Cinezik : On a pu découvrir en 2006 votre premier long-métrage, J'INVENTE RIEN de Michel Leclerc, projeté en compétition au festival d'Aubagne 2007. Vous aviez déjà collaboré ensemble sur un documentaire : pouvez-vous nous parler de cette rencontre ?
Jérôme Bensoussan : Michel et moi nous sommes en effet rencontrés en 2000 par l'intermédiaire d'un ami commun qui connaissait notre travail respectif, et qui pensait que nous avions un univers artistique et créatif assez compatible. De fait, ça a immédiatement collé entre lui et moi ; Michel terminait le montage de son documentaire sur Jan Svankmajer (un cinéaste d'animation tchèque) et cherchait un compositeur pour la musique. Or, il avait monté ses images au début avec des oeuvres musicales dont il n'avait pas les droits, notamment des musiques de Pascal Comelade. À cette époque, j'officiais au sein d'un groupe appelé l'Attirail dont l'univers n'était pas sans rappeler Comelade ou Yann tiersen. C'est donc assez naturelement que j'ai pu proposer à Michel des musiques qui restaient proches de son univers initial. Plus tard, et fort de cette première experience, Michel qui entre temps est devenu un ami m'a confié la musique de son premier long métrage, J'INVENTE RIEN.
Quelle a été votre méthode de travail sur J'INVENTE RIEN ? A quel niveau Michel est-il intervenu et dans quelle mesure avez-vous eu les « pleins pouvoirs » sur la musique ?
Les pleins pouvoirs, je ne crois pas que cela existe, ce serait dangeureux. Même si Michel m'accordait une grande confiance et était toujours attentif à mes propositions, c'était avant tout lui le décideur du placement des musiques sur les séquences ; de plus, Michel est également musicien ce qui est très agréable pour moi car le dialogue se fait plus facilement, et il tenait à monter avec beaucoup de musiques au début. J'ai dû donc fournir très en amont des maquettes que je remplaçais au fur et à mesure de l'avancée du montage.
Vous avez expérimenté de nombreux instruments pour cette musique, dont certains que vous ne connaissiez pas : comment définiriez-vous cette musique ? Et comment avez-vous trouvé les textures, sonorités et instruments utilisés ?
Je suis un touche-à-tout quasi autodidacte ; je pratique principalement les instruments à vent (trompette, clarinette, tuba etc..) mais également un peu de percussions, de piano. Pour J'INVENTE RIEN, nous étions dans une économie de production serrée qui ne me permettait guère (à regret) d'embaucher d'autres instrumentistes (hormis Pierre Schmidt à la guitare), il m'a donc fallu tout interpréter seul une grande partie de la BO, ce qui fut un exercice ardu mais formateur.
Comment s'est passé l'enregistrement de cette musique ?
Pour les mêmes raisons d'économie restreinte, j'ai tout enregistré chez moi sur un Mac G5, avec de bons micros et un ampli. Dans son écriture comme dans sa réalisation technique, la musique de ce film s'est faite sous le signe de l'artisanat, mais ça ne me faisait pas vraiment peur car je crois que ça collait bien avec l'esprit et le propos du film lui-même.
Qu'est-ce qui vous a particulièrement inspiré sur ce film ?
J'aime beaucoup Michel, nous nous retrouvons beaucoup dans bien des domaines qu'ils soient artistiques, philosophiques ou politiques. Je retrouvais tout cela dans le scénario qui à mes yeux n'était pas une comédie française de plus mais une histoire avec des personnages décalés dont j'aimais la subversion.
Quel est votre meilleur souvenir de votre participation à ce projet ?
Deux jours avant de rendre les mixs finaux de la musique, mon ordinateur (quasiment neuf pourtant) est tombé en panne et je n'avais pas fait toutes les sauvegardes. Mon meilleur souvenir fut donc le moment où après un week-end entier à croire que 80 % de mon travail était définitivement perdu, un expert informatique a réussi à tout récupérer !!
Êtes-vous intervenu sur le travail du son ? Sur le mixage de la bande sonore ?
J'ai géré la musique de A à Z , y compris l'enregistrement et le mixage. A la toute fin, j'ai quand même eu recours à l'oreille aiguisée de mon ami Matthieu Ballet pour améliorer les mixs définitifs et le mastering.
D'autres projets avec Michel en perspective ? Peut-on s'attendre à une collaboration durable ?
Je l'espère. Michel prépare actuellement son deuxième long-métrage et peut-être fera-t-il à nouveau appel à moi.
Parlons maintenant de votre musique pour le film « Dans les cordes » qui sort en salles cette semaine : comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?
J'ai rencontré Magaly Richard-Serrano il y a quatre ans au moment où elle écrivait son scénario et recherchait un producteur. Elle me connaissait dans mon rôle de musicien de scène accompagnant des artistes aussi divers que Miossec, Ignatus, l'Attirail, Dominique A... Plus tard, je lui ai fait écouter des maquettes, des choses plus ou moins avancées que j'emmagasinais depuis des mois et qui parcouraient un éventail assez élargi dans les styles musicaux, mais avec le point commun d'être souvent propices à l'image. Ça allait de morceaux intimistes plutôt d'inspiration orientale à des choses beaucoup plus rock & roll, en passant par des orchestrations plus classiques de musique de film. Je crois que cette diversité lui a plu et elle m'a proposé de travailler sur DANS LES CORDES.
Quelle a été votre démarche de musicien sur cette histoire qui évoque la boxe au féminin ? Quel a été votre parti-pris ? Vous dites qu'il est très différent du film précédent…
Oui, musicalement d'abord. L'idée de s'orienter vers une « vraie-fausse BO pop-rock » s'est très vite imposée à moi. Ce film a pour cadre effectivement la boxe française féminine et le stéreotype aurait été de partir vers une musique hip hop par évidence. Or cette histoire est avant tout celle d'un destin, celui d'une jeune fille en quête de soi, évoluant dans un monde viril et sportif. J'ai donc conçu tous les morceaux en contrepied de cet univers dur. L'adoucir avec des chansons et des voix me paraissait intéressant et permettait d'ouvir des perspectives à ce personnage. On ne voulait pas utiliser la musique pour souligner tel ou tel évenement dramatique, mais pour lui attribuer un rôle intrinsèque.
Quant à la réalisation même de cette bo, l'expérience précédente (J'INVENTE RIEN) avait été enrichissante mais très solitaire aussi. Cette fois-ci, j'avais envie de m'entourer, de faire jouer ces morceaux par des musiciens que j'aime et que je connais depuis longtemps (Philippe Entressangle à la batterie, Olivier Mellano aux guitares, Nicolas Deutsch à la basse et au violoncelle). De plus, les capacités techniques en matière d'enregistrement et de mixage étant limitées, je tenais à travailler avec quelqu'un dont c'était le veritable métier : Matthieu Ballet, réalisateur de disques et mixeur de talent (pour Thomas Fersen, Alain Bashung, Arielle etc...).
Pouvez-vous nous décrire une anecdote ou une scène qui résume bien votre collaboration avec la réalisatrice sur ce film ?
Je suis passé souvent sur le tournage et il fallait la voir diriger de main de maître une équipe de cinéma pendant une scène de combat de boxe avec 200 figurants. Ça m'a vraiment impressionné...
Que vous apporte votre expérience de musicien de scène dans votre activité de compositeur pour le cinéma et inversement ?
Chaque expérience artistisque nourrit la suivante, entre en interaction. J'accompagne Dominique A depuis trois ans et c'est une grande joie. Venant à mes débuts d'un groupe d'inspiration balkanique (L'atirail), je n'imaginais pas dix ans plus tard accompagner des artistes plutot étiquetés rock ou pop (Miossec, Dominique A) et c'est cette diversité qui constitue la richesse de ce travail en commun. Et évidemment cela a des répercussions dans mes envies de composition.
D'autres projets à venir ? Des envies ?
Pour le moment, je termine la tournée de Dominique A jusqu'en juin 2007 et m'apprête à prendre mes premières vacances depuis trois ans ! Sinon j'adorerais écrire une musique de polar !
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