Cinezik : Vous étiez au départ guitariste pour la scène rock où vous avez joué avec une cinquantaine de groupes... est-ce pour ce style identifiable que vous avez travaillé pour le cinéma, le théâtre, la danse et même la littérature ?
Olivier Mellano : Les gens du théâtre viennent souvent me demander de travailler avec eux pour ce que je fais en tant que guitariste. Tandis que dans le cinéma, on va plutôt chercher des couleurs différentes, trouver la bonne matière pour le film, donc je ne suis pas forcément guitariste pour cela, comme les pièces d'orgue écrites pour Katell Quillevéré (UN POISON VIOLENT, 2010). J'aime composer pour d'autres instruments, des quatuors à cordes, des symphonies... L'intérêt sur un film est de trouver le bon matériau sonore et le bon timbre qui vont résonner avec le propos et l'intention du réalisateur.
Quelle a été l'intention pour LA JEUNE FILLE SANS MAINS ?
O.M : C'est le troisième film que je fais avec Sébastien Laudenbach après deux court-métrages, et on n'est en train de préparer un prochain film. Avec lui, on a toujours travaillé autour de la guitare. On s'est rencontré quand il a vu mon ciné-concert sur "Duel" (Spielberg). Il a un rapport à la musique qui est très lié à la guitare. C'est souvent une demande de sa part d'être en phase avec cet instrument. On a travaillé de manière très légère. De la même manière qu'il travaille seul sur les dessins, il voulait retrouver avec la musique un geste simple. On s'est retrouvés devant le film, avec ma guitare, en construisant les thèmes en improvisant. Sur un film précédent, on avait fait la musique en une journée en improvisation. C'était le deal. On a cette façon de travailler ensemble très instinctive, très légère et assez brute. On se connaît bien maintenant, donc je sais ce qu'il attend de moi et je sais où j'ai envie de l'emmener. Cela se fait de manière simple, s'entendant très vite sur l'essentiel. C'est limpide. Mes propositions lui conviennent assez systématiquement, ce qui ne veut pas dire que l'on retravaille pas les choses. On cherche ensemble. Je ressens cette limpidité quasiment comme une carte blanche. Il me fait une grande confiance, et je trouve son travail admirable.
Avait-il des indications musicales précises ?
O.M : Il voulait un thème pour le prince, un thème pour la jeune fille qui est le chant sifflé qui revient par ci par là. Sur un long métrage, ce travail thématique permet de donner des signaux et quelques points de repères. Le thème, l'histoire, l'énergie, et l'image de la jeune fille sans mains impliquent deux pôles, à la fois quelque chose d'assez apaisé, lumineux, et quelque chose de très noir et très sombre. Le film est un long duel entre ces deux forces.
Le film se termine avec la chanson "Wild Girl"...
O.M : C'est une chanson de Sébastien. Il est arrivé avec sa guitare acoustique, il a écrit le texte et a chanté cette chanson. Je l'ai réarangée, restructurée avec des guitares et c'est Laetitia Sheriff avec laquelle je travaille par ailleurs qui est venu la chanter. Sébastien joue la guitare acoustique à la toute fin du morceau et c'est lui qui siffle. Il a plusieurs talents. Ce n'est jamais un problème de travailler avec des gens qui n'ont pas le vocabulaire musical, c'est même presque mieux, on passe par d'autres chemins moins techniques. Quand on parle de musique avec Sébastien, il n'y a pas forcément un langage technique entre nous, on parle d'un autre endroit qui est plus poétique est abstrait.
Quel est le rôle de la musique dans le film ?
O.M : La musique doit être un éclairage, un halo sonore de l'image, emboîter le pas à la poésie de l'image. C'est ainsi que je vois la musique, dans le fait d'être vraiment au service du film, de manière à ce que la musique ne s'entende pas forcément. Je la vois comme une matière explosive qui peut très vite amener du pathos ou beaucoup de sens, donc c'est très compliqué surtout sur ce type d'histoire à la dramaturgie forte de ne pas trop en rajouter. L'idée n'est pas tant d'être neutre mais d'être dans la juste retenue. Le travail est d'essayer de retenir beaucoup de choses, pour rester juste, et de se fondre pour que cela ne fasse qu'un seul objet. Il y a une trajectoire d'un endroit à un autre, ce sont des impressions narratives, qui ne racontent pas mais guident. Il y a aussi sur LA JEUNE FILLE SANS MAINS le travail du designer sonore, Julien Ngo-Trong, qui est très important car la musique et les sons se rejoignent à certains moments. On ne sait plus ce qui est de l'ordre de la musique ou du son. C'est un tout.
Pour JAMAIS CONTENTE, portrait d'une adolescente désabusée qui s'émancipe de ses parents en chantant dans un groupe de rock, vous reprenez votre guitare...
O.M : Ils avaient commencé à travailler avec le groupe de rock américain Black Rebel Motorcycle Club pour les chansons du film. Ils voulaient que je reprenne la suite. Émilie Deleuze avait des idées très précises de ce qu'elle voulait, c'est à dire des choses très rock. La collaboration s'est faite très simplement. On était d'accord sur tout. La commande était simplement de faire des morceaux assez rock, avec le trio guitare/basse/batterie, un peu dans la lignée de ce qu'elle avait déjà entamé avec les morceaux de Black Rebel Motorcycle Club. L'inspiration provenait de mon background rock 'n' roll, avec tous les groupes que j'ai faits, et que je continue un peu à faire, du pop rock un peu noisy, des choses eighties comme The Jesus and Mary Chain. C'est aussi ce qu'Emilie avait en tête, on a un peu les mêmes goûts musicaux.
Quel est le rôle de la musique dans ce film pour la réalisatrice Émilie Deleuze ?
O.M : Elle savait très bien ce qu'elle voulait. Son idée était d'être sur une énergie adolescente, avec cette ado en rébellion. Il y a des choses assez sombres, mais toujours avec de la lumière au-dessus. C'est aussi ce que j'essaie tout le temps de faire avec ma musique, de partir d'une base qui semble un peu noire mais il y a toujours une lumière qui en sort.
Les réalisateurs vous choisissent donc pour votre style propre ?
O.M : Quand les réalisateurs viennent me voir, c'est en général parce qu'ils connaissent ma musique, qu'ils ont entendu des choses qui leur plaisaient. Ils ne vont pas se dire que je peux faire autre chose, comme du tango. Même si je pourrais très bien le faire. Mais ça ne m'intéresserait pas de faire des musiques sur des recettes dramatiques de blockbusters. S'il y a un axe artistique à chercher, ça m'intéresse. Et cela ne veut pas dire que ce soit toujours avec de la guitare, cela peut être des instruments classiques.
Vous pourriez écrire pour un grand orchestre ?
O.M : J'ai déjà composé une pièce symphonique, en 2012. Je travaille beaucoup avec les instruments classiques. C'est une chose que je fais régulièrement dans le cadre de la musique pure. Pour le court-métrage "L'Existence selon Gabriel" de Chiara Malta que je viens de faire on a travaillé avec des cornemuses et des bombardes, des instruments très particuliers aux sonorités étranges. Puis sur un prochain film d'Isabelle Rebre autour de Charles Pollock, le frère de Jackson Pollock, on est sur une instrumentation jazz, même si ce ne sera pas du jazz pur. L'idée est à chaque fois de trouver l'identité sonore.
Que pensez-vous des musiques de films en tant que spectateur ?
O.M : Je suis souvent très déçu par ce que j'entends aujourd'hui. Je trouve que tout se ressemble, ce sont des recettes, les bande-sons n'ont plus beaucoup de singularité. J'ai souvent l'impression que les réalisateurs et producteurs ont peur de l'étrangeté. Les grands films sont souvent liés à un binôme avec un compositeur, même si pour moi il y a toujours plus de satisfaction d'être dans la musique pure. En tant que musicien, mon endroit est celui de l'abstraction totale, où la musique n'est au service de rien du tout. C'est le plus bel endroit possible. Mais après, c'est magnifique de trouver des partenaires dans le cinéma ou dans le théâtre, avec qui on va dans le même sens, où à partir de deux objets on en fait qu'un seul. C'est quelque chose de passionnant, c'est une rencontre humaine à chaque fois, toujours très réjouissante.
Panorama BO : Clint Eastwood, les véritables héros de son cinéma [Podcast]