Cinezik : Patrice Leconte, quelle place accordez-vous aux compositeurs dans votre cinéma ?
Patrice Leconte : J'essaie au maximum sur mes films de choisir le compositeur et de concevoir avec lui la musique avant même de tourner, en pleine préparation, au moment du scénario même, parce que j'ai vraiment besoin qu'il y ait une adéquation entre le film que je vais faire et à quel compositeur je vais proposer la musique.
Il m'est arrivé plusieurs fois de faire des films entièrement "musiqués" sur des musiques existantes, et j'ai été heureux comme jamais, je ne dit pas cela contre les compositeurs, mais simplement car j'avais une liberté d'écouter, de choisir, d'essayer, de tourner certaines séquences avec la musique dans l'oreille, de même la diffuser sur le plateau, cela permettait de créer un patchwork qu'aucun compositeur n'aurait pu composer.
Je ne suis pas en train de dire que la musique de source est mieux que la musique originale, ça dépend des projets, mais ce que j'essaie de faire désormais, ce que j'ai fait avec LA GUERRE DES MISS, ce que je mets en place avec les compositeurs, c'est d'arriver à travailler avec un compositeur de musique originale comme si c'était une musique de source. C'est pour cela que j'essaie de mettre sur les bons rails le compositeur dés le début. Et ensuite au montage j'ai en quelque sorte une musique "originale" pré-existante, temporaire, à retravailler, j'adore ça.
Par ailleurs, autant on peut travailler toujours avec la même monteuse, si on a confiance en elle, car une très bonne monteuse est capable de monter une comédie comme un film d'action, autant je ne crois pas qu'un compositeur, aussi talentueux soit-il, soit à ce point à géométrie variable, qu'il puisse faire toutes les musiques possibles. Un compositeur qui en serait capable manquerait singulièrement de personnalité. Je reçois assez souvent de demo de compositeurs qui me présentent leur travail, j'écoute toujours attentivement, les seuls disques qui me plaisent sont ceux qui présentent une ou deux directions. Un compositeur qui veut me montrer qu'il sait faire une musique de western, puis une musique sentimentale, "regardez je sais tout faire Mr Leconte" en me présentant l'arc en ciel complet, généralement cela ressemble à tout et à rien, cela ne m'intéresse pas. Un compositeur ne peut pas tout faire, je ne crois pas.
C'est pour cela que sur LA GUERRE DES MISS, il y a une cohérence en fonction du talent, de mon amitié et affection envers Etienne, je trouvais que c'était extra de faire ce film avec lui. Mais le prochain on ne va pas le faire ensemble et on se retrouvera sur celui d'après car il est pour lui. Il faut que ce soit cohérent.
Vous dites qu'un compositeur ne sait faire qu'une seule chose, mais la musique d'Etienne pour DOGORA n'a rien à voir avec celle de LA GUERRE DES MISS...
PL : C'est vrai que la musique Brass band avec une formation de cuivres de LA GUERRE DES MISS est différente de celle de DOGORA, mais je trouve qu'au fond, dans l'âme de la musique, il y a un fond commun qui ne m'échappe pas, même si on est dans un registre très différent c'est entendu.
Quelle est l'origine du projet de LA GUERRE DES MISS ?
PL : La naissance de ce film est très simple, c'est un scénario qui existait, que je n'ai pas écrit et qu'on m'a proposé en me disant que Benoit Poelvoorde avait déjà donné son accord pour ce scénario. Je rêvais depuis longtemps de travailler avec lui qui est un acteur que j'adore, donc j'ai lu le scénario que j'ai beaucoup aimé car j'aime cette ambiance provinciale, l'étant moi-même, et cette élection de miss m'enchantait.
Concernant la musique, il s'agit donc d'un brass band, une sorte de fanfare, mais il s'agit tout de même d'une véritable partition travaillant les timbres et la mélodie...
Etienne Perruchon : L'idée est de trouver la bonne couleur qui correspond à la bonne humeur. Comme le réalisateur doit trouver les bons costumes, le bon cadre, le casting, la photo, le décor, la musique en fait partie.
Et tout de suite nous est arrivé l'idée du Brass Band, car c'est en effet un orchestre, qui pourrait presque jouer toutes les émotions, mais par sa couleur et sa forme, il colore ce qu'il joue de manière populaire et sincère.
Dans le film, il y a une scène un peu terrifiante la nuit, où le personnage a vraiment peur, et il fallait le jouer très premier degré. Dans un Hitchcock il y aurait eu des cordes, là c'est le Brass band qui joue, c'est ce qui est drôle, car même le Brass band y croit. C'est ce qui nous a plu, d'être tout le temps, tout le film, avec ce son là, un peu comme s'il y avait un orchestre dans la fosse qui joue comme au premier temps du cinéma le film en direct.
Il y a eu des musiques composées avant l'image, en tournage, et la monteuse Joëlle Hache et Patrice ont synchronisé le film dessus, puis j'ai retouché quelques musiques ensuite. C'est à double sens. Quand on commence à bien savoir composer à l'image, on écrit trop bien à l'image, et ça peut être dangereux pour le film, donc on s'est dit qu'il fallait d'abord que la musique soit belle, que le thème soit joyeux, et ensuite on synchronise tout ça. Donc chaque thème a été composé non synchrone, et ensuite chacun a été placé sur le film.
Patrice Leconte, revenons sur votre collaboration avec Michael Nyman, quel compositeur était-il pour vous ?
PL : Quitte à faire une peine folle à Etienne, j'ai adoré travailler avec Michael Nyman, c'est un autre univers, c'est anglais, élégant, émouvant. Il a écrit MONSIEUR HIRE à l'image, sans pléonasme, puis on s'est retrouvé sur LE MARI DE LA COIFFEUSE, et sur ces deux fois, d'aller le voir à Londres, d'assister aux étapes musicales, j'ai adoré travailler avec cet homme là, car c'est une bonne personne, qui a une élégance à la limite du snobisme. Je connaissais par coeur son travail pour Peter Greenaway, sa partition pour "La Leçon de piano" me fait tomber à la renverse. Ce n'est pas une rencontre et une collaboration anodines.
Quels seront vos prochains films ?
PL : Le prochain sera sombre, crépusculaire, un thriller assez noir, dont Etienne ne fera pas la musique, j'ai pris les contacts de Philip Glass avec qui j'aimerais travailler. Et le film suivant sera une comédie musicale assez ambitieuse, et populaire en même temps, et pour lequel je reviendrai vers Etienne Perruchon.
Il me semble avoir lu que vous arrêterez ensuite le cinéma ?
PL : Je vais continuer à être créatif mais je ne vais plus tourner de long métrages de fiction.
EP : Il n'y a pas que le cinéma pour faire du travail d'auteur et de compositeur...
PL : Et Etienne a écrit une opérette, qu'on va monter ensemble, ça va être sensationnel, ça s'appelle "Le lecteur du lavomatique", et c'est une pure opérette moderne. Donc c'est vrai qu'il n'y a pas que le cinéma pour continuer à travailler ensemble.
Interview B.O : John Williams par Jean-Christophe Manuceau (auteur, L'Oeuvre de John Williams)