Est-ce que l'idée était d'être dans sa douceur intérieure ?

Charles Humenry : Exactement, et c'est vraiment d'être à l'intérieur de ce personnage, de voir comment il se sent. Il n'arrête pas, il lui arrive beaucoup de choses, il n'abandonne pas, il n'est pas triste, il continue encore et encore, il essaie de trouver de l'énergie et du bonheur dans ce qu'il fait, même si c'est très compliqué. Le film condense vraiment 48 heures de malheurs, mais il s'en sort plus ou moins.

Nous évoquions les sons, et c'est vrai que le film est aussi très sonore par rapport à la ville. La violence à l'oreille n'est pas dans la musique, elle est dans le son. Donc il y a ce contraste quelque part entre violence sonore et douceur musicale. Est-ce que, quand vous avez composé la musique, vous aviez les éléments sonores du film pour travailler en synergie ?

Charles Humenry : Alors, cela a été une course pour finir le film. Nous avons su au dernier moment qu'on était sélectionnés à Cannes. Donc nous n'avons eu que trois semaines pour faire toute la musique. C'était la folie. Je n'ai pas eu l'occasion d'avoir accès aux bruits du film, mais j'ai eu accès à l'image, forcément, donc cela m'a beaucoup aidé. C'est vrai que j'ai eu de la chance d'avoir cet ingénieur du son, Matt, qui a fait les bruitages et le mixage du film, qui a vraiment su comment mêler les bruits de la ville et la musique.

Dans votre activité de compositeur de manière générale, comment s'inscrit ce film-là ? Est-ce un style musical que vous avez déjà pratiqué ou alors vous adaptez-vous à chaque film, tel un caméléon ? Reflète-t-il votre œuvre de manière générale ou est-ce une pierre dans un édifice plus vaste ?

Charles Humenry : Très bonne question. C'est vrai que chaque compositeur impose sa "patte" dans les films qu'il compose. Pour moi, c'est plus l'aspect caméléon qui prime, parce que j'invite vraiment le réalisateur, le monteur et parfois même des producteurs à des conversations. J'aime créer la musique parfaite pour chaque film. Et cela ne va pas forcément être la musique que je fais tout le temps, mais cela aura ma touche. Cette musique, je ne l'aurais jamais composée par moi-même. C'est ce que j'adore. Il y a toujours ce déclic, ce moment où, après des conversations avec le réalisateur, avec le monteur, nous nous disons : "Ah, mais c'est ça !" Et donc voilà, c'est ce que j'adore : nous ne nous ennuyons pas, c'est toujours nouveau. 

Y a-t-il une particularité à composer une musique pour un premier long métrage ? Est-ce que, par exemple, le réalisateur doute plus ou, au contraire, veut-il tout y mettre ? Et surtout, sachant que c'était un court métrage avant de devenir un long, la musique avait-elle eu des prémices dans le court ?

Charles Humenry : Alors, nous ne nous connaissions pas au moment de ce premier court métrage ; en fait, il avait juste utilisé de la musique préexistante. Sinon, l'autre moitié du travail d'un compositeur, c'est d'arriver à communiquer et à guider un réalisateur, en fait, surtout pour les premiers longs métrages. Comme ils ne connaissent pas toujours les termes musicaux, nous essayons de communiquer en nous basant sur les émotions, sur ce qu'ils veulent dire, et sur le sens du scénario. C'est toujours un rôle de traducteur. J'aime bien utiliser ce mot, en fait. Il s'agit de savoir comment traduire ce qu'ils veulent dire en musique. Et c'est mon travail, en tout cas, de vraiment faire cela.

"Closing Dynasty", c'était un autre court-métrage ?

Charles Humenry : Oui, c'était un autre court-métrage qu'on a fait ensemble. Et alors, c'est marrant parce que la petite fille du film, Queenie, était dans ce court-métrage-là, en fait. Il a un peu mêlé les deux courts-métrages. Et la musique était complètement différente parce que c'était le point de vue de la petite fille, qui essaie d'aider ses parents. C'était un piano-jazz beaucoup plus aventureux. Tout a changé à chaque fois. Les musiques des courts métrages n'ont jamais été reprises telles quelles pour le long.

Ce court métrage a permis d'établir un langage, une manière de travailler, de discuter avec le réalisateur. Le fait de le retrouver aide à se comprendre ?

Charles Humenry : Bien sûr, oui. Et Lloyd a vraiment sa propre façon de voir la musique. Il ne donne pas beaucoup d'indications, nous ne refaisons pas beaucoup de choses. Par contre, dès que le morceau de musique est bon, c'est validé. Il aime bien que ce soit comme un disque, un morceau de musique à part entière.

Dans "Lucky Lu", la musique peut s'extraire facilement. Elle a son autonomie, comme un vrai personnage, dans une démarche un peu documentaire, quelque part. La musique vient comme une matière que le réalisateur va observer.

Charles Humenry : Complètement, oui. J'adore ce que vous dites. Il a vraiment un œil pour créer une belle image à l'écran. Le film est tourné en pellicule pour que tout soit au plus près du réel. Et nous avons aussi enregistré la musique sur cassette.

Dans l'histoire, ce livreur à vélo retrouve sa petite fille, il se retrouve à la rue avec elle. Il va devoir subvenir à ses besoins. Il y a ce lien sentimental et familial. La musique ne va jamais rentrer dans ce pathos, ne va jamais être larmoyante là-dessus. Ça rend d'autant plus émouvante cette relation. Ça l'amène dans une forme de simplicité...

Charles Humenry : Complètement, oui. Nous avons fait beaucoup d'essais en peu de temps, en essayant de voir ce qui marchait ou ce qui ne marchait pas. Nous avons essayé d'utiliser des choses un peu plus sombres. Et cela n'avait pas du tout marché. Je pense qu'au final, nous commençons à nous sentir partie prenante du film, nous sommes vraiment dans la tête du personnage.

Pour parvenir à définir la bonne place de la musique dans le film, est-ce que vous parlez d'autres films dans lesquels vous avez apprécié le fonctionnement ? Y a-t-il ce type de référence, à la fois musicale ou cinématographique ?

Charles Humenry : Complètement, à chaque fois j'essaie d'avoir un "mood board". Nous faisons une playlist sur Spotify, par exemple, de tout et de rien, pour connaître le réalisateur, ses goûts, etc., et voir ce qui peut fonctionner. Cela nous donne une palette pour commencer et nous a beaucoup servi parce qu'on n'avait pas beaucoup de temps. Et donc maintenant, je le fais à chaque fois avec les réalisateurs. Nous faisons cette playlist où nous parlons, nous écoutons. Cela me permet de connaître leur sensibilité. J'en rajoute aussi : "Tiens, un morceau comme celui-ci, cela pourrait marcher." Et cela permet d'avoir cette conversation.

Et puis il y a une pratique aujourd'hui répandue, notamment aux États-Unis dans l'industrie, qui est la musique temporaire, le "temp track". Ce réalisateur pratiquait-il cela ?

Charles Humenry : Alors, oui et non. Dès qu'ils m'ont impliqué, dès qu'ils avaient quelque chose à me montrer, en fait, ils n'arrivaient pas à trouver des choses qui marchaient. Il y a eu deux morceaux qui nous ont permis de savoir où nous allions pour l'orchestration. Mais ils avaient beaucoup de mal à trouver de la musique temporaire. Ce qui était un peu difficile parce que, quand nous n'avons pas le temps, cela aide forcément à réduire le temps de recherche en sachant un peu où nous allons aller. Mais dans ce film-là, nous avons vraiment commencé de zéro, à part pour deux ou trois moments. Ce qui était un petit peu stressant parce qu'on n'avait que trois semaines, mais nous y sommes arrivés.

Ce qui peut aussi inspirer la musique, c'est la lumière, le visuel en lui-même. Le film se déroule beaucoup la nuit. En quoi, justement, ce côté nocturne a-t-il pu influencer la musique ? Même si elle n'est pas jazz, on a l'impression qu'il y a comme quelque chose de cet ordre dans ces films nocturnes où la musique joue avec la chaleur des néons, ou ce genre de choses.

Charles Humenry : Bien sûr. Ce sont deux choses : la nuit et New York, où l'on ne voit jamais le ciel, à cause de ces gratte-ciels partout et du béton omniprésent. Nous n'avons pas de grands paysages ouverts. Nous sommes toujours enfermés. Et c'est vrai que pour la musique, nous essayions d'avoir un peu ces éléments de musique classique un peu moderne. Nous avons été très inspirés par Jonny Greenwood, un compositeur incroyable. C'était quelqu'un dont nous parlions beaucoup dans les références et dans la manière d'approcher la musique de film. Il y a un tout petit peu de jazz, il y a un tout petit peu de classique. Dans les instruments, nous avons ce trio de cordes, une clarinette, un cor français et une clarinette basse, pour ne pas être purement classique et pour pouvoir changer la couleur.

Et en termes de placement musical, elle est assez parcimonieuse, même si elle est là, présente sur tout le métrage en fil rouge. Comment a été déterminé le placement ? 

Charles Humenry : Nous avons su très rapidement où nous voulions avoir de la musique. Je crois qu'on en a enlevé juste une. Et là, cela revient à la conversation que nous avions eu avant, le moment où il perd sa fille dans la rue. Il y avait une pièce de musique là, et en fait, nous nous sommes rendus compte qu'on poussait trop l'émotion. Et donc, nous avons tous décidé à l'unanimité de la retirer, estimant que cela ne faisait pas partie du film parce que le fait qu'il ne sache pas où était sa fille était suffisant, il n'y avait pas besoin de pousser le spectateur plus loin.

En dehors de ce film, quel est votre regard sur la musique de film pour le cinéma d'auteur aux États-Unis ? On connaît bien l'industrie. Et on sait qu'en France, aujourd'hui, il y a de plus en plus de dispositifs de rencontres qui soutiennent la création via la SACEM et qui font que des rencontres ont lieu plus facilement quand on est un jeune compositeur. Existe-t-il ce type de soutien aux États-Unis ?

Charles Humenry : Oui et non. Il y a forcément les festivals aux États-Unis - Sundance, Art Pie - qui permettent de rencontrer, surtout quand nous commençons avec des courts métrages, d'autres réalisateurs, d'autres compositeurs qui participent aux mêmes festivals. L'ASCAP, qui est donc l'équivalent de la SACEM, essaie aussi de faire cela, mais la SACEM, j'avoue, est très, très forte pour cela, et le Spot The Composer (à Cannes) est incroyable, c'est quelque chose de génial. Je ne connais pas beaucoup d'équivalents aux États-Unis. Je fais beaucoup de démarches de mon propre chef pour trouver des réalisateurs que j'aime bien et qui m'ont impressionné. Et après, nous créons des relations d'amitié qui nous permettent de continuer de travailler ensemble. Nous faisons d'abord le choix de travailler sur quelque chose qu'on aime bien, mais après nous allons boire une bière et nous avons une bonne conversation, et cela fait la différence.

Et vous avez pu rencontrer des confrères américains ? Avec quelles personnalités avez-vous pu avoir des affinités ?

Charles Humenry : Alors, l'anecdote la plus drôle, c'est que le tout premier film que j'ai fait, c'était en 2019, un documentaire. Je ne sais pas comment c'est arrivé... C'est un documentaire sur les vétérans de l'armée aux États-Unis qui utilisaient des chiens pour réduire leur consommation de médicaments. Jon Bon Jovi, la rockstar mondiale, est arrivé et a écrit une chanson pour le film. J'ai dû collaborer avec lui pour incorporer sa chanson dans le film, c'était quelque chose d'assez incroyable. C'est un peu la rencontre la plus folle. Mais sinon, il y a des réalisateurs assez incroyables aux États-Unis, des acteurs assez incroyables aussi. Et j'ai la chance que la plupart deviennent mes amis. C'est mon but : collaborer au maximum, mais aussi devenir amis parce que c'est beaucoup plus sympa de travailler ainsi. C'est ma philosophie.

Et puis il y a plusieurs États-Unis. Entre New York et Los Angeles, ce sont deux mondes différents ?

Charles Humenry : Je viens de déménager à Los Angeles, il y a un an, et c'est vraiment différent. À New York, il y a beaucoup plus de cinéma indépendant, mais il y a aussi beaucoup de publicité, de théâtre, j'essaie de toucher un peu à tout. Et quand j'ai déménagé à Los Angeles, cela m'a ouvert les portes des plus gros studios, une approche de la musique complètement différente. Il y a deux grosses villes où la façon de faire est vraiment différente. Si vous vous promenez à Los Angeles, dans les montagnes, vous entendez des gens qui parlent d'un scénario. Toute la ville travaille sur le cinéma, c'est incroyable.

Quand on est un compositeur là-bas, qu'on veut percer dans le milieu, faire des films en tout cas, que fait-on ? On prend son petit CD démo et on le donne aux producteurs ? 

Charles Humenry : C'est un peu tout. Les festivals m'ont permis de rencontrer d'autres réalisateurs. Il y a tout de suite une connexion. Parfois, les réseaux sociaux, cela peut être horrible, mais cela a été un grand service pour moi de rencontrer des gens, de voir leur travail. Nous prenons ensuite un café ou un déjeuner. On se parle, et parfois, cela marche, parfois pas. Mais quand c'est le cas, c'est génial. Après, nous faisons un film, puis deux, puis trois. On continue. 

Vous avez un agent américain ?

Charles Humenry : J'ai une manageuse américaine, Sami Posner, qui est chez ATC Management. Ils sont à la fois aux États-Unis, mais aussi à Londres et au Danemark. Et en parlant de Jonny Greenwood, je me pince toujours, parce que c'est le même management que Jonny Greenwood. Quand j'ai su que cela allait se passer, j'étais comme un enfant, c'était incroyable. C'est un rêve d'enfant.

Et donc, l'année à venir, qu'est-ce qui se prépare musicalement ?

Charles Humenry : Alors là, je prépare trois longs métrages d'un coup, dont mon premier long métrage européen. J'ai commencé à travailler dans la musique de film aux États-Unis donc je n'ai aucun repère en France et en Europe. C'est un réalisateur qui m'a contacté, qui a entendu ma musique et s'est vraiment senti inspiré. Il vient de Chypre. C'est un film d'époque qui se déroule en 1883 à Chypre. C'est un peu un film d'horreur. La musique est complètement différente. Nous avons travaillé avec des musiciens de là-bas, avec une chanteuse absolument incroyable qui a fait des parties vocales. 

Et la boucle sera bouclée quand un réalisateur ou une réalisatrice française fera appel à vous ?

Charles Humenry : Exactement, c'est le rêve. Pouvoir reparler de musique en français, cela me manque. J'avoue que là, j'ai un peu de mal parfois à en parler parce que je n'ai pas forcément le vocabulaire. Alors oui, c'est vraiment le rêve de retravailler en France.

Dans "Lucky Lu", vous n'êtes pas dans une esthétique à l'américaine, vous êtes plutôt dans une esthétique française...

Charles Humenry : Complètement, oui. Mais c'est toujours au service du film. J'ai fait deux ou trois films un peu plus « à l'américaine », un peu plus robustes, et où l'émotion devait vraiment être présente. C'est ce que j'adore. Je n'ai jamais envie de me dire : « Mince, il faut que je refasse un long métrage dans ce genre-là. » À chaque fois, j'adore passer d'un univers à l'autre, et cela me permet de rester toujours impliqué. En tout cas, pour moi, c'est vraiment magique de pouvoir sauter ainsi d'un univers de réalisateur à l'autre.

Le plus grand risque, c'est de se formater. Et en tout cas, là, j'ai l'impression que vous fuyez le formatage...

Charles Humenry : Exactement. Mais en même temps, dès que j'ai des rendez-vous ou des rencontres, les gens attendent de moi que je sois formaté. Je me rends compte que j'essaie d'aller à l'opposé et de leur dire : "Non, mais cela, ce n'est pas moi, en fait." Ce que je veux vraiment faire, c'est cette collaboration avec les réalisateurs. Il y a une petite anecdote qui a vraiment changé ma vie. Pour un court-métrage, un réalisateur voulait une musique d'horreur un peu trop appuyée, et cela n'a pas du tout marché. Puis, un producteur s'est senti suffisamment à l'aise pour dire : "Ah, pour la première scène, je voulais vraiment des sifflements, je pensais que cela pourrait marcher." Au début, je ne pensais pas du tout que cela allait fonctionner ; j'ai quand même essayé, et cela a très bien marché ! Je me suis alors dit : "Et si nous faisions tout le film juste avec des sifflements ?" Du coup, nous avons fait des "chorales" de sifflements. Il n'y a aucun autre instrument dans le film. L'idée, c'est de créer des choses uniques pour chaque film. 

 

[La version podcast de l'entretien sera publiée ultérieurement]

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico


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