23 mai 1939 (Lyon), 14 novembre 2004 (USA).
Orchestrateur, arrangeur de renom, pionnier de la fusion et collaborateur privilégié de Philippe Labro avant d’émigrer aux États-Unis, Michel Colombier n’a été reconnu à sa juste valeur que tout récemment.
Eddie Barclay, convaincu par le talent du jeune homme, l'embauche ensuite comme directeur musical de sa maison d'édition. Ses débuts dans le show-biz se concrétiseront avec des arrangements pour un disque de Charles Aznavour destiné au marché anglo-saxon et produit par l'immense Quincy Jones. Michel Colombier travaille ensuite comme orchestrateur pour les vedettes de la chanson d'alors comme Juliette Gréco , Brigitte Bardot, Régine, Boby Lapointe (il écrit la musique des rock jubilatoires Saucisson de cheval n°1 et 2 ) mais surtout Serge Gainsbourg (il oeuvre sur la comédie musicale Anna et on lui doit l'extraordinaire orchestration de la première version de Je t'aime moi non plus , interprété par Brigitte Bardot et qui a été longtemps inédite) et Barbara (il signe entre autres les arrangements d'orchestre du fameux Aigle Noir ) qui deviendront très vite des amis intimes.
Dans le même temps, Michel Colombier compose dans la foulée ses premières musiques de film, notons Coplan, agent secret FX 18 (1964, avec Eddie Barclay) de Maurice Cloche, Une souris chez les hommes (1964, en collaboration avec Guy Béart) qui marque sa première confrontation avec le cinéaste Jacques Poitrenaud, Comment trouvez-vous ma soeur ? (1964) de Michel Boisrond, et surtout L'Arme à gauche (1965, avec Eddie Barclay) pour un film d'aventure musclé de Claude Sautet avec Lino Ventura, dans lequel son score jazzy et assez sombre donne une bonne idée de ses futures musiques dans le genre du polar.
Mais ses travaux comme orchestrateur, voire là encore compositeur tout court dans les BOs signées officiellement par Serge Gainsbourg constituent la majeure partie de sa filmographie à la fin des années 60. Citons un score plein de fraîcheur pour Le jardinier d'Argenteuil (1965) de Jean-Paul Le Chanois, Les coeurs verts (1965) d'Édouard Luntz, Toutes folles de lui de Norbert Carbonneux, L'Horizon (1967) - premier long-métrage de Jacques Rouffio, Si j'étais un espion (1967) de Bertrand Blier et surtout le superbe et méconnu Ce sacré grand-père (1968), comédie douce amère mais mineure de Jacques Poitrenaud avec Marie Dubois, Serge Gainsbourg et le grand Michel Simon dans le rôle du grand-père.
Pour Ce sacré grand-père , Michel Colombier écrit sans doute le score le plus secret et le plus sensible de toute sa carrière en dépeignant avec pudeur les séquences bucoliques du film. Doté d'un générique oscillant entre Britten et Schumann, il accompagne le spleen du personnage incarné par Marie Dubois avec un violoncelle solo et des effluves raveliens proprement bouleversants. C'est la même sensibilité à fleur de peau qui habille les images de Catherine Deneuve dans Manon 70 de Jean Aurel, une autre collaboration avec Gainsbourg. Pour Le pacha (1970), polar assez médiocre de Georges Lautner avec Jean Gabin, il arrange la célèbre chanson Requiem pour un con qui ouvre le générique du film. Le Requiem pour un con et ses percussions martelées influencera bon nombre de groupes de rap dans les années 80 et 90, et même le groupe punk Oberkampf qui reprendra le morceau en 1983.
Outre le réalisateur italien Vittorio De Sica pour Un monde nouveau (1965), Claude Chabrol fera également appel à lui pour écrire les musiques de source de Marie-Chantal contre le docteur Kha (1965) ainsi que deux pistes de La femme infidèle (1968), films pour lesquels le fidèle Pierre Jansen a composé bien évidemment toute la musique de fosse.
Il écrit aussi une pétillante musique baroque pour la comédie mélancolique La femme écarlate (1969) de Jean Valère, avec un excellent Maurice Ronet et une Monica Vitti resplendissante en femme fatale particulièrement espiègle.
Petula Clark fait appel à ses services dès 1968, ce qui lui permet d'entrer par la grande porte dans l'industrie musicale américaine. La chanteuse lui fera rencontrer le trompettiste américain Herb Alpert (du groupe Tijuana Brass) qui lui fait signer un contrat de compositeur pour sa maison de disque A & M. Colombier réalise alors Wings en 1970, ambitieux projet de “fusion” pour orchestre symphonique, choeurs, ensemble électrique, groupe de jazz et percussions, l'album inclut le romantique Emmanuel , mélodie en hommage à son jeune fils décédé prématurément. Le disque reçoit bientôt une pluie de récompenses (Grand prix du disque Charles Cros, Edison Prize, et plusieurs nominations aux Grammy Awards) et le thème au hautbois d' Emmanuel hantera les nuits des téléspectateurs noctambules d'Antenne 2 qui l'entendront en guise de générique survolant les belles images poétiques signées par Jean-Michel Folon.
Le monde de la danse commence aussi à s'intéresser à Michel Colombier, il est amené à travailler comme arrangeur pour Roland Petit et Maurice Béjart. Sa collaboration avec le compositeur expérimental Pierre Henry s'incarnera sur les fameux Jerks électroniques de la Messe pour le temps présent (1967), ballet conçu par Maurice Béjart qui restera dans toutes les mémoires avant d'être abondamment remixé depuis (par William Orbit, St-Germain, Dimitri from Paris et j'en oublie...). Colombier collaborera également avec Zizi Jeanmaire, Roland Petit, Jean-Louis Barrault, Mikhail Baryshnikov, Jean Babilée, Daniel Ezralow entre autres. Sans oublier ses travaux pour la télévision, on lui doit notamment le thème de Salut les copains et celui de la fameuse émission Dim Dam Dom , morceau de pop frais et acidulé dans la lignée de la Messe pour le temps présent et doté d'un certain esprit baroque qui ne le quittera jamais.
L'excellent thriller Les assassins de l'ordre (1971) de Marcel Carné avec un Jacques Brel inspiré, réutilise également des fragments de la Messe pour le temps présent .
En 1972, il travaille sur Un flic , tout dernier long-métrage de Jean-Pierre Melville, polar glacé et crépusculaire avec Alain Delon et Catherine Deneuve pour lequel il écrit un score poisseux et inquiétant avec quelques passages plus lyriques qui mériteraient grandement une édition CD intégrale. C'est par l'intermédiaire du metteur en scène du Samouraï que Colombier fait la connaissance du jeune Philippe Labro dont Melville a longtemps été le maître à penser.
Philippe Labro qui avait précédemment travaillé avec Ennio Morricone sur son premier long-métrage ( Sans mobile apparent , avec Jean-Louis Trintignant) cherchait justement à cette époque un alter ego sur le plan musical avec lequel il pourrait partager la même passion pour une Amérique fantasmé et pour une certaine musique pop. Il trouve en Michel Colombier le partenaire qu'il lui manquait et réalise trois films en sa compagnie.
Pour dépeindre le personnage arriviste et puissant qu'incarne à l'écran Jean-Paul Belmondo dans L'Héritier (1973) - le meilleur film de Labro à ce jour, Michel Colombier esquisse une bride de mélodie évaporée aux claviers tout en pianississimi, presque immédiatement rejointe par les guitares, les cuivres et la puissante rythmique de Jannick Top à la basse et de Jean Schulteiss à la batterie. Pour Le hasard et la violence (1974), drame avec Yves Montand, il opère un changement complet de registre et réintroduit les cordes lyriques du Sacré grand-père avec une chanson titre interprétée par Drupi, chanteur italien un peu démodé, mais le film est un échec cuisant. Le thriller suivant, nommé L'Alpagueur (1976) marque le retour de Belmondo avec un nouveau rôle à la Steve McQueen, et musicalement, on revient à l'écriture musclée de L'Héritier avec cette fois l'ajout de cordes inquiètes. L'Alpagueur bénéficiera d'un thème principal obsédant, de quelques sonorités expérimentales pour les séquences de suspense et d'une entêtante valse de type boîte à musique symbolisant le redoutable tueur incarné par le toujours remarquable Bruno Crémer.
Entre-temps, il compose la musique de Tarot (1973) de José Maria Forqué et imagine une partition très originale et marquante pour Les onze mille verges (1974) - fiction de Éric Lipmann librement adaptée du roman pornographique de Guillaume Apollinaire. Rythmes de tambours brésiliens (batucada), valses avec harpe et clavecin, jazz bebop et thèmes d'amour romantiques au piano à la Schubert se succèdent pour notre plus grand plaisir sur Les onze mille verges .
À partir de 1975, Michel Colombier s'installe à Los Angeles et commence à travailler de plus en plus sur des productions Anglo-Saxonnes comme Testimony of Two Men (1977 - TV) ou Steel ( Des nerfs d'acier , 1979).
L'année 1982 sera marquée par Une chambre en ville , mélodrame “social” de Jacques Demy, interprété par Michel Piccoli, Richard Berry et la délicieuse Dominique Sanda pour lequel Michel Colombier réussi haut la main le passage de relais avec Michel Legrand (qui avait refusé de travailler sur le projet). Le compositeur écrit un superbe “opéra” habité et vériste sur lequel plane l'ombre du meilleur Puccini. Les chanteurs Jacques Revaux, Florence Davis et Georges Blaness doublèrent respectivement les acteurs Richard Berry, Dominique Sanda et Michel Piccoli dans cette comédie musicale d'une grande noirceur.
Puis il signe Against all odds ( Contre toute attente , 1984) pour Taylor Hackford avec un thème principal à la guitare slide accompagnée par un synthétiseur lourd de menace. Les passages de suspense du film sont marqués par des tensions et un climat typique du Colombier des débuts mais malgré sa nomination aux Grammy la BO n'échappe pas totalement aux scores conventionnels et synthétiques de l'époque. La même année, Prince, le célèbre chanteur de funk lui demande d'orchestrer la musique du film Purple Rain de Albert Magnoli (après l'immense succès de l'album du même nom), la musique gagnera le People's choice awards.
En 1985, il compose White Nights ( Soleil de nuit ) toujours pour Taylor Hackford, et sa partition est nominée aux Golden Globe. Mais bon nombre de ses travaux ultérieurs comme The Golden Child ( L'Enfant sacré du Tibet , 1986) sombrent malheureusement souvent dans le style commercial très populaire aux États Unis, Surrender ( Cordes et discordes , 1987) et son esthétique jazz rock vieillotte souffre du même mal. Le thriller Cop (1988) offre quelques pistes très angoissantes mais bien trop enrobées d'arrangements de jazz FM. L'année 1989 le voit tout de même revenir en France pour le dessin animé Astérix et le coup du menhir de Philippe Grimond.
Dans les années 90 et 2000, il multiplie les BOs synthétiques et souvent oubliables pour diverses productions américaines formatées comme Impulse (1990), le conventionnel Catchfire (1990), The Dark Wind ( Le vent sombre , 1991), Deep Cover ( Dernière limite , 1991), le calamiteux Barb Wire (1996), How Stella Got Her Groove Back (1998), Woo (1998), Pros and Cons (1999), Dark Summer ( Innocents , 2000) de Gregory Marquette dont le thème principal emprunte à Jean-Sébastien Bach et qui comporte quelques pistes intéressantes (comme le thème de la mort du juge avec sa harpe et ses expérimentations sonores rappelant la musique sérielle), ou Swept Away (2002).
En France, la bande originale du long-métrage de Jean Becker, Elisa (1994) incorpore la fameuse chanson de Gainsbourg qu'il avait arrangé, celle-ci lui offre son premier César. Plus récemment la série télé Largo Winch (2001) au score marqué par la guitare électrique, est doté d'un thème énergique rappelant certains airs celtiques.
Il faudrait aussi citer ses innombrables collaborations avec de grands orchestres internationaux comme Los Angeles Chamber Orchestra, London Symphony Orchestra, l'Orchestre de l'Opéra de Paris et l'English Chamber Orchestra. Ainsi que ses travaux avec des artistes aussi divers que les chanteurs Claude Nougaro, Charles Trénet, Barbra Streisand, Joni Mitchell, les groupes de rock comme The Beach Boys, Supertramp, Earth Wind And Fire ou plus récemment Air, Madonna et Mirwaïs, puis les jazzmen Herbie Hancock, Stéphane Grappelli et Branford Marsalis. Michel Colombier est également l'auteur de nombreuses pièces de “musique sérieuse” dont de la musique de chambre (quatuor, sextuor), de la musique orchestrale et concertante, 4 opéras-vidéo, et des orchestrations pour saxophone et petit orchestre de l'Isle Joyeuse , 1ère Arabesque de Claude Debussy et de la 3ème Gymnopédie de Satie.
Laissant derrière lui pas moins de six enfants, le musicien meurt aux États-Unis le 14 novembre 2004 après minuit, terrassé par un cancer. Ses nombreux admirateurs lui rendent désormais visite sur son site officiel http://www.michelcolombier.com/ transformé depuis en mausolée virtuel.
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)