Interview Christian Carion : son épopée avec Ennio Morricone

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- Publié le 03-11-2015




Pour EN MAI, FAIS CE QU'IL TE PLAÎT, Christian Carion retrouve le film de guerre après "Joyeux Noel" pour lequel il avait fait appel à Philippe Rombi. Cette fois-ci, il a fait appel à l’illustre compositeur italien Ennio Morricone qui retrouve le cinéma français 33 ans après LE MARGINAL. 

Interview Christian Carion

 

Cinezik : Quel est votre rapport à la musique ?

Christian Carion : Dans ma campagne natale, les cours de musique correspondaient au fait d'écouter des disques, voilà le niveau ! Je le regrette car j'aurais aimé pouvoir jouer d'un instrument. C'est le cinéma qui m'a amené à la musique. Je me souviens que "Soleil Vert" m'a ouvert à Beethoven et à la 6e symphonie. Kubrick aussi m'a amené au classique. C'est ce que j'aime bien au cinéma, c'est un art populaire qui permet d'ouvrir aux autres arts. La peinture ne peut pas ouvrir sur la musique ou alors il faut une culture musicale assez conséquente. Le cinéma peut permettre ça. Le cinéma et la musique vont ensemble. Il y a quelque chose d'intime. J'écoute par exemple énormément de musique pour écrire. Je m'en nourris.

Pour votre premier film UNE HIRONDELLE A FAIT LE PRINTEMPS (2001), vous aviez commencé une collaboration avec Philippe Rombi... Vous n'avez pas fait comme Kubrick en plaçant des musiques preéxistantes...

C.C : J'ai mis du temps à trouver Philippe Rombi à l'époque. Il a amené quelque chose qui me paraissait juste pour le film, donc je me suis embarqué avec lui. Puis on a fait JOYEUX NOËL (2005) ensemble. Ce ne sont pas des films sur lesquels j'aurais pu coller des choses existantes. De plus j'aime l'idée de pouvoir avoir quelqu'un qui apporte quelque chose d'autre. Par exemple, sur EN MAI, FAIS CE QU'IL TE PLAÎT, il y a des choses existantes, on ouvre sur du Schubert, mais c'est assez rare finalement dans ma filmo. J'aime le côté "imaginé et conçu pour".

Comment s'est présenté le choix de Ennio Morricone pour EN MAI, FAIS CE QU'IL TE PLAÎT ?

C.C : Philippe Rombi était le premier désir mais il était sur un autre projet qui s'est enlisé. Il était compliqué pour lui d'être disponible pour nous. C'est quand même lui qui au départ a composé le thème de la cornemuse. Je travaille pour la première fois avec la monteuse (Laure Gardette) même si on se connaît depuis longtemps. Elle a besoin de musique pour monter, et comme on n'avait rien, je lui ai proposé de prendre la musique que j'ai eu en tête pour écrire, comme une béquille, il fallait trouver autre chose ensuite. C'est toujours dangereux de puiser dans des musiques préexistantes, mais là on n'avait pas le choix. Et c'était donc des musiques de Morricone (Il était une fois dans l'ouest, Mission...). Cela marchait super bien ! Et le producteur s'est demandé pourquoi on irait pas demander directement à Morricone. C'est un peu par culot et beaucoup de naïveté que cela s'est fait. Et Morricone de son côté avait peut-être envie de faire autre chose, car il continue de travailler tout le temps, mais essentiellement pour les italiens. Il avait peut-être envie de se changer les idées.

Quel était votre lien avec la musique de Ennio Morricone avant de le rencontrer ?

C.C : Morricone est pour moi plus qu'un compositeur de cinéma, c'est LE cinéma. Il est dans l'ADN mondial du cinéma, de par tout ce qu'il a fait depuis tant d'années. C'est là qu'est sa force, sa musique EST du cinéma, il n'y en a pas beaucoup qui sont dans cette catégorie. On l'écoute et on est au cinéma. Il sait faire ça. Je me souviens qu'un de mes premiers 45-tours était "Il était une fois dans l'Ouest" avec la pochette et ces types avec leur long manteau de dos et le petit enfant devant. J'ai pensé à cette pochette quand j'ai pris l'ascenseur pour monter chez lui, et je me suis dit dans l'ascenseur qu'il ne fallait plus penser à ça. Sinon j'étais suis foutu ! J'avais une expérience qui m'a aidé. Je me suis souvenu D'UNE HIRONDELLE A FAIT LE PRINTEMPS avec Michel Serrault, c'est-à-dire un monstre sacré. Je me suis alors dit que si je commençais à penser à tous les films qu'il a fait je ne saurais pas le diriger pour jouer le personnage. Là, je me suis dit qu'il fallait que j'oublie les musiques de Morricone pour vraiment discuter avec lui.

Y a-t-il une méthode Morricone, et comment avez-vous fait avec elle ?

C.C : Il m'a engueulé quand je l'ai reçu, gentiment mais quand même, car il ne travaillait pas comme je voulais. Sa méthode : il voit les gens avant qu'ils ne tournent, on lui raconte le film et tout est composé et enregistré avant le démarrage du tournage. Mais moi j'arrivais trop tard. Finalement, il accepte de voir le film monté tel qu'il est aujourd'hui, avec les musiques qu'on a utilisées au montage, certaines sont de lui, mais pas toutes. Par exemple, au début du film il y a du Hans Zimmer "La ligne rouge". Il se tourne vers moi pendant la projection et me dit que c'est mauvais, que ça ne marche pas du tout avec la séquence. Le film continue, il ne bouge pas et au bout de deux heures il se retourne et je vois que l'émotion du film est passée, il est touché. Il me dit qu'il va le faire.

Quelle a été sa premiere sensation et intention pour la musique du film ?

C.C : Il me dit que ce n'est pas un film de guerre, il ne voulait plus faire de film de guerre. Il me dit "c'est un film qui se passe pendant la guerre mais ce sont des gens qui cherchent la paix, donc je vais écrire la musique pour ces gens-là et donc pour les moments de bataille je n'ai rien à dire". Il se met alors au piano et me joue un thème que la lecture d'un résumé en italien du film lui avait aspiré. Je l'ai d'ailleurs filmé pour avoir dans mon iPhone sa première proposition pour que je puisse m'y habituer. J'ai tout de suite senti aux premières notes que c'était du Morricone, mais que ce n'était pas une resucée de quelque chose. Je ne connais pas tous les Morricone, ses 500 films, mais je sais cela me paraissait nouveau. Je me disais qu'il n'était pas en train de me sortir des trucs qu'il n'avait pas pu refiler sur un autre projet, ce qui lui est déjà arrivé.

Il s'est donc bien mis au service du film ?

C.C : Oui, mais en même temps il me demandait de lui faire confiance en me disant qu'il travaille dans son coin et que c'est au studio qu'il me ferait écouter sa musique, pas une maquette, en direct avec tous les musiciens ! J'allais donc me retrouver dans la cabine à écouter sa musique jouée en live et ensuite il reviendrait me voir pour me demander ce que j'en pense, c'est l'enfer ! Et si ça me plaît pas, qu'est-ce que je fais ? je n'avais pas le choix.

Vous n'aviez aucune latitude sur la musique qu'il proposait ? C'était à prendre ou à laisser ?

C.C : Pas tout à fait. Par exemple, lors d'une séance, il me joue un thème et il y a un instrument que je n'aime pas particulièrement, le cor. Il y a un passage où les cors sont très présents donc je lui dis, il paraît étonné, retourne voir ses musiciens, va voir le pupitre des cors, ils sont quatre qui se retournent vers moi, le regard qui tue ! Puis après il va voir chaque chef de pupitre, discute avec chacun, corrige des choses à la gomme et au crayon, puis rejoue le morceau. Et il n'y avait plus de cors !

Il a donc su s'adapter...

Carrément !

Quel temps aviez-vous pour votre travail avec Ennio Morricone ?

C.C : J'avais besoin de digérer tout ce qu'il me donnait, mais il n'avait qu'une semaine de disponible puisqu'il fait aussi des concerts. Il y a eu deux jours d'enregistrement, deux jours de mixage et deux jours de montage. Il me demande donc de réfléchir dans ce temps-là. Mais bien après, au début 2015, il m'appelle, me souhaite la bonne année, et me dit qu'il a pensé à un thème sans savoir où on le mettrai. Il faisait huit minutes. Je suis tombé à la renverse ! Huit minutes c'est long ! En l'écoutant, je me suis pris une vraie claque ! C'est le boléro de Morricone ! Quelque chose qui démarre doucement et qui monte en ajoutant des éléments et cela devient sensationnel !

Avec la monteuse image et le monteur son on s'est enfermé dans un appartement avec des pizzas. On a fait glissé le morceau dans le film pour voir, et à un moment ça a accroché. C'est quand l'institutrice fait réciter La Fontaine aux enfants pour qu'ils ne voient pas les gens morts en contrebas. La musique prend soudain un sens, c'était magique ! Le lendemain, je lui montre, et il me dit qu'il avait pensé à ça aussi ! (Rires). Il est malin. C'était validé quelque part. Car à un moment donné il faut discuter avec lui.

Sur le tard, je lui ai proposé de reprendre ce thème pour le générique de fin, et de ne pas garder celui qu'il avait proposé. Il s'est rangé à cette idée. Donc ce n'est pas un monolithe. Il a un ego, mais quand on a une proposition qui se tient, il y a toujours un intérêt supérieur qui est le film. C'est vraiment quelqu'un qui ne travaille pas pour lui. Je ne l'ai pas vécu comme ça. Il a vraiment travaillé pour le film ! Quand je lui ai proposé des choses qui allaient dans le sens du film, il disait OK.

Sa musique ne veut d'ailleurs pas prendre la vedette, elle sait aussi se faire discrète... Elle n'apparait d'ailleurs qu'au bout de 20 minutes de film...

C.C : Sa musique infuse progressivement, elle rentre doucement dans le film, sans tambours ni trompettes. Elle pose des choses, nous prend un peu par surprise. D'ailleurs, il a composé un morceau qui s'appelle "Respirations" dans le disque pour lequel il a fait une chose qu'il n'avait jamais faite avant (m'a t-il dit) : écrire une musique avec des pauses et des reprises. Il était content d'avoir eu l'occasion de le faire. Le film respire en dessous de la musique. La musique n'étouffe pas. À monter, au mixage son, c'est juste jouissif. Morricone c'était juste le meilleur choix que je puisse faire ! Et ce n'est pas contre Philippe Rombi ou qui que ce soit que je le dis. Je m'étais dit que j'allais faire un western, j'ai écrit en écoutant Morricone, et à l'arrivée c'est Morricone ! Qu'est-ce vous voulez que je vous dise... J'aimerais bien trouver les moyens pour pouvoir revivre quelque chose d'aussi fort avec lui.

Interview réalisée à Paris en octobre 2015 par Benoit Basirico

 


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