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Goran Bregovic

Goran Bregovic

Le serbe Goran Bregovic a débuté avec Emir Kusturica sur des musiques soit sombres et mystiques, soit joyeuses et jubilatoires (Arizona Dream, Underground...). C'est l'un des plus grands représentants de la musique tzigane (on le qualifie de "Nino Rota de Yougoslavie"). Il a aussi signé La Reine Margot pour Patrice Chéreau.

Ses Incontournables


Le Temps des gitans

Underground

La Reine Margot

Nos dernières publications avec Goran Bregovic

Né le 22 Mars 1950 à Sarajevo, le jeune homme s’intéresse très vite à la musique et prend des cours de violons, mais la rigueur classique l’ennuie et en 1974 il monte le groupe WHITE BUTTON. Pendant quinze années, le groupe remportera un succès unique dans les Balkans et deviendra le porte-parole d’une jeunesse brimée par Tito. Le rock est mal vu par le régime et les concerts sont clandestins, mais leurs 13 albums feront date. Goran est riche, il possède des maisons au quatre coins du pays et entre deux tournées voyage en Europe, fait du voilier, de l’alpinisme... Malgré ce statut enviable, la lassitude arrive et il décide de remettre sa carrière en jeu par un revirement total. Il retrouvera son ami Emir Kusturika en 1989 qui lui proposera de composer la musique du Le Temps des Gitans.

LA RENCONTRE

Kusturica, déjà Palme d’Or en 1985 avec Papa est en Voyages d'Affaires, laisse carte blanche au compositeur qui attire l’attention avec le titre "Ederlezi" (cette chanson s’inspire d’une des plus célèbres fêtes tziganes du sud de la Yougoslavie, célébrée le 6 Mai de chaque année en l’honneur de St-Georges, patron des voyageurs, quand l’hiver, ennemi des Gitans, fait place au printemps). Cette première collaboration en forme de test donne une BO vendue à 90 000 exemplaires sans aucune publicité. Mais le meilleur reste à venir. Le cinéaste veut tenter une expérience aux Etats-Unis : il embauche Johnny Deep, Faye Dunaway et le comique Jerry Lewis. Bien que le cinéaste yougoslave ne soit pas entièrement satisfait du résultat et de ses conditions de travail, Arizona Dream gagne un Ours d’Argent à Berlin et le score, enregistré dans les studios de Philip Glass à New-York, est disque d’or en trois mois (100 000 exemplaires) et platine dans l’année (600 000 ex.). Les chansons sont interprétées par l’Iguane, une des star de Bregovic ; les tubes "In the Deathcar" et "TV Screen" interprétée par Iggy Pop passent en boucle à la radio… le carton est planétaire ! A l’époque de sa gloire dans le rock, Goran avait acheté un appartement dans le Marais et vient s’y installer (comme Kusturica qui a pris la nationalité française). Son style est à la mode. Paco Rabanne lui demande une musique pour le parfum XS et il signe la bande originale de La Nuit Sacré de Nicolas Klotz. En 1992, il travaille pour les films d’Isabelle Adjani : Toxic Affair de Philomène Esposito et surtout, La Reine Margot de Patrice Chéreau.

L’INTOLÉRANCE

Le cinéaste fait preuve d’une grande originalité en évitant l’orchestre et la musique de films à costumes. De plus le choix de Bregovic est un symbole pour un sujet traitant de l’intolérance religieuse. De mère serbe, de père croate, sa femme étant musulmane, lui se définit comme yougoslave… quel musicien pouvait mieux illustrer la lutte religieuse que les français se livrèrent en 1572 et qui se termina par la boucherie de la Saint-Barthélemy ? La BO privilégie l’orchestre et les chœurs de Belgrade dans des morceaux à consonance orientale, la particularité est une noirceur inhabituelle chez lui, surtout dans le morceau illustrant la nuit sanglante qu’il fait commencer par des chœurs suivis d’un son de cloche, évoquant celle de la paroisse de Saint-Germain l’Auxerrois (à côté du Louvre) qui donna le signal de la tuerie (chœurs mixte, voix solo, corne, synthé). Elle décrit la marche macabre et inexorable des catholiques et leur volonté de ne laisser aucun survivant, cette plage est une des plus poignantes du disque. Brégovic fait aussi ressortir sa nostalgie slave dans "La Nuit" avec toujours le mélange étonnant du chœur et du soliste. Comme à son habitude, il invite une personnalité sur son album. La chanteuse Israélienne Ofra Haza interprète le superbe titre "Elo Hi" accompagnée d’un chœur d’hommes et d’un oud, le principal instrument à cordes arabe (ancêtre du luth occidental, il comporte cinq cordes doubles que l’on gratte avec une petite baguette en bois ou ivoire). Autres morceaux de choix : "Lullaby" qui, comme son nom l’indique, est une berceuse jouée à la guitare. Pour ce film fiévreux, Goran ira enregistrer en Israël, à Rome, Belgrade, Bastia et Paris. L’année suivante, il fait une très bonne relecture de la musique arabe pour le film d’Ariel Zertoun, Le Nombril du Monde, interprété par Michel Boujenah et Delphine Forrest. Aucun disque n'est sorti… dommage !

LE SCANDALE

1995 marque une apogée entre Emir Kusturica, le surdoué de la mise en scène, et Goran Brégovic, son alter ego musical. Underground est en compétition au Festival de Cannes et rafle la Palme d’Or, aussitôt suivi d’un scandale. On accuse Kusturica d’être pro-serbe en pleine guerre… Les "philosophes" Alain Finkelkrauth et Bernard Henry Levy montent au créneau et fustigent le film (en avouant à la télévision qu’ils ne l’ont pas vu !). Les producteurs de Cibi 2000 (TF1) demande au cinéaste d’éviter la promotion du film et ce sont les acteurs et Goran qui s’y collent. Ils viennent présenter leur film à Lyon en Octobre, et Bregovic reçoit une ovation inhabituelle pour un musicien de cinéma… le public est survolté. Pour cause, la musique d’Underground c’est de la dynamite ! La musique des Balkans est réarrangée façon machine à danser pour les titres "Kalasnjikov", "Mesecina ", "Ya Ya", "Cocek", "Underground Cocek ". Dans le film, la plupart des morceaux traditionnels sont joués en "live" par l’orchestre de cuivres, et suivent les pérégrinations des deux héros, grands amateurs de femmes et d’alcool. La partie dramatique ("War", "Belly Button of the World") est interprétée par l’Orchestre et les Chœurs de Béograd. La chanson du film "Ausencia" est assurée par Césaria Evora, la prêtresse aux pieds nus du CapVert. Malheureusement la "campagne anti-Underground" fait rage et le film ne fait pas le nombre d’entrées espéré, celui-ci étant présenté comme un film de guerre, alors que c’est une comédie caustique sur le communisme et la période Tito dans lequel Kusturica affiche sa nostalgie d’une Yougoslavie unie. Devant l’incompréhension dont il se sent victime, le cinéaste fait part de son désir d’arrêter le cinéma et refuse toutes les interviews. Cette année-là, Goran signe aussi le score du film franco-géorgienne de Nana Djordjadze : Les Mille et Une Recettes du Cuisinier Amoureux. Une comédie douce amère sur un cuisinier séducteur (Pierre Richard), qui tombe fou d’amour pour une princesse et un pays : la Géorgie. Une fois de plus, il est question de musique traditionnelle que le compositeur sert avec un trio accordéon, tambour et flûte. Mais Bregovic ne se contente pas de réchauffer les plats (en l’occurrence les scènes incluant l’orchestre folklorique), il compose aussi de très beaux chants a capella, des petites miniatures pour quatuors à cordes et un très beau thème au piano. Un travail mouvant, délicat, qui démontre une fois de plus l’étendue de son registre.

DES FILMS, UNE TOURNÉE

Le disque d'Underground se vend bien et ses arrangements tziganes plaisent; on les retrouve sur l’album VERSIONS JANE pour un singulier "Comment te dire Adieu" de Gainsbourg (dans ce disque figure aussi "Le Mal Intérieur" orchestré et dirigé par Pierre Adenot). En 1997, Goran Bregovic signe le score de XXL, film "aux idées larges" avec Gérard Depardieu, qui est un énorme fiasco. Cette année sort aussi un album de chansons de ses films principaux interprétées par Sezen Aksu, originaire de l’ex-yougoslavie. Mais l’important est que Goran décide son entrée en scène par une tournée remarquée en France et Belgique (Printemps de Bourges, Lyon, Nantes, Olympia, Bruxelles, Amiens) pour la promotion de sa première compilation Ederlezi. Accompagné de l’Orchestre des Mariages et des Enterrements (tout un programme !), de 50 choristes, violons et cuivres et quatre chanteuses Bulgares, il met le feu partout où il passe en alternant les musiques des quatre grands films : Le Temps des Gitans, Arizona Dream, La Reine Margot, Underground. Aussi à l’aise dans le lyrisme symphonique que dans le folklore des Balkans, ses arrangements transportent l’auditeur aux confins de l’orient et de l’occident dans une danse extatique, où se côtoient les traditions ancestrales et une relecture rock.

LA SÉPARATION

Emir Kusturica se fâche quand il constate que Goran ne cite pas son nom sur les affiches du concert (ainsi que celui de Patrice Chéreau). Il déclare que le musicien doit avant tout sa notoriété à la qualité de ses films et que les artistes s’inspirant des tziganes sont très nombreux en ex-Yougoslavie. On ne sait pas ce qui a poussé Bregovic à cette indélicatesse (promoteur, maison de disque ?), toujours est-il que la rupture est consommée. Si Kusturica a en partie raison pour l’utilisation du folklore, le style Brégovic est aussi marqué par des séquences très caractéristiques par leurs émotions comme les pages aquatiques du Temps des Gitans, le suicide dans Arizona Dream, la pendaison dans Underground. Des finals cathartiques voulus par Kusturica et influencés par la musique orthodoxe. Cela représente surtout un important travail de mixage des voix et des instruments (orchestre ou synthés) sur des tempos savamment agencés aux images. Une autre partie est souvent composée soit de chansons ou de musiques "traditionnelles" réarrangées pour les orchestres de cuivre tziganes de Slobodan Salijevic et de Boban Markovic. Des danses faites "à la maison" comme le précise Goran qui ne voudrait surtout pas réenregistrer ces morceaux… certains utilisent de vieux instruments complètement désaccordés qui donnent ce son très particulier. Goran Bregovic a reconnu qu’il avait de la chance de travailler principalement avec Kusturica, un des meilleurs réalisateurs du moment, et que c’était pour lui très facile de mettre une musique sur ses films. Il n’avait jamais imaginé composer pour le cinéma, domaine qu’il connaît très mal et la seul influence qu’il revendique est Nino Rota, pour son univers méditerranéen. Compositeur atypique, il n’en demeure pas moins aujourd’hui un grand de la musique de film reconnu par la profession et le public.

1998, CHACUN SA ROUTE

Les deux frères ennemis se retrouvent à Venise… Goran a signé la musique de Train de Vie, une comédie plutôt gonflée sur les habitants d’un village juif qui décident de monter un faux train de déportation afin d’échapper aux nazis. Le synopsis est délirant, servi par des comédiens merveilleux : Lionel Abelanski, Rufus et Michel Muller en communiste amoureux; le film fût tourné en Roumanie et réalisé par Radu Milhaileanu. Il créa la surprise au box office en totalisant 193 697 entrées avec seulement 82 copies. Goran se sentit comme un poisson dans l’eau pour travailler sur la musique juive et dût aussi écrire un duel musical entre un orchestre yiddish et un autre tzigane. Aucun disque n’est sorti pour l’instant, mais les producteurs ne s’attendaient peut être pas à un tel succès. Emir aussi donna dans la comédie avec son très attendu Chat Noir, Chat Blanc, et remporta le Lion d’Argent pour sa mise en scène, une fois de plus époustouflante. Il rejoint pour l’occasion ses amis gitans et brode pour eux une histoire sur mesure dans laquelle on retrouve un mariage compliqué, du trafic de carburant sur les rives du Danube, des grands-pères morts dans un grenier, un pitt-bull plus ou moins terrier, des oies, un cochon très vorace etc… tout cela donne le film le plus frappadingue de l’année. Pour la musique, il fait appel à son ancien groupe NO SMOKING rebaptisé BLACK CAT, WHITE CAT. Si l’on retrouve des similitudes avec le style de Bregovic, le ton est plus rock et débridé. Le joli thème "Bubamara" et un pur morceau tzigane de l’est ; le Dr Nelle Karadjlic, leader du groupe, le reprend avec une flûte de pan pour une parodie sud américaine et avec cordes dans une version "Vivaldi". "Daddy’s Gone" est joué à l’accordéon façon musette. "Ja Volim te jos" est chanté par une cantatrice au postérieur très "spécial" et repris par une sorte de Klaus Nomi qui aurait trop écouté les discours du Führer. Il y a de la danse bulgare, des cuivres, du violon… les influences sont multiples et la bande originale de Chat Noir, Chat Blanc est un petit bijou de bonne humeur, de la world music déjantée à consommer les jours de déprime. A noter que le disque comporte une "Ghost Song", un titre qui ne figure pas dans le générique. Si vous laissez tourner le disque après la dernière plage vous constaterez que le morceau s’arrête à 3’24’’ et qu’à 5’22’’ un remix de "Pitt Bull" démarre. Dans cette réalisation, Kusturica voulait faire une vraie comédie avec une histoire qui finit bien, évitant la politique. Il a parfaitement réussi son coup et affirme son statut de grand virtuose du cinéma mondial.

A L’AVENIR

Kusturica a réussi à remplacer Brégovic dans une comédie, il faudra entendre comment il s’en sort dans le registre dramatique sans la touche de romantisme sombre du compositeur. Pour l’instant, les deux artistes ont démontré qu’ils pouvaient travailler séparément en conservant leurs caractéristiques. Si aucune réconciliation n’est annoncée à l’heure actuelle, il serait tout de même sympathique les revoir ensemble sur un affiche car ils sont la garantie d’un foisonnement visuel et sonore qui manque cruellement en Europe...

Mangus CoceK
Association LEITMOTIV

 


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