Des trois westerns spaghettis de Sergio Leone, « Il Buono, Il Bruto, Il Cattivo » est de loin la partition la plus populaire d'Ennio Morricone et aussi la plus aboutie. Qui n'a jamais entendu le célébrissime thème d'ouverture du film, sur un balancement de deux notes auxquelles répondent trois autres notes, un pur moment de bonheur pour tous bon béophile qui se respecte ! Malgré sa très grande popularité, la partition de Morricone pour le chef-d'oeuvre de Sergio Leone reste assez énigmatique dans le fond. L'originalité et l'audace de cette partition reste toujours aussi forte, 40 ans après, une musique moderne, très en avance sur son temps.
[© Texte : Cinezik] • #EnnioMorricone @QuartetRecords #Lebonlabruteetletruand
Tracklist (de la BO en CD ou Digital)
Avec Clint Eastwood, Eli Wallach, Lee Van Cleef
Titre original : Il Buono, il brutto, il cattivo
Long-métrage espagnol, italien
Genre : Western
Durée : 3h00min
Année de production : 1966
Parlons d'abord de l'instrumentation incroyable de cette partition !
Ennio Morricone utilise ici divers instruments, une trompette-piccolo,
une guitare "mexicaine", les sifflements du soliste Alessandro
Alessandroni qui chante aussi un peu de yodel (une idée exceptionnelle
pour la musique d'un western !), une guitare électrique, des cris
guerriers d'un choeur d''hommes ("Go", "Go", un son très reconnaissable
dans les musiques western d'Ennio Morricone et que l'on retrouve dans
les deux autres westerns-spaghettis de Sergio Leone), sans oublier la
flûte à bec soprano, les instruments médiévaux aux sons parfois
étranges, un arghilofono (sorte d'ocarina basse construit en terre cuite
et originaire de la région des Arbuzzes), un harmonica, quelques
chanteurs solistes tels que l'inévitable Edda Dell'Orso (grande complice
de toujours d'Ennio Morricone !) et bien sûr, l'orchestre symphonique
traditionnel. D'emblée, la partition du maestro italien s'avère être
particulièrement originale et recherchée - avec une instrumentation
assez unique en son genre, reflétant l'inventivité incroyable du
musicien et son goût pour les approches musicales souvent uniques,
éclectiques et personnelles.
Rappelons pour commencer que la composition de la partition d'Ennio
Morricone débuta bien avant le tournage du film, un fait assez
exceptionnel dans le sens où le maestro italien n'eut pas cette liberté
sur les deux films précédents, pour des raisons purement budgétaires. Du
coup, Sergio Leone en profita pour faire jouer la musique de Morricone
sur le plateau du tournage, stimulant ainsi de façon plus active le jeu
des différents interprètes du film. La partition de « Il Buono, Il
Bruto, Il Cattivo » s'articule donc autour de ce célèbre thème principal
constitué de deux parties, la première contenant le fameux motif en
réponse, puis la seconde avec une mélodie de guitare électrique très
cavalière, associée aux trois personnages évoqués par le titre du film.
Et pour que chaque personnage puisse posséder sa propre identité sonore,
Morricone décida d'associer à chacun un instrument différent. Ainsi
donc, Blondin est associé à la flûte à bec, Sentenza à l'arghilofono et
Tuco à la voix humaine. Conceptuellement parlant, le thème de « Il
Buono, Il Bruto, Il Cattivo » est assez unique en son genre, puisque le
maestro l'a écrit pour imiter le hurlement des coyotes dans le désert.
Véritable leitmotiv du trio, Morricone tient à rappeler ce thème par une
évocation de quelques secondes au tout début du film, lorsque l'on
découvre chacun des trois personnages, de manière théâtrale et amusante :
le film fait alors une pause sur leur visage avec le nom du personnage,
"Le Bon" par exemple, un effet assez kitch qui participe au charme de
ce film typique des années 60. Le thème s'attache ensuite à suivre le
personnage du Blondin - excellentissime Clint Eastwood et son fameux
running gag « le monde se divise en deux catégories », ou sa réplique
cinglante du style « ça, c'est pas une farce, c'est une corde » !
Anthologique ! Les deux célèbres notes du thème sont toujours évoquées
dans le film lorsqu'on voit apparaître le personnage à l'écran ou
lorsqu'il fait preuve d'héroïsme. Quand à savoir où et comment Ennio
Morricone est allé chercher son inspiration pour trouver les deux notes
les plus célèbres de l'histoire du cinéma, cela reste un mystère tout
entier, le mystère de la création ! Toujours est-il que le fameux thème
en question reste plus que jamais indissociable de l'univers crée par
Sergio Leone dans son film.
Le reste de la partition est tout aussi remarquable. Alors que le thème
se taille une grosse part du lion dans le film, le chant « Story of a
Soldier », qui s'avère être assez présent durant la scène du camp de
prisonniers, demeure tout bonnement intriguant. En effet, il s'agit
d'une magnifique pièce chantée dans le film par un choeur chargé
d'accompagner en musique la torture de Tuco (Le Truand) par Sequenza (La
Brute) et son acolyte. Plus le choeur chante fort et plus le bourreau
doit frapper fort. La musique reflète pourtant un décalage émotionnel
assez saisissant sur les images qu'elle accompagne. Pour une scène aussi
brutale et violente, Morricone décida de mettre une musique belle et
extrêmement chantante par dessus la séquence (le rôle de la musique
étant ici de couvrir les bruits du prisonnier torturé !). Encore une
audace conceptuelle de plus qui rend cette partition assez déroutante
par moment, mais tout bonnement géniale dans ce qu'elle cherche à
véhiculer. Même style pour « Marcia », chant extrêmement simple, qui
prend des allures d'air populaire dépouillé de la moindre fioriture,
joué par un harmonica doublé par le sifflement d'Alessandro Alessandroni
pour la fin de la scène du camp et lors de la séquence du chant de
bataille pendant la guerre de sécession. Ce morceau magnifique qui prend
parfois des accents de marche militaire accompagne parfois des
séquences qui n'exigeaient pas forcément à la base un tel lyrisme ni une
telle beauté, comme notamment pour la scène où Tuco et Blondin font
exploser le pont. On retrouve ici aussi cette idée de décalage audacieux
entre la musique et les images, la partition du maestro faisant bien
souvent office de véritable opéra baroque, avec son mélange improbable
et très complexe entre touches d'humour et lyrisme.
Les choeurs interviennent de temps à autres, et notamment dans
l'excellent « The Carriage of the Spirit », musique
quasi-spirituelle/religieuse pour la scène où le chariot de Bill Carson
apparaît dans le désert pendant que Tuco est en train de malmener
Blondin sous la chaleur écrasante du désert. La musique, souvent décalée
avec les images, tend à créer un certain second degré très subtil à
l'écran, Sergio Leone ne cachant d'ailleurs pas le caractère légèrement
parodique de ses westerns-spaghettis. Une guitare « à la mexicaine »
vient ensuite illustrer l'arrivée de Tuco dans un village au début du
film, tandis que les premiers méfaits brutaux de Sentenza sont évoqués à
travers quelques pièces atonales et dissonantes (non présentes sur le
CD de l'ancienne édition !). Autre morceau non retenu sur le CD, celui
de la scène où Tuco et Blondin vont s'attaquer aux hommes de Sentenza
dans un village en ruines. La musique, très atonale et dissonante, met
en valeur les percussions, les effets de flûte et de piano. Elle
illustre alors le suspense de la scène et rappelle au passage le goût du
maestro italien pour la musique savante atonale et avant-gardiste des
années 50/60. La musique du désert est quand à elle particulièrement
inquiétante : le hautbois interprète la partie principale, une pièce qui
annonce d'ailleurs clairement le Ennio Morricone plus atonal et
sinistre des années 70/80 (cf. sa musique pour « The Thing » de John
Carpenter). La musique accompagnant la scène où le capitaine meurt sur
le champ de bataille après avoir vu le point exploser s'avère être
particulièrement belle et poignante, tout comme celle où Blondin offre
un cigare à un soldat en train de mourir. C'est dans ces passages que
l'on retrouve toute la sensibilité et le lyrisme exceptionnel du grand
Ennio Morricone !
Enfin, on ne pourra pas passer à côté de deux grands moments
incontournables dans cette musique d'exception, le fameux « Ecstasy of
Gold » et « The Trio », la première rappelant les harmonies et le thème
de « Per qualche dollaro in più » avec la voix bouleversante de la
soprano Edda Dell'Orso (la muse du maestro italien depuis toujours !),
un morceau aux proportions épiques pour la scène où l'on voit Tuco
courir comme un dératé dans le cimetière, à la recherche de la tombe où
le fameux trésor est caché. La scène prend des proportions de plus en
plus grandioses au fur et à mesure que le caméra de Leone devient de
plus en plus floue à force de tourner sur elle-même à toute vitesse,
représentant la confusion et la folie dans la tête de Tuco, complètement
obsédé à l'idée de retrouver le trésor, pris comme le titre du morceau
l'indique par la fièvre de l'or, tout comme le furent autrefois les
pionniers de l'Ouest. On pourrait d'ailleurs s'imaginer que c'est en
référence à cette grande époque de l'histoire des Etats-Unis que
Morricone a eu l'idée de faire de ce morceau une sorte de grand hymne
épique et héroïque, la chanteuse soprano et l'orchestre étant très
rapidement rejoints par les choeurs majestueux - rappelons d'ailleurs
que cette musique a connue elle aussi une popularité grandissante au fil
des années, à tel point que certains musiciens y font aujourd'hui
constamment référence, comme le groupe Metallica par exemple, qui a pris
l'habitude d'ouvrir tous ses concerts en interprétant « Ecstasy of Gold
» . Enfin, « The Trio » évoque la confrontation finale anthologique
entre les trois personnages-clés du film. Toute l'intensité et le
suspense de la scène sont représentés dans la musique de Morricone,
utilisant ici la guitare accompagnée par un petit motif de piano. « The
Trio » illustre à merveille les différents plans axés sur le regard de
chaque personnage dans un triple duel qui déterminera qui ira prendre le
trésor. Signalons simplement pour finir qu'il y a manifestement un
véritable problème dans le mixage de la musique du film, puisque cette
dernière sature régulièrement dans les passages où le volume sonore est
bien plus élevé !
En conclusion, il s'agit probablement là d'une des plus grandes musiques
de western d'Ennio Morricone, audacieuse, osée, innovante, recherchée,
magnifique et enlevée, un thème célèbre et exceptionnel. La musique de
Morricone devient très vite puissante à l'écran de part la présence
d'une certaine forme de second degrés musical très subtil, mais aussi
grâce à la puissance d'évocation de la musique décidemment inséparable
des images du chef-d'oeuvre de Sergio Leone. Dès le début de la musique,
on retrouve immédiatement toutes les images du film. Rajoutez à cela
une instrumentation originale et recherchée, et vous obtenez « Il Buono,
Il Bruto, Il Cattivo », chef d'oeuvre impérissable aussi bien dans le
domaine des westerns que dans celui de la musique de film, résultat
d'une collaboration intense et passionnante entre Leone et Morricone,
qui aboutira finalement trois ans plus tard avec le bouleversant « C'era
un volta il West », un véritable hymne poignant à l'Ouest américain. Un
chef-d'oeuvre absolument incontournable, en somme !
Ennio Morricone a signé la musique d'autres films de Sergio Leone : Pour une poignée de dollars (1964) • Et pour quelques dollars de plus (1965) • Il était une fois dans l'Ouest (1969) • Il était une fois la révolution (1971) • Mon Nom est Personne (1973) • Il était une fois en Amérique (1984) •
Ennio Morricone a également écrit la musique de : Le Grand silence (1968) • Cinema Paradiso (1988) • Les Moissons du ciel (1979) • Le Clan des Siciliens (1969) • Les Incorruptibles (1987) • Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) • Le Chat à neuf queues (1971) • The Thing (1982) • Le Syndrome de Stendhal (1996) • L'Oiseau au plumage de cristal (1970) • Outrages (1990) • La Cage Aux Folles (1978) • Mission (1986) • Le Professionnel (1981) • Peur sur la ville (1975) •
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