Carlos d'Alessio

Carlos d'Alessio

Né en 1935 à Buenos Aires, mort à Paris en 1992..

Mélodiste français d’origine argentine, son univers très original lui fait notamment écrire les musiques intemporelles et mélancoliques des films de Marguerite Duras.

Ses B.O notables : Delicatessen ( Jean-Pierre Jeunet, Marc Caro , 1991) • India Song ( Marguerite Duras , 1975) •

Articles / Biographies

 

Carlos d'Alessio est né à Buenos Aires en 1935, il s'intéresse au cinéma dans sa ville natale et apprend la musique avec Guillermo Graetzer. Après des études d'architecture, il finit par faire partie d'une troupe théâtrale pour lequel il compose ses premières musiques de scène.

En 1962, il quitte l'Argentine pour aller à New York, alors en pleine effervescence culturelle sous l'impulsion d'artistes comme Andy Warhol, il pénètre dans le milieu de l'avant-garde conceptuelle new-yorkaise en participant à des “happenings” (inventés par John Cage) qui marqueront ses futures musiques scéniques.

Carlos d'Alessio s'installe à Paris en 1972 et collabore avec la troupe de théâtre TSE. C'est d'abord dans le monde scénique que D'Alessio donne le meilleur de lui-même, il apparaît étonnamment créatif dans ses musiques pour les metteurs en scène Jean-Michel Ribes ( Omphalos Hôtel , 1975 - au Théâtre National de Chaillot), Javier Arroyuelo et Raphael Sánchez López ( Succès ) et surtout Alfredo Arias ( Étoile du Nord , Luxe ...).

Les musiques atypiques de Carlos d'Alessio ne soulignent jamais l'action ; totalement intemporelles, elles se basent généralement sur de simples danses populaires interprétées par des petits ensembles ou par un piano solo (valses, javas, rumbas, tangos, airs folkloriques d'Amérique latine...), lorgnant parfois vers la musique répétitive, voire l'atonalité (comme le numéro du magicien dans Luxe d'Alfredo Arias).

Luxe (1973 - au Théâtre Le Palace), spectacle raffiné en forme d'hommage au Music-Hall tirant souvent vers la parodie, lui offre l'occasion d'écrire parmi ses plus belles musiques. Contrairement à Étoile du Nord (écrit principalement pour piano, violon, violoncelle et clarinette), la partition de Luxe fait naturellement appel à un grand orchestre et n'hésite pas à incorporer un choeur de “boys” dans le somptueux final saluant différents styles musicaux (jazz, music hall, grand choral avec même un intermède pastichant la musique contemporaine : de Bartok à Berio en passant par Stravinsky).

On m'appelait ”, la bouleversante chanson de Luxe (chantée par Marucha Bo) impressionne la célèbre romancière Marguerite Duras qui assiste au spectacle. Venue sur le tard à la réalisation ( La musica , Nathalie Granger , Le camion ...), Marguerite Duras découvre en Carlos d'Alessio le musicien qu'il lui manquait pour accompagner au mieux les images statiques et le perpétuel commentaire littéraire qui hante ses difficiles travaux cinématographiques des années 70.

Leur collaboration débute avec La Femme du Gange (1974) pour lequel le musicien travaille quasi bénévolement, mais c'est pour India Song (film expérimental de 1975 avec Delphine Seyrig, Michael Lonsdale et Mathieu Carrière), lente évocation poétique d'un drame sentimental se déroulant dans l'Inde coloniale des années 30, que Carlos d'Alessio compose sa musique la plus célèbre. Le célèbre blues du thème principal d' India Song sera repris plus tard par Jeanne Moreau puis par d'autres instrumentistes. D'Alessio compose aussi pour ce film différentes musiques de “source” (rumba des îles, tangos, charleston...) qu'on entend notamment lorsque Delphine Seyrig danse avec différents hommes dans les salons de l'ambassade de France près des rivages du Gange. Suivrons également Son nom de Venise dans Calcutta désert (1976), Des journées entières dans les arbres (1976), Baxter, Véra Baxter (1977) avec une musique répétitive très inspirée par le folklore de la cordillère des Andes, Le Navire Night (1978), Les Enfants (1985), ainsi que la pièce de théâtre L'Eden Cinéma (dont le thème principal sera réutilisé pour le court-métrage Foutaises de Jean-Pierre Jeunet).

En dehors de Duras, le cinéaste Barbet Schroeder embauche Carlos d'Alessio pour la très courte musique romantique qui termine son film Maîtresse (1977), description minutieuse de la sexualité sadomasochiste avec Bulle Ogier et Gérard Depardieu (des habitués du cinéma de Marguerite Duras). L'originalité intrinsèque de son écriture va lui permettre également de participer à deux curieux films de 1982 : Hécate, maîtresse de la nuit de Daniel Schmid (avec Bernard Giraudeau et Lauren Hutton) ainsi que Les jeux de la Comtesse Dolingen de Gratz - film fantastique de Catherine Binet (avec Michael Lonsdale, Carol Kane, Marina Vlady et Marucha Bo).

Toujours en 1982, le talentueux chanteur et écrivain Jean Guidoni lui demande de lui écrire deux chansons pour son album “ Le rouge et le rose ”, Carlos d'Alessio va alors puiser avec bonheur dans d'anciennes mélodies (à la manière d'un Nino Rota ou d'un Philippe Sarde). Il recycle le thème du cirque d' Omphalos Hôtel et la très belle mélodie du Navire Night pour la chanson “ L'amour monstre ”, tandis que le Chant Sud-Américain du même Omphalos Hôtel fournira la musique de “ Rouge ”.

Notons aussi en 1985 son accompagnement musical au piano avec bande magnétique pour Un Vague extrêmement précis (donné au Festival de la Roque d'Anthéron), parfait prolongement scénique de ses travaux pour Marguerite Duras avec Delphine Seyrig et Sami Frey en récitants. En 1986, il crée le spectacle “ Home Movies ” au Théâtre de la Ville de Paris, avec la participation de la danseuse chorégraphe Caroline Marcade, qui fit aussi l'objet d'un disque en son temps.

Alors que le compositeur commence à bénéficier d'une certaine notoriété, le jeune réalisateur Jean-Pierre Jeunet lui demande d'écrire la musique de son court métrageFoutaises (1989) qui obtient un César. Jean-Pierre Jeunet conserve le musicien pour son premier long métrage avec Marc Caro, le savoureux Delicatessen (1991) se déroulant dans un pays imaginaire. Delicatessen conte l'histoire d'un clown au chômage (Dominique Pinon) qui devient locataire d'un immeuble peuplé de personnages étranges et pittoresques. Le héros tombe amoureux de la fille de l'inquiétant boucher de l'immeuble (Jean-Claude Dreyfus) propriétaire de l'enseigne Delicatessen , ce qui nous vaudra un beau duo entre une scie musicale et un violoncelle (instruments respectivement joués par les amoureux du film).

Pour cette comédie très particulière bénéficiant de décors et de costumes délibérément empruntés à la période de l'occupation, Carlos d'Alessio va là encore de servir d'anciens thèmes se mêlant à des musiques de cirque comme la fameuse Entrée des gladiateurs de Fucik ou encore le très kitch Dreams of Old Hawaï , ritournelle échappée d'un vieux poste de télévision. On retrouve également lors la scène du baiser sous l'eau (échangé par les deux tourtereaux à la fin du film), l'envoûtant motif hypnotique à la Erik Satie qui accompagne les tours de magie du spectacle Luxe .

Malheureusement, Delicatessen sera le dernier chef d'oeuvre de Carlos d'Alessio qui, atteint par le virus du VIH, s'éteint à Paris le 14 juin 1992. Ses mélodies raffinées et sans aucune faute de goût mériteraient d'urgentes rééditions en CD, avis aux éditeurs dignes de ce nom !

Christian Texier

 

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