Interview Sacha Wolff & Luc Meilland / MERCENAIRE : « Le mélange de l’orgue et des conques raconte l'identité du personnage. »

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Propos recueillis à Paris le 3 octobre 2016 par Benoit Basirico - Publié le 05-10-2016




Avec MERCENAIRE (en salles le 5 octobre 2016), Luc Meilland a signé la musique du premier film de Sacha Wolff, une véritable odyssée musicale qui conte le parcours de Soane, jeune Wallisien qui brave l'autorité de son père pour partir jouer au rugby en métropole. La musique mélange les sonorités à l'image d'un personnage déraciné. Rencontre dans le cadre de la participation mensuelle de Cinezik à l'émission "Vive le cinéma" de Aligre FM.

 Ecoutez l'interview au sein de l'émission de radio :

Cinezik : Quel était le désir initial dans la création de MERCENAIRE ?

Sacha Wolff (à gauche sur la photo) : J'ai eu envie au départ de faire un film autour du rugby car ce sport n'est pas souvent exploité au cinéma. J'ai toujours adoré les films de boxe, comme « Fat City » de John Huston. « Rocco et ses frères » a aussi été un film très important dans la fabrication de celui-ci dans l'écriture. Et un jour, je lis un article qui parlait du quotidien des joueurs étrangers, essentiellement océaniens, dans les petits clubs amateurs de France. J'ai trouvé là un sujet à explorer. En faisant des recherches, j'ai rencontré un joueur wallisien, Paki, qui joue dans le film. Cette rencontre a été incroyable ! Les wallisiens sont français. Ils sont une part de l'identité française ultra-marine complètement méconnue. Ce sujet rejoignait mes préoccupations sur les questions d'identité, le sentiment d'être étranger au monde, et interrogeait le rapport colonial de la France envers les territoires d'outre-mer.

A quel moment la musique est intervenue dans le processus ?

S.W : La musique est intervenue dés l'écriture. Je connais Luc depuis presque 20 ans. On a fait nos études ensemble à 18 ans. On s'est rencontrés dans une école qui prépare au concours de la Femis et de Louis Lumière. Ensuite on ne s'est plus jamais quittés. On a même été colocataires quand on avait 19 ans. On a ensuite fait la Femis ensemble, la même année. J'ai toujours travaillé avec lui, que ce soit pour le montage son de mes films que pour l'écriture de la musique. Car Luc à cette double casquette qui m'intéresse beaucoup et qui me permet d'avoir avec lui une réflexion à la fois liée à la musique du film et au montage son.

Luc Meilland : Je fais en effet la musique et le son du film. J'ai fait un travail sonore préparatoire, notamment sur les coquillages. L'idée était de pouvoir me servir de cette matière. J'ai donc pu enregistrer avec le tromboniste plusieurs types de son. J'ai répertorié ainsi une sonothèque. Je me suis emparé de cette matière pour les retravailler en les ralentissant, en changeant leur octave, cela rentrait dans le travail d'écriture. Je mélange les jeux de flûte, d'orgue, de trompettes... Après, pour la bande-son générale, j'ai laissé faire le mixeur du film Édouard Morin qui choisissait les volumes de chaque élément. Un compositeur ne peut pas écouter de manière assez détaché pour juger de la pertinence de son placement. Mais je ne suis pas du genre à lâcher totalement l'affaire, j'ai quand même donné mon avis.

Quelle était l'intention musicale pour MERCENAIRE ?

S.W : Il n'y avait pas de note d'intention écrite mais il y avait beaucoup de conversations. On a travaillé sur le scénario. L'idée du film est même venue à deux. On a eu l'idée au départ de travailler sur une équipe d'adolescents et cela a évolué. Luc a joué au rugby quand il était plus jeune, donc j'ai beaucoup discuté avec lui, même au-delà de la musique.

L.M : La partition est multiple. J'ai commencé à y réfléchir alors que Sacha n'avait même pas encore fini son scénario. Il fallait pour les besoins du tournage composer plusieurs musiques, notamment les musiques de boîte de nuit. Il fallait même écrire la musique que l'on entend dans le stade de rugby pendant les matchs (jouée par une fanfare). J'ai donc commencé par ces musiques dites additionnelles. Pour le reste, ce sont des musiques très attachées à la géographie du film, dans un style océanien qui n'est pas pour autant ethnographique, car le film ne l'est pas du tout. L'idée était de rechercher des sonorités nouvelles qui illustrent ce continent un peu invisible par une orchestration particulière, singulière, avec l'utilisation de conques, des coquillages joués par un tromboniste. L'idée était de les mélanger avec un instrument beaucoup plus occidental qui est la clé de voûte de la musique du film : un orgue d'église.

S.W : Le film se déroule dans des univers très ritualisés. Il y a quelque chose de liturgique, la musique va dans ce sens par ce mélange entre un orgue (un instrument typique de la liturgie occidentale) et les conques qui ressemblent aux instruments à vent. Le mélange des deux textures raconte l'identité du personnage.

La musique dans MERCENAIRE a une place centrale, elle joue aussi les émotions par son lyrisme...

S.W : Pour moi, la musique au cinéma est cruciale. Cela vient sûrement de mon parcours et de mon histoire. Je viens d'une famille de musiciens. Mes parents sont instrumentistes, mon grand-père est chef d'orchestre. Finalement pour moi le cinéma était presque au départ un choix par défaut. J'étais au départ taillé pour faire de la musique mais j'étais très mauvais donc le cinéma était une manière de faire de la musique avec des images. Dans ce film, ce qui m'a beaucoup plu, c'était de travailler à la fois sur cette musique OFF qui apporte ce lyrisme, et en même temps de penser à la musique IN car il y en a énormément dans le film : les chansons traditionnelles wallisiennes, un air d'opéra chanté par un pilier du rugby à la fin d'un match... Il y a là l'idée d'une tragédie avec un choeur qui suspend le récit. On se permet des moments de pause musicale à l'intérieur d'un récit assez rythmé.

L.M : Il y a aussi le champ d'adieu de la grand-mère interprété par le personnage. C'est un chant militaire et en même temps une invitation au voyage, un chant d'adieu.

Pour tous ces chants, comment les avez-vous trouvés ?

S.W : Pendant le tournage nous avons enregistré énormément de musique. Le chant est une vraie tradition chez les wallisiens. On chante à tous les repas. Cette tradition se rapproche du blues. Il y a beaucoup de chants de travail. Avec l'ingénieur du son, on est restés sur les lieux du tournage pour enregistrer ces chants. On a aussi enregistré certains instruments, pour ensuite redonner ces sons à Luc pour qu'il puisse les réutiliser dans sa création. Le chant que la grand-mère interprète au début du film est quasiment un hymne wallisien. Pour la scène de l'enterrement, j'ai fait appel à un chanteur wallisien qui a l'habitude de chanter aux enterrements. Il a notamment écrit la chanson d'enterrement du roi de Wallis. Il a fallu que je lui explique et que je le convainque d'accepter d'écrire cette chanson, car à chaque fois qu'il chante pour les enterrements il y a souvent des conséquences dans sa famille, cela ne reste jamais anodin. Il a donc fallu lui faire comprendre que c'était une fiction. Sa chanson raconte au final l'histoire des personnages du film. C'est une chanson totalement écrite pour le film, mais dans la tradition des chansons d'enterrement wallisiennes.

Cette musique est un art du contrepoint car pour un enterrement, le chant est plutôt joyeux...

S.W : L'idée était de faire un film globalement assez noir, mais je voulais aussi faire exister des moments plus légers et des moments comiques. Une des références était Akira Kurosawa. Dans « La forteresse cachée » il y a toujours des personnages paysans comiques. Il y a toujours un peu de bouffonnerie. Cela permet de complexifier l'univers, de le rendre vivant. Pour moi les choses ne sont pas toutes noires ou toutes blanches, elles sont complexes. L'idée était aussi de faire exister une douceur à travers ce personnage qui pèse 120 kg, de casser les idées reçues sur les rugbymen qui sont également des hommes extrêmement sensibles.

 

 

Propos recueillis à Paris le 3 octobre 2016 par Benoit Basirico

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