le mélodiste Francis Lai et sa Love Story avec le cinéma

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- Publié le 26-03-2014




Francis Lai était l'invité d'honneur du Festival d'Aubagne 2014. Alors que le nouveau film de Claude Lelouch, SALAUD ON T'AIME sort en salle, il nous raconte sa relation avec le cinéma. 

Interview Francis Lai

 

Cinezik : Comment définiriez-vous ce métier très particulier de compositeur pour le cinéma ?

Francis Lai : C'est un métier tout à fait particulier dans la mesure où il faut avoir une culture assez générale de toutes sortes de musiques, un éventail. Il faut être éclectique parce que chaque film a sa spécificité. Dans certains films, on a besoin d'un style de musique qu'on n'a pas forcément appris au conservatoire, mais qu'on a appris au fil des années en jouant dans des orchestres, au cabaret où l'on joue de la musique tzigane, classique, brésilienne... La musique de film est indispensable à l'image. Je trouve qu'un film sans musique serait comme s'il manquait un acteur. Certains réalisateurs utilisent la musique de façon tout à fait particulière de sorte qu'elle joue son propre rôle, comme un rôle d'acteur. Ce n'est pas quelque chose d'ajouté par-dessus pour souligner un effet. Il existe une forme de musique où l'on force les effets. Je m'attache plutôt à écrire des mélodies qui peuvent être ensuite transformées, passer du symphonique au jazz, pour pouvoir avoir des couleurs différentes dans un même film.

Quel regard portez-vous sur votre collaboration avec Claude Lelouch ?

F.L : J'ai le privilège de beaucoup travailler avec Claude Lelouch. J'ai fait son premier film. Il m'a donné la chance de faire UN HOMME ET UNE FEMME où la musique était toujours plus ou moins en contrepoint avec l'image. Elle prenait son importance. On a gardé cette formule depuis 40 ans. On continue toujours avec ce même principe. La musique est composée et enregistrée avant le tournage, avant la première image. J'écris ainsi la musique en fonction de l'histoire qu'il me raconte. C'est lui le chef d'orchestre puisqu'il  monte ensuite la musique sur ses images. Claude m'a dit que les acteurs ne jouaient pas de la même façon quand il y avait une certaine musique ou s'il n'y en a pas. Quand il y a des séquences assez romantiques ou assez tragiques, il met sur le plateau une certaine musique qui conditionne plus ou moins les acteurs. C'est un des rares à faire ce genre d'expérience.

Aviez-vous carte-blanche avec lui ?

F.L : J'étais totalement libre mais il a quand même ses petites idées dans la tête. Il les donne au compte-gouttes. Il laisse comprendre un tout petit peu dans quelle voie il voudrait aller. Par exemple, pour ITINERAIRE D'UN ENFANT GATE (1988), il voulait une musique de cirque symphonique. Il a fallu trouver des éléments qui marient ensemble l'orchestre symphonique avec la musique de cirque. C'est un challenge très intéressant.

Contrairement à votre collaboration très en amont avec Claude Lelouch, vous est-il arrivé d'intervenir à la toute fin ?

F.L : Oui, avec LOVE STORY (1970). D'ailleurs, je ne voulais pas le faire, car j'ai une peur bleue de l'avion. Je ne voulais pas aller aux USA pour faire les enregistrements. Il a fallu un coup de téléphone d'Alain Delon qui me disait "il faut que ce soit vous qui fassiez la musique". Le réalisateur a donc pris les bobines et est venu à Paris pour me montrer le film dans la salle de projection privée d'Alain Delon. J'ai trouvé très vite les premières notes du thème. Le film était donc terminé.

Votre musique ayant cette force mélodique, vous est-il arrivé qu'un réalisateur ait peur que la musique prenne une place trop centrale dans son film ?

F.L : Alors oui, mais c'est un réalisateur qui n'aime pas la musique. Il va en plus la placer à l'endroit où son image est forte justement. Effectivement, si on met la musique sur une image forte, elle ne sert plus à rien en fin de compte. La musique doit plutôt servir de fil rouge.

Une partie de votre métier réside dans l'emplacement de la musique. Avec Claude Lelouch, contribuez-vous à ce travail ?

F.L : Non, il sait exactement les endroits où il veut placer la musique. Sa méthode est toute simple : la musique est enregistrée avant le tournage, il part en week-end et écoute la musique en voiture. Au fur à mesure, il a les images qui correspondent. A la fin, il sait déjà exactement où il va placer la musique. Je le laisse faire à 100%. Mais au départ, il me faut trouver une mélodie qui soit facile d'accès, tout en étant originale. C'est toute la difficulté. Il faut une musique différente pour chaque film, avec une couleur différente, si on veut que la musique serve à quelque chose.

Comment considérez-vous vos collaborations avec les orchestrateurs ?

F.L : La rencontre avec Christian Gaubert a été formidable. Il avait fait une orchestration sur une de mes chansons. J'avais trouvé tout de suite que c'était la sensibilité qui me convenait. J'ai fait UN HOMME ET UNE FEMME (1966) quasiment tout seul, grâce à un accordéon électronique. Mais ensuite, sur VIVRE POUR VIVRE (1967), j'avais besoin d'un grand orchestrateur. A partir de là, on a fait une quarantaine de films ensemble. Il est très fidèle. Je fais des maquettes assez élaborées. J'ai un home-studio avec tous les éléments qu'il faut pour préparer le thème. Dés que j'ai l'aval de Lelouch, j'appelle Christian qui orchestre avec un immense talent. Il amène sa patte, c'est un plaisir de travailler avec lui. J'ai travaillé avec d'autres orchestrateurs également, comme Jean Musy avec lequel ça collait très très bien aussi. C'était une autre couleur. J'ai même eu la chance d'avoir Gabriel Yared (Ndlr : pour UN AUTRE HOMME, UNE AUTRE CHANCE, 1977). Dans le dernier film que j'ai fait avec Claude, Christian a une part de compositeur. On a écrit ensemble une pièce de 13 minutes. C'est la pièce maîtresse du film. Laurent Couson a écrit un morceau seul, pour une séquence où il est filmé. Il est également acteur comme dans "Ces amours-là".

Justement dans ce dernier film, SALAUD ON T'AIME, quel rôle joue la musique ?

F.L : Elle a un rôle assez important. Mais il n'y a pas que de la musique originale. Il y a aussi une chanson de Georges Moustaki, Louis Armstrong, Fitzgerald... le film convoque la passion pour le jazz de Johnny et d'Eddy Mitchell qui jouent, sans chanter. Ce sont deux copains, comme dans la vie d'ailleurs. Ils sont époustouflants. J'étais sidéré de voir à quel point Johnny était un bon comédien.

Quels sont vos choix en dehors des films de Claude Lelouch ?

F.L : Je ne veux faire que ce qui me plaît. J'ai ainsi fait trois films coréens (ndlr : notamment A L'OMBRE DE TON PARFUM de Sungsil Kim). J'aime travailler pour d'autres univers. J'en suis à 140-150 films. J'ai un peu fait le tour. Les choses qui m'intéressent sont celles que je n'ai pas faites. Avec les réalisateurs asiatiques, c'est une expérience nouvelle. Le cinéma coréen est très violent, ils pensaient que ma musique pouvait adoucir quelques scènes violentes de leur film. Ils sont venus me montrer leur film à Paris. Je leur ai envoyé ensuite des MP3. Dans les derniers films coréens que j'ai faits, j'ai pris un chanteur anglais. On a fait un mariage un peu bizarre entre des samples traditionnels coréens et des instruments traditionnels. Chaque fois qu'il y a quelque chose de nouveau qui arrive, je suis partant ! Dans le prochain Lelouch, le thème principal sera accompagné avec de la musique électro. Sans pour autant faire des choses que je ne sais pas faire, je reste un mélodiste. J'aime bien partir dans un mélange avec l'électronique, mais s'il faut faire des musiques athématiques, je ne sais pas trop.

Interview réalisée à Aubagne le 18 mars 2014 par Benoit Basirico
Dans le cadre du Festival d'Aubagne 2014
Merci à Alice Mazé pour la retranscription.

 

 


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