Interview B.O : Raymond Alessandrini, ses rencontres avec Magne, Delerue, Yanne, Bernstein, Newman...

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INTERVIEW RÉALISÉE À PARIS LE 19 JUIN 2012 PAR BENOIT BASIRICO

- Publié le 27-06-2012




Raymond Alessandrini, dont la partition pour DEUX HEURES MOINS LE QUART AVANT JÉSUS-CHRIST est parue chez Music Box Records, retrace son parcours de sa rencontre avec Michel Magne, au coup de pouce de Georges Delerue, en passant par ses années de pianiste de Studio auprès de Elmer Bernstein, Lalo Schifrin ou Alfred Newman, ce qui l'a mené à sa collaboration avec Jean Yanne. 

Interview à l'occasion de la réédition de DEUX HEURES MOINS LE QUART AVANT JÉSUS-CHRIST

Cinezik : Quel a été votre travail avec Michel Magne et comment s'est faite votre rencontre avec Jean Yanne qui en résulte ?

Raymond Alessandrini : Je sortais du conservatoire et je me suis retrouvé par hasard face à Michel Magne. Nous avons passé un deal : il m'initiait au travail de musique de film, je l'aidais dans ses orchestrations, et en contrepartie il me prêtait son piano de concert, ce qui m'a permis de préparer mes concours de pianiste classique. Puisqu'à ce moment là, je ne pensais pas du tout faire de la musique de film, je préparais énormément de concerts comme soliste. Je travaillais une partie de la nuit pour moi, seul dans le studio, et la journée je travaillais pour Michel Magne en tant qu'orchestrateur. Entre temps, Michel Magne a fait "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" de Jean Yanne, et lorsque ce dernier a tourné CHOBIZENESS, il y avait de la fausse musique classique à écrire, de la fausse musique de J.S Bach... On était en 1975, Michel Magne n'était pas disponible, il a donc demandé à deux personnes de s'en occuper, à Claude Germain pour tout ce qui était la musique de variété, et à moi pour ce qui était la fausse musique classique. C'était donc ma première collaboration avec Jean Yanne alors qu'à cette époque je ne pensais pas en faire mon métier.

Avant ce premier film, vous étiez devenu un pianiste de studio convoité ?

R.A : J'étais pianiste à ce moment-là. Michel Magne m'emmenait en studio en tant que pianiste. Je me suis ainsi fait remarquer et j'ai pu par la suite travailler comme pianiste de studio. A l'époque, les pianistes de studio faisaient énormément de jazz et de variété, ils ne lisaient pas forcément bien la musique. Puisque j'étais un très bon lecteur, je pouvais arriver au studio en ne sachant pas ce que j'allais jouer et le jouer instantanément. C'est pour cela que j'ai énormément travaillé. J'étais tout seul à avoir cette capacité de lecture rapide. C'est donc par Michel Magne que tout a commencé.

En tant que pianiste de studio à Paris, comment avez-vous pu rencontrer d'illustres compositeurs d'Hollywood ?

R.A : Grâce à des grèves très dures qu'il y a eu dans les années 70 aux Etats-Unis, toutes les productions en cours devaient être enregistrées, les musiciens sont donc partis à Londres qui s'est trouvé très vite saturé, puis à Paris, ce qui m'a permis d'avoir des expériences assez fabuleuses avec des gens extraordinaires. J'ai rencontré Lalo Schifrin pour d'autres raisons plus tard, mais il y a eu à ce moment-là Elmer Bernstein, Alfred Newman, un grand musicien. Ils avaient des moyens colossaux, avec 80/100 musiciens. Dés que j'avais trois notes à faire, j'avais un piano de concert, cela se passait dans les grands studios parisiens de l'époque. J'ai même une anecdote à raconter : un jour il manquait des partitions, ils n'ont pas hésité à faire un aller/retour en concorde pour aller récupérer les partitions qui manquaient, car biensûr Internet n'existait pas.

Aujourd'hui, les américains ne viennent plus enregistrer à Paris...

R.A : Cela coûte trop cher, il y a trop de charges sociales, c'est financièrement inconcevable aujourd'hui.

Qu'avez-vous appris de cette expérience et de ces rencontres ?

R.A : Je voyais toute la mécanique technique se dérouler devant moi, dans l'écriture, dans l'approche face aux images. J'ai pris des cours extraordinaires sans m'en rendre compte, en étant sur le terrain. Il était inconcevable pour un compositeur de musique de film d'enregistrer sa musique sans l'image, sans voir immédiatement en direct le résultat sur l'image. Les studios étaient tous équipés d'un projecteur 35mm, c'est invraisemblable ! En plus, avec un tel projecteur, on ne peut pas revenir rapidement en arrière. Une fois que nous avions enregistré, on regardait le film se rembobiner, puis nous regardions le résultat de ce que nous venions de faire. Ca prenait beaucoup de temps.

Vous avez aussi rencontré Georges Delerue, quel souvenir en avez-vous et en quoi cette rencontre a été déterminante pour la suite ?

P.A : Le contact avec Delerue a été très important. C'était une rencontre très agréable humainement. Cela faisait un moment que j'enregistrais en studio, et lui s'apprêtait à partir aux Etats-Unis. Un jour, au cours d'un repas, entre deux séances d'enregistrement, je lui ai avoué que je me sentais prêt à écrire de la musique. Il m'a souri sans rien me dire. Peu après son départ pour l'Amérique, j'ai reçu l'appel d'un réalisateur de télévision qui s'appelait Jean L'Hôte, c'est ainsi que j'ai fait ma première musique de film, en 1982 (CHOBIZENESS n'en était pas vraiment une). Georges Delerue m'avait ainsi recommandé, ce qu'il a fait auprès de tous les gens avec lesquels il collaborait, mais étant totalement inconnu, les réalisateurs étaient méfiants, donc j'ai eu peu de retombées, mais celles que j'ai eu ont été importantes : Jean Yanne, Jean-Charles Tachella, Henry Colpi, et la Cinémathèque, qui sont venus à moi grâce à Georges Delerue.

J'aime beaucoup le travail d'artisan, celui qui fait son travail avec beaucoup de concentration et d'amour, ce que je percevais chez Georges Delerue. Cette manière de travailler m'intéressait. Même s'il considérait plus ou moins bien le film, à partir du moment où il était engagé en tant que compositeur, il se devait de donner le meilleur de lui, être toujours ultra-professionnel, même si le film ne lui plaisait pas, c'est exactement ce que j'ai essayé de faire.

Quels autres compositeurs appréciez-vous ?

R.A : Je suis un grand admirateur de John Williams, qui a cette capacité d'un film à l'autre à faire des choses radicalement différentes, avec une technicité d'écriture phénoménale. Avant d'être compositeur, il était orchestrateur pour d'autres compositeurs...

Il était même pianiste de studio à ses débuts, comme vous...

R.A : D'ailleurs, j'ai enregistré la musique de DEUX HEURES MOINS LE QUART AVANT JÉSUS-CHRIST (1982) à Londres avec le LSO car on était au mois d'août et beaucoup de musiciens français étaient en vacances. Quand j'écoute cette musique avec celle de "L'Empire contre-attaque" qui venait d'être enregistrée avec le même orchestre, je reconnais la couleur des cuivres.

Comment Jean Yanne vous a-t-il proposé de faire DEUX HEURES MOINS LE QUART AVANT JÉSUS-CHRIST, 7 ans après votre première collaboration ?

R.A : Je ne l'avais pas revu depuis CHOBIZENESS. Et un jour d'été, je pars avec ma fille faire des courses dans Paris. On entre dans un salon de thé et je vois au fond de la salle un barbu qui se lève et qui vient vers moi. Dés qu'il a ouvert la bouche, j'ai reconnu Jean Yanne (qui n'avait pas de barbe du temps de CHOBIZENESS). Je lui annonce que je venais de faire mon premier film (je n'ai jamais considéré mon premier travail avec lui comme un travail de musique de film, mais comme celui d'un musicien ou d'orchestrateur). Il me propose alors de faire son prochain film.

Quelle a été la direction musicale pour ce film ?

R.A : Quelque chose faisait beaucoup rire Jean Yanne, c'est l'anachronisme. Son grand pied était de mélanger un orchestre symphonique avec une rythmique, ce qui n'était pas courant à l'époque. J'étais aussi très marqué depuis l'enfance par la musique de Ben-hur. Elle est restée comme un fantasme sonore. Quand Jean Yanne m'a proposé de faire cette musique, j'ai sauté sur l'occasion pour m'en inspirer. Dans ce film, il y a de tout : du jazz, du reggae, de la country, c'est un bric à brac sonore invraisemblable qui est à l'image du film. En tant que pianiste de studio, j'ai tellement fait de choses différentes que j'étais préparé à ce côté caméléon.

A quel moment étiez-vous intervenu dans la création du film ?

R.A : Je suis intervenu avant le tournage car il y avait des musiques fonctionnelles, disco, qui devaient être chorégraphiées.

Quel rapport Jean Yanne avait avec la musique ?

R.A : Il était aussi compositeur. Il y a dans ce film trois thèmes de lui. Il a aussi écrit la mélodie et les paroles du générique de fin avec ce fameux reggae "il est né le divin enfant". La musique était un de ses fantasmes, elle était importante pour lui. Je crois qu'il aurait aimé être musicien.
Dans le travail avec moi, il était très directif, et très changeant à la fois, ce qui était un peu angoissant car il avait une imagination sans limites qui était en activité en permanence. Par exemple, la veille de l'enregistrement à Londres avec le LSO, où il y avait près de 100 musiciens, il m'annonce qu'une scène a changé, je suis devenu tout blanc. J'ai donc passé une grande partie de la nuit à refaire un morceau pour pouvoir l'enregistrer le lendemain, car les minutages avaient changé. Mais sinon, il ne m'a jamais embêter sur le minutage, il me disait de faire ce que je voulais. Il y a avait des contraintes particulières, mais pour la musique du film elle-même, j'étais libre. J'ai même enregistré beaucoup plus que ce dont on avait besoin.
Sinon, le producteur, pris de panique, a retiré une bobine de 20 minutes, sans montage. Jean Yanne l'a très mal pris. Il faut dire qu'il avait mis les producteurs en difficulté financière car la musique avait couté une fortune. Cela veut dire qu'il y a eu des musiques montées qui n'ont jamais été entendues, d'où l'intérêt de ce CD.

Pour ce disque, comment avez-vous déterminé l'ordre des pistes ?

R.A : Pour ce disque, la musique est tellement diversifiée dans le style que j'ai alterné entre une musique rythmique et une musique symphonique, entre une musique rapide et lente, pour l'agrément de l'auditeur. Pour d'autres disques, j'ai plutôt suivi l'ordre chronologique du film, mais là c'est particulier. Je salue l'équipe de Music Box records car je trouve très courageux de nos jours de sortir encore des CD. J'ai eu d'autres propositions par ailleurs et j'ai préféré que ce soit eux qui fassent ce travail là, je les en remercie.

Comment envisagez-vous votre avenir dans la musique de film ?

R.A : J'ai eu la chance de travailler à une époque où il y avait encore de l'argent pour pouvoir composer de la musique dans de bonnes conditions. A la télévision, pour ma première série TV, j'avais 80 musiciens, tandis que pour mon dernier téléfilm, 15 ans après, il y avait quatre musiciens. Il n'y a plus d'argent, ce que je n'ai pas très bien supporté, donc j'ai préféré arrêter. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir des désirs, j'aimerais bien par exemple travailler pour Alain Resnais, un cinéaste qui aime vraiment la musique. Et j'ai tout de même des projets pour la cinémathèque. La musique de film n'est pas totalement terminée pour moi. Je vais diriger au moi d'août l'orchestre de Bretagne pour un film muet de René Clair "Un Chapeau de paille d'Italie". Sur ce projet je suis à la fois compositeur et chef d'orchestre. Puis je vais à Toulouse pour le même film. J'ai comme cela cinq à six films avec lesquels je tourne.


INTERVIEW RÉALISÉE À PARIS LE 19 JUIN 2012 PAR BENOIT BASIRICO


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