Erik Satie

Erik Satie

17 mai 1866 - 1er juillet 1925.

Il compose en 1924 la musique d'un court-métrage de René Clair: "Entr'acte"

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Erik Alfred Leslie Satie tient une place particulière dans l'histoire de la musique. Solitaire patenté, mystique un temps rosicrucien, ami de Péladan puis fondateur de l'Eglise métropolitaine d'Art et Jésus Conducteur, dont il sera le seul fidèle, être original et marginal dont l'humour ravageur approchait parfois la démence, premier calligraphiste de la musique, avant-gardiste par accident et par ignorance, le compositeur français a irrémédiablement marqué l'histoire de la musique. Il a à peine 22 ans lorsqu'après avoir composé les Ogives, caractérisés par de simples accords parallèles plaqués, il écrit les trois Gymnopédies qui le rendront célèbres, compositions simplistes dont la sérénité et l'émotion transcendent pourtant la maladresse.

Comme Claude Debussy, avec qui il entretiendra une amitié rageuse, Satie est impressionné par l'Exposition Universelle de 1889. Ce n'est néanmoins pas le gamelan qui suscite son intérêt, mais une formation d'instrumentistes roumains: ce coup de foudre donnera naissance aux Gnossiennes (1889-1891).

Converti au mouvement Rose-Croix, Satie cultive ensuite dans son oeuvre le prosélytisme ("Le Fils des Etoiles", "Sonnerie de la Rose Croix", "Trois Préludes", "Danses Gothiques", "Prélude de la Porte Héroïque du Ciel"). Aidé par l'écrivain Contamine de Latour, il compose dans la même période le ballet en trois actes Upsud, oeuvre provocatrice composée d'une demi-douzaine de phrases musicales, que le directeur de l'Opéra refusera bien entendu de monter...

Après un silence de deux ans, Satie écrit ses premières pièces aux titres repoussoirs, prémisses d'une oeuvre humoristique marquée par le dérisoire: les "Airs à faire fuir" et les "Danses de travers" publiés ensuite sous le titre de "Pièces Froides".

Il écrit des musiques plus anecdotiques comme "Jack In The Box", qui ne sera jamais joué: Satie se sera inspiré du cinéma naissant pour écrire les 3 pièces qui compose cette musique pour pantomines: "Prélude", "Entr'acte", "Final". Mais très vite Erik Satie "s'ennuie à mourir de chagrin", selon ses propres mots. Il sombre dans l'obsession, dans une douce folie, aggravée par sa solitude. A la même époque, socialiste, il fait un peu de politique.

Jusque là la musique de Satie était caractérisée par une toute relative maladresse: abus des basses plaquées et des accords de quarte et sixte, doublures rarissimes de la fondamentale, fausses relations... Satie s'était construit un système harmonique bien à lui, nécessairement très contraignant. Il cataloguait des enchainements d'accords qu'il utilisait ici et là en les répétant à l'envi.

Mais le compositeur qu criait dans les Feuilles Libres: "Vivent les amateurs" s'aperçoit soudain qu'il tourne en rond. A 39 ans il décide de reprendre à zéro ses études musicales. Il entre dans la classe de Roussel et Sérieys à la Schola Cantorum d'où il sortira avec un diplôme de contrepoint.

La Première Guerre Mondiale approche à grands pas et l'air du temps est à la Révolution: on rejette la bourgeoisie, l'impressionnisme, le wagnérisme. Satie reste encore dans l'ignorance de la rumeur naissante. Mais en 1915, sa rencontre avec Cocteau le fera complètement bifurquer. Il entre dans sa période comique avec les "Préludes Flasques pour un Chien" (1912), "Les Véritables Préludes Flasques pour un Chien" (1912), les "Descriptions automatiques" (1913), les "Embryons desséchés" (1913), les "Croquis et agaceries d'un gros bonhomme en bois" (1913), les "Chapitres tournés en tous sens" (1913), "Vieux Sequins et Vieilles Cuirasses' (1913), "Menus Propos enfantins, Enfantillages pittoresques, Peccadilles importunes" (1913), "Sports et Divertissements" (1914), "Heures séculaires et instantanées" (1914), les "Trois Valses du précieux dégoûté" (1914), les "Avant-Dernières Pensées" (1915).

Le 18 mai 1917 au Châtelet, a lieu la première de "Parade", ballet de Jean Cocteau, auquel collabore le peintre Picasso, le chorégraphe Diaghilev, le danseur Massine et le compositeur Satie (Stravinsky avait été auparavant préssenti). Scandale en tout point comparable à celui que suscita le Sacre du Printemps en 1913. Le compositeur Français signe une musique audacieuse avec des machines à écrire, des flaques sonores, des sirènes, essentiellement rythmique et purement fonctionnelle. Pour tous "Parade" marque "le point de départ de l'esprit nouveau" (Apollinaire).

En 1920, Satie achève "Socrate", oeuvre lyrique commandée par la princesse de Polignac. Cette oeuvre d'une demi-heure préfigure un nouveau style musical, ancêtre de la "Muzzak": la musique d'ameublement, auquel Satie va consacrer le reste de sa vie... C'est cette conception révolutionnaire de la musique que celui-ci applique en 1924 lorsqu'il compose la musique de l'entr'acte cinématographique de "Relâche", ballet "instantanéiste" du dadaïste Francis Picabia. Le film, réalisé par René Clair, était pour l'anecdote bâti sur la base d'un scénario griffonné à la hâte sur une feuille de papier à lettres du Maxim's.

René Clair dans "Picabia, Satie et la première d'Entr'acte", L'Avant-Scène, n°86, nov. 1968, cité par Anne Rey, raconte sa collaboration avec le compositeur: "Satie, le vieux maître de la jeune musique, [...] minutait chaque séquence avec un soin méticuleux et préparait ainsi la première composition musicale écrite pour le cinéma "image par image" en un temps où le film était encore muet. Consciencieux à l'extrême, il craignait de ne pas achever son travail à la date fixée. [...] Dès l'apparition des premières images, une rumeur formée de petits rires et de grondements confus s'exhala de la foule des spectateurs dont un léger frémissement parcourut les rangs. Picabia qui avait souhaité entendre crier le public eut tout lieu d'être satisfait. Clameurs et sifflets se mêlaient aux mélodieuses bouffoneries de Satie qui, sans doute, appréciait en connaisseur le renfort sonore que les protestataires apportaient à sa musique. La danseuse à barbe et le chameau funéraire furent accueillis comme il convenait et quand toute la salle se sentit emportée par le scenic-railway de Luna-Park, des hurlements mirent à leur comble le désordre et notre plaisir.[...] Imperturbable, Roger Desormières, la mèche en bataille et le masque sévère, semblait en même temps conduire l'orchestre et déchaîner de sa baguette impérieuse un ouragan burlesque. Ainsi naquit, dans le son et la fureur, ce petit film dont la fin attira autant d'applaudissements que de huées et de sifflets."

Ce sera sa dernière oeuvre: un an plus tard, le 1er juillet 1925, le compositeur décède à l'hôpital Saint Joseph à Paris, entouré de ses amis.

Damien DESHAYES

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