René Aubry, ses albums à l'écran

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- Publié le 10-10-2012




Compositeur eclectique, René Aubry navigue sans phare de la danse au théatre, de la scène au cinéma. Pour les films, les réalisateurs puisent dans ses albums, mais cela le dirige parfois vers de la musique originale, comme pour le premier film de Romain Nicolas PAR LES EPINES (en salle le 10 octobre 2012), et pour le dessin animé anglais LE PETIT GRUFFALO (en salle le 17 octobre 2012).

Thème original de PAR LES EPINES - "Marilyn"

Cinezik : Votre musique est présente dans plusieurs films surtout en tant qu'emprunts de musiques existantes ?

René Aubry : C'est vrai, mon nom est au générique d'un certain nombre de films mais pas pour des musiques originales, que ce soit chez Paolo Sorrentino, Romain Nicolas ou des choses moins connues. Pour Wim Wenders (PINA), ma musique était dans le spectacle de Pina Bausch. J'ai fait quelques musiques originales pour des films qui ont rarement marché, à part MALABAR PRINCESS (2003). J'ai surtout la réputation de faire des musiques pour la scène, le théâtre ou la danse. Je ne démarche pas pour le cinéma car c'est une carrière qui m'intéresse peu, je ne pourrais pas faire cinq musiques de films par an. L'expérience que j'ai avec le cinéma ne m'a pas enthousiasmé au point de ne vouloir faire que cela. Parfois je vois certains films où je me dis que j'aurais bien aimé faire la musique. Depuis quelques années, je travaille avec les anglais de Magic Light Pictures pour les films d'animation (LE GRUFFALO), j'y trouve mon compte et cela me suffit. Je n'ai pas la facilité d'écriture qui me permettrait de faire plus de films.

Il est arrivé que des réalisateurs mettent des musiques de vos albums sur leur montage ?

R.A : Souvent, les monteurs qui aiment bien mes musiques en mettent sur leur montage, et ensuite ils n'arrivent plus à s'en débarrasser. Quand je fais des musiques pour la scène, il m'arrive de voir des répétitions où les comédiens utilisent des musiques, ils s'en habituent, c'est ensuite dur de proposer autre chose. Pour L'UOMO IN PIÙ de Sorrentino, il y a ma musique ("Après la pluie") qui revient à plusieurs reprises, mais il y a un autre compositeur associé sur le film. Je ne sais pas si on lui a demandé à un moment de remplacer ma musique, ce qui se produit souvent, mais elle est restée au final. D'ailleurs, mon morceau se retrouve dans un autre film italien (TERRAFERMA), cela me semble bizarre. Je préfère à chaque fois regarder les images pour autoriser l'utilisation de mes musiques, pour voir de quoi il s'agit. Je me suis retrouvé dans les deux situations. Je vais d'ailleurs travailler sur un film libanais sur lequel ils ont mis une musique de Philip Glass. Comment le remplacer ?

Comment votre musique est arrivée dans le film de Romain Nicolas PAR LES EPINES ?

R.A : C'est par l'intermédiaire du producteur qui a travaillé avec Carolyn Carlson (ndlr : la chorégraphe et compagne du compositeur). Ce réalisateur a fait son film tout seul avec très peu de moyens, rien que ça attire le respect. Il avait déjà monté son film avec des musiques du groupe américain Calexico, mais il n'avait pas d'argent pour les utiliser. Il s'est retrouvé sans musique. Le producteur m'a donc recommandé. J'étais complètement débordé, je travaillais sur LE GRUFFALO. Sans cela, j'étais prêt à leur faire une musique gratuitement car j'ai eu beaucoup d'admiration pour ce jeune type plein de volonté. Ils ont donc pioché dans mes disques, j'ai aidé au choix en éliminant ceux qui étaient trop utilisés, il y avait tout de même un dialogue avec le réalisateur. J'ai aussi contribué à harmoniser le style, car mes musiques peuvent partir dans tous les sens. Je lui ai aussi donné des inédits prêts à servir. Le titre "Lungomare" est tiré quant à lui de mon album "Plaisirs d'amour". Puis j'ai eu quelques jours de libre, j'ai pu faire un morceau original, avec de la clarinette basse, un violon et un solo de guitare, c'est le thème de Marilyn qui revient plusieurs fois, la seule musique originale du film que j'ai écrite à la toute fin. Il a fallu pour ce thème trouver une cohérence et une unité avec le reste. J'aime bien ce morceau, je pense que je vais l'intégrer à un de mes prochains disques. Puis j'ai participé au découpage des musiques. J'ai aimé ce projet, si Romain fait un autre film, je me mets tout de suite sur les rangs.

Votre partition met en avant les solistes, comment choisissez-vous vos interprètes ?

R.A : Je fais tout moi-même, je joue le piano et la guitare, en évitant au maximum d'utiliser des samples pour que cela reste vivant. J'ai un groupe, un septet, depuis 13 ans, dans le but de faire des concerts, et parfois pour les films je fais appel à un ou deux musiciens du groupe dont j'ai besoin. Je fais très souvent appel à Daniel Beaussier car il joue de plusieurs instruments à vent.

Est-ce que vous intégrez des musiques présentes dans les films pour les concerts ?

R.A : "Lungomare" a très longtemps fait partie du répertoire, on joue toujours "Après la pluie" qu'ont utilisé Sorrentino et Crialese, c'est mon morceau préféré !

Après LE GRUFFALO (lire notre article sur la BO de ce film), vous poursuivez sur la suite LE PETIT GRUFFALO (en salle le 17 Octobre 2012), dans quelle direction êtes-vous allé cette fois-ci ?

R.A : On suit l'enfant du Gruffalo qui va à la recherche de la méchante souris. On accompagne son cheminement, en croisant brièvement les autres animaux. Il n'était pas nécessaire cette fois-ci de les caractériser. Dans LE GRUFFALO, il y a la musique de chaque animal, du serpent, de la chouette... alors que là, j'ai fait une suite de 25 minutes, c'est un seul morceau. Dans le film, il y a biensûr un travail de montage, mais il y a moins de thèmes, c'est plus délicat. La musique illustre les angoisses et les doutes du petit Gruffalo. A un moment on est allé trop loin dans la peur, il a fallu fignoler.

Y a-t-il une spécificité dans la musique d'un film d'animation ?

R.A : Dans l'animation, chaque seconde est importante, c'est d'une précision métronomique, alors que la prise de vue réelle permet plus de liberté, de lyrisme, sans forcément coller à l'image mais en définissant la juste ambiance. Le plus frustrant au cinéma, ce sont les interventions très courtes. J'ai l'habitude de travailler sur de longs morceaux au théâtre avec Philippe Genty ou pour la danse. Il est rare d'avoir plus de deux minutes au cinéma, sauf sur "The Artist".

Quels sont vos goûts en matière de musique de film ?

R.A : En France, il y a Alexandre Desplat qui est un sacré phénomène je trouve, capable de faire tous les genres, avec à chaque fois une idée dans l'orchestration. J'adore Gustavo Santaolalla, Cliff Martinez, Carter Burwell (la musique de "A Serious Man" des frères Coen est superbe).

Quels sont vos projets dans le cinéma ?

R.A : Je ne veux pas être étiqueté compositeur de musiques de film. J'aime bien avoir juste un pied dedans. Mais on ne sait jamais... si Inaritu, Audiard, Sorrentino ou Wenders m'appellent ! Je ne sais pas si Romain Nicolas va poursuivre, j'espère vraiment qu'il va faire un autre film. C'est difficile pour lui car PAR LES EPINES est dans peu de salles. On va peut-être devenir un couple de cinéma, qu'il m'appelle pour son prochain ! Je m'estime encore jeune même à plus de 50 ans. C'est à cet âge-là que le cinéma a découvert Philip Glass, tout est permis ! Il faut la bonne rencontre avec une personne, je ne me vois pas faire trois films avec trois réalisateurs différents en même temps. Je suis ouvert à toute proposition, j'aime bien l'éclectisme, passer d'un projet à un autre très différent. Même pour mes concerts je propose à chaque fois un programme différent à partir de 30 ans de carrière, ce n'est pas juste jouer le dernier album, ce qui est déstabilisant pour le public.

Interview réalisée à Paris le 8 octobre 2012 par Benoit Basirico

 


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