Vincent Perrot : Ennio Morricone et le cinéma français

Dimanche 28 octobre 2012 à partir de 20H45

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INTERVIEW RÉALISÉE LE 25 SEPTEMBRE 2012 À PARIS PAR BENOIT BASIRICO - Publié le 25-10-2012




L'animateur de radio et de télévision Vincent Perrot est aussi un grand amateur de BO. Après avoir écrit un ouvrage paru en 2002 sur les compositeurs français de musique de film, il a pu affirmer sa passion cinémusicale à travers la réalisation de documentaires. Son dernier film est consacré au grand compositeur italien Ennio Morricone, et plus particulièrement à sa période française. Il nous relate son rapport à la musique de film et la genèse de ce documentaire diffusé en octobre 2012 sur Ciné+Classic et projeté au cinéma Le Balzac le 16 décembre 2012.

MAESTRO MORRICONE - IL ÉTAIT UNE FOIS EN FRANCE

Un documentaire inédit de Vincent Perrot 
2012 - 55 min - France

L'histoire "franco-Morriconienne" racontée par ce documentaire réussi et passionnant débute dans les années 70, à l'époque où les co-productions franco-italiennes ont le vent en poupe, pour s'achever en 2002, avec l'unique concert dirigé par « le maestro » au Palais des Congrès de Paris. À compter de cette date, très sollicité outre-Atlantique, le compositeur ne collaborera plus avec les cinéastes français.

Parallèlement à une interview de Ennio Morricone qui revient sur ses différentes collaborations de l'époque, les cinéastes qui ont travaillé avec lui témoignent : Jacques Deray, Yves Boisset, Philippe Labro, Francis Girod, Jacques Perrin, Edouard Molinaro, Georges Lautner, José Giovanni. On y apprend plein de choses, comme son amour de Romy Schneider, la construction du thème du Clan des siciliens, le dialogue avec les réalisateurs, et diverses anecdotes.
Ces témoignages décrivent Ennio Morricone comme un homme ayant toujours su rester ouvert aux exigences des metteurs en scènes, et ce malgré son succès croissant.

Le documentaire de Vincent Perrot s'intitule "Maestro Morricone, il était une fois en France" et la première diffusion a eu lieu dans le cadre d'une soirée consacrée au compositeur sur CINÉ+CLASSIC le Dimanche 28 octobre 2012 à partir de 20H45

Le film est également projeté au cinéma Le Balzac le 16 décembre 2012 19h30 suivi d'un mini-concert de Jean-Michel Bernard (reprises) et quelques surprises. (voir l'info)

 

Interview : Vincent Perrot raconte la genèse de ce projet.


Cinezik : Le public vous connait sur tout autre chose que le sujet qui nous intéresse. Comment êtes-vous devenu documentariste sur la musique de film ?

Vincent Perrot : L'image et le son, c'est mon métier depuis longtemps. La musique de film restait une passion beaucoup plus discographique et personnelle. Puis un jour j'ai commis un livre ("Musiques et compositeurs du cinéma français") au début des années 2000. J'ai rencontré beaucoup de monde pour ce livre, des compositeurs et des réalisateurs. J'avais déjà en tête la problématique du dialogue entre réalisateurs et compositeurs. Je me suis dit qu'il serait dommage ne pas filmer ces interviews. Ils ont tous accepté que je vienne avec une caméra. Mais ce n'était pas au départ destiné à être un documentaire, l'idée était de garder une trace de ces rencontres. Je me suis servi de ces interviews pour écrire ce livre, et de là est venue l'idée d'imaginer un DVD en complément du livre, un "plus produit". Je m'étais régalé à faire cela. Ensuite, j'ai réfléchi à la possibilité de faire des vrais documentaires pour la télévision sur la musique de cinéma.

Comment le pas a t-il été franchi pour passer du livre aux films ?

V.P : Parler de musique dans un documentaire vidéo n'était pas évident, tout le monde se posait la question, moi le premier. Mais j'étais convaincu que cela pouvait être pertinent. Il a fallu commencer par en faire un, quelqu'un m'a fait confiance sur un premier film en me disant "tente le coup et on verra bien". Cette personne est le patron des chaines thématiques du groupe Canal (Ciné Cinéma qui est devenu Ciné+), Bruno Deloye, à qui je rends hommage car il était le premier à me faire confiance. J'avais surtout fait des films sur les sports mécaniques, pas sur le cinéma. Pour me faire un baptême du feu, il me propose un documentaire autour de Godard, pas simple ! Mais puisque j'avais déjà dans le cadre du livre interviewé Martial Solal, Michel Legrand, Gabriel Yared, Antoine Duhamel... j'avais la matière, que j'ai complétée avec Colette Delerue. C'était mon premier documentaire sur la thématique du son et de l'image, autour de Godard. Je n'ai pas commencé par le thème le plus facile. C'était une commande et le résultat a plu à Bruno Deloye. Il a vu qu'on pouvait dans un 52 minutes parler et illustrer autour de ce thème, et depuis on a une belle collaboration ensemble d'un film tous les deux ans.

Quant à Ennio Morricone, de quand est née l'idée de ce documentaire ?

V.P : Alors Morricone, ça remonte à très très loin. En résumé, on est en 74, j'ai 9 ans, je vais dans un petit cinéma de province à Confolens en Charente où j'habitais, voir PEUR SUR LA VILLE, et je tombe en arrêt dés la première minute du générique où j'entends le thème, avec cette dissonance. Tout d'un coup je réalise que sur des images de Paris la nuit, il y a une musique qui me met mal à l'aise. Un compositeur vient de me faire comprendre que je vais voir un film un peu malsain, sans avoir encore vu les images qui suivent. Je viens inconsciemment de comprendre cela en moins de 30 secondes. C'est le premier disque de musique de film que j'ai acheté, un 33 tours. Je n'ai eu de cesse ensuite d'essayer d'en savoir plus sur ce que c'était cette musique de film qui nous apporte des informations qui ne sont pas dans les images. Voilà comment est née ma passion de la musique de cinéma, grâce à Ennio Morricone, le premier qui m'a révélé cette chose-là. J'ai maintenant plus de 90 vinyles de lui. Il a été la base de tout pour moi. Puis je me suis intéressé au reste, mais il est le détonateur et le fil rouge. Par la suite, je me suis toujours intéressé à lui un peu plus qu'aux autres, même s'il y a beaucoup de compositeurs que j'aime et que j'essaie de connaitre en profondeur, mais lui est un des meilleurs au monde, un des plus talentueux, originaux, larges, productifs.

Est-ce que là encore vous avez puisé dans des interviews faites en 2002 pour le livre ?

V.P : Quand j'ai interviewé pour le livre des metteurs en scène, avec Lautner on a parlé de Philippe Sarde, avec Jacques Perrin de Bruno Coulais, avec José Giovanni de François de Roubaix, avec Labro on parlait de Michel Colombier, et à chaque fois, sans savoir que j'allais faire ce film un jour, lorsqu'ils avaient collaboré au moins une fois avec Morricone, je leur posais la question. A un moment, j'ai fini par me retrouver avec une masse de documents, alors que ce n'était pas ma problématique de départ, je faisais un livre sur le cinéma français. Depuis, Alain Corneau nous a quitté, Jacques Deray, José Giovanni, Francis Girod, également. Si j'avais voulu faire ce film il y a deux ans, je me serais retrouvé avec de grands absents, alors que là ils m'ont offert des témoignages et des anecdotes grandioses.

Comment avez-vous obtenu l'interview de Ennio Morricone ?

V.P : Un jour, à Cannes, quelques mois avant son concert au Palais des congrès, à l'initiative du Fond d'action Sacem, Ennio était là pour un concert en marge du Festival. Il se trouvait que je connaissais le producteur Xavier Garnault qui allait produire son concert du Palais des Congrès. Je lui ai donc demandé l'autorisation de filmer la répétition et le concert, sans savoir à quoi cela allait me servir, mais je ne pouvais pas passer à côté. Et ce matin-là, la veille du concert, je décidais de demander l'impossible : un entretien avec Ennio Morricone. Merci Xavier ! Son agent voulait savoir ce que j'allais lui demander, j'ai répondu "son souvenir du cinéma français et des réalisateurs français avec lesquels il a travaillé". J'ai eu l'idée le matin même. Mon cameraman Bertrand était là. L'agent m'accorde un quart d'heure avec le maestro. 

Ce diable de Morricone m'a tendu des pièges lors de l'interview. A certains moments il faisait semblant de ne plus se souvenir d'une chose pour voir si je suivais la conversation, et si j'étais capable de répondre, car je ne peux pas imaginer qu'il ait oublié le nom de Philippe Labro ou le titre du film ESPION LÈVE-TOI. C'est d'ailleurs dans le film. Je suis certain que si je n'avais pas été capable de répondre, il aurait terminé l'entretien. Je crois qu'un bon contact est passé entre nous, il a senti que j'étais passionné, et on a tourné 45 minutes au lieu de 15. On a donc pu aborder tous les aspects, il m'a fait toute la structure du film.

On apprend en regardant le film qu'Ennio Morricone avait une grande estime pour Yves Boisset...

V.P : Ce n'était pas évident au départ. Ce ne sont pas des musiques faciles, L'ATTENTAT est une partition exigeante. Il explique comment il a imaginé cette musique, et Boisset explique d'où est venue la musique d'ESPIONS LÊVE TOI. Ils se sont bien entendus. Il est quand même formidable quand on rencontre les gens qui ont été à l'origine de la chose. Un témoignage est formidable lorsqu'il a été vécu par ceux qui ont travaillé les choses, quand on discute avec Boisset, Labro, Perrin, Lautner, Deray, Giovanni, Molinaro, (...), quand ils racontent comment ils ont senti les choses. Francis Girod raconte la démarche de Morricone face à Romy Schneider en laissant supposer que Morricone était extrêmement sensible au charme de Romy et qu'il faisait presque plus la musique pour elle que pour le réalisateur. On comprend que le thème de LA BANQUIÈRE soit si beau avec ce violon déchirant, car ça ressemble à une histoire d'amour.

En plus des témoignages, il y a aussi des extraits de film...

V.P : Le questionnement de Bruno Deloye était de pouvoir faire un film qui ne soit pas 52 minutes de bavardage pour parler de musique mais comment on allait pouvoir en entendre, d'autant que les extraits de films coûtent chers, même pour une chaine du câble. C'est un petit budget, on a tout mis dans l'image sans gagner d'argent, tout le budget a été mis dans la production pour avoir un maximum d'extraits des scènes dont parlent les réalisateurs. Le film est donc très illustré.

Il y a aussi une musique originale conçue pour le documentaire ?

V.P : Il faut rendre hommage à Patrick Martini qui a fait la musique originale du documentaire, je lui ai dit de ne surtout pas faire une musique "à la Morricone". Toutes les musiques qui ne sont pas dans les extraits de films, sont de lui. Il y a un thème que l'on a décliné, sur lequel j'ai souvent mis la voix off de la narration. Ce n'était pas facile d'écrire une musique sur un film consacré à un tel compositeur. Patrick s'en est bien sorti. C'est une sorte d'hommage d'un compositeur à un autre.

Pour conclure, vous qui travaillez à la radio, pensez-vous qu'il y a de la place à la diffusion de musiques de film ?

V.P : Je m'occupe de l'émission "Stop ou encore" sur RTL le samedi et dimanche matin, et j'y diffuse de la musique de film régulièrement. Il y a eu Francis Lai à l'occasion de la sortie du coffret, il y a eu Vladimir Cosma, Morricone, Legrand, un spéciale James Bond, toutes les occasions sont bonnes pour diffuser de la musique de cinéma. Et la plupart du temps, les réactions sont bonnes. C'est de l'instrumental alors les décideurs hésitent. Mais Morricone par exemple est universel !


 

 

 

 

 

INTERVIEW RÉALISÉE LE 25 SEPTEMBRE 2012 À PARIS PAR BENOIT BASIRICO

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