Interview Vladimir Cosma : 'Presque chaque film était une bagarre'

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Interview réalisée à Paris le 7 mars 2012 par Benoit Basirico

- Publié le 07-03-2012




Vladimir Cosma évoque son parcours, les réalisateurs avec lesquels il a travaillé, sa manière d'écrire de la musique pour les films, sur sa conception du métier, l'étiquette de compositeur de comédie...

Interview Vladimir Cosma

Cinezik : De quel ordre étaient vos efforts pour faire accepter vos idées aux réalisateurs ?

Vladimir Cosma : Les réalisateurs ont souvent un rapport référentiel à la musique. Pendant toute une époque, quand on faisait un film policier, on mettait du jazz suite à ce que Miles Davis avait fait sur L'ASCENSEUR POUR L'ECHAFAUD. Cette musique magnifique avait marqué, alors ensuite tout le monde a suivi cette direction et le jazz est devenu synonyme de "musique de suspens", alors que le jazz est abstrait par essence. Les réalisateurs parlent donc souvent de références. Quand j'ai fait LE GRAND BLOND AVEC UNE CHAUSSURE NOIRE, l'idée de départ était de faire un pastiche de James Bond parce qu'il y avait l'espion, mais j'ai horreur de cela, de faire "à la manière de...", il faut faire quelque chose d'originale, trouver une idée, je ne me vois pas construire tout un film sur un pastiche de quelque chose d'autre ou quelqu'un d'autre. Je n'aime pas ce qu'on appelle les clins d'oeil et les pastiches. Cet aspect a souvent été le fond de commerce musical des comédies, à partir d'effets grossiers pour se moquer. SUR LE GRAND BLOND j'ai donc proposé la flûte de Pan et un cymbalum, ce qui n'avait aucun rapport avec James Bond, mais en partant de l'idée que l'espion venait du froid, et en étant sûr que cette idée allait provoquer un telle surprise chez le public sur des images de Pierre Richard arrivant à l'aéroport que cela allait créer une musique intéressante. Presque chaque film était une bagarre car je n'ai jamais fait de musiques simplement illustratives, banales, attendues, j'étais toujours à la recherche d'idées insolites. Pour LA GLOIRE DE MON PERE, je n'ai par exemple pas fait une musique provinciale avec des flûtes.

Vous n'avez jamais fait de concessions ?

V.C : Quand j'ai fait des concessions, je les ai faites par rapport à moi-même, car trouver des idées n'est pas faciles, et quand je ne trouve pas une idée qui me semble pertinente je fais une musique plus conventionnelle, car il vaut mieux rester modeste derrière l'image qu'apporter une idée forcée qui ne soit pas bonne. Je fais un tri. Si je présente quelque chose de décalé, c'est que j'ai la conviction que c'est la bonne direction. Il m'est arrivé de faire des musiques attendues par rapport au sujet de certains films, comme la musique de RICHELIEU pour la télévision, ou pour certains Gérard Oury comme L'AS DES AS, que j'aime beaucoup, mais ce n'est pas d'une grande originalité. De toute façon, Gérard Oury n'aimait pas les musiques décalées. Tout de même, toutes ces musiques existent grâce aux réalisateurs, malgré toutes ces difficultés c'est quand même grâce à eux que j'existe.

image compo

Pensez-vous que vos thèmes existent grâce à la demande des réalisateurs ou est-ce que c'est vous qui souhaitiez proposer pour chaque film un thème ?

V.C : J'ai toujours considéré que le sujet de la musique était la mélodie, comme dans un livre il y a le sujet du livre. Autant on ne peut pas écrire un roman sans savoir de quoi on va parler, je ne peux pas écrire une musique s'il n'y a pas de mélodie, c'est le fil conducteur. Il y a des compositeurs qui ne considèrent pas à ce point la mélodie, comme le courant anglo-saxon de la musique répétitive, je trouve personnellement que c'est un appauvrissement du discours musical, mais je respecte cette démarche, cette musique est d'ailleurs très prisée par les cinéastes car c'est un fond qui habille les scènes sans gêner, alors qu'une mélodie peut gêner en racontant aussi son histoire. C'est difficile de cohabiter. J'ai toujours eu un effort énorme à fournir pour faire accepter mes idées, qui ne sont pas que mélodiques. On parle de moi comme un mélodiste, mais il y a un double aspect, il y a la mélodie et la couleur, c'est à dire que j'ai toujours essayé depuis mes débuts d'avoir une couleur spécifique pour chaque film, en plus de la mélodie.

Vous revendiquez votre statut de "compositeur de musique de film" ?

V.C : Je ne suis pas compositeur de musique de film uniquement, j'ai toujours eu une activité de compositeur tout court. Avant de commencer dans le cinéma, j'ai fait un opéra. J'ai fait récemment des ballets sur "Fantomas" et "Volpone" à la Comédie Française. J'ai donné cinquante ans de ma vie à la musique de film tout en essayant à côté de faire des pièces personnelles.

Pourquoi êtes-vous moins présent au cinéma depuis quelques années ?

V.C : Cela fait une quinzaine d'année où la musique de film a pris une tournure pas très positive, où le cinéma a accéléré une marche vers la musique préexistante, avec des films dans lesquels la plus grande partie de la bande originale contient des chansons ou des symphonies classiques, avec des petits bouts de musiques originales. En tant que compositeur, j'aime écrire de la musique nouvelle. Les partitions que je faisais à mes débuts sont devenues assez rares. Donc cela m'a d'autant plus donné envie d'écrire un opéra, j'ai passé trois ans à écrire un opéra à partir de "Marius et Fanny" de Marcel Pagnol. Cela m'a passionné autant que le cinéma. J'ai aussi fait une pièce il y a deux ans à Genève sur "Les Fables de la Fontaine" avec Lambert Wilson jouée par l'Orchestre Nationale de Radio France.

Avez-vous la sensation (et le regret) de ne pas avoir été considéré comme un compositeur au sens noble sous prétexte que vous étiez un compositeur de comédie ?

V.C : J'ai eu la chance d'être sollicité par des grands metteurs en scène de films populaires comme Yves Robert, Francis Veber, Gérard Oury, sans oublier Claude Zidi. Au début, on me regardait avec une forme de mépris, par des gens qui avaient l'impression que ce type de cinéma était mineur, et que mes musiques pour ce cinéma l'étaient donc aussi. Alors qu'ils avaient torts. Le cinéma qu'ils trouvaient plus digne était peut-être en fait plus mineur que celui que je faisais. Avec le temps, Pierre Richard, Louis de Funès, tous ces films sont devenus cultes alors que Truffaut encensé à l'époque est aujourd'hui en perte de vitesse. Quand j'ai commencé, la crème de ce qu'il fallait faire, c'était les films de François Truffaut, d'Alain Resnais... 

Mais vous n'avez tout de même pas fait que des comédies populaires au sommet du box office...

V.C : J'ai toujours été friand de faire des premiers films, comme ceux de Pascal Thomas, Francis Veber, Jean-Jacques Beineix dés son court-métrage "Le chien de monsieur Michel"... Avec ces films-là, il y a d'autres sujets qui m'ont été proposés par la suite. Le premier à m'avoir sollicité pour des sujets différents est Yves Boisset pour DUPONT LAJOIE (1975) puis Daniel Duval pour LA DEROBADE (1979), et Beineix, Cayate... mon image a un peu changé par la suite. Même LA BOUM (1980) c'était différent, une comédie romantique avec des chansons, ce que je n'avais pas encore fait.

Vous travaillez encore aujourd'hui pour Jean-Pierre Mocky...

V.C : C'est le dernier cinéaste totalement indépendant, ça m'amuse de le voir et c'est facile. C'est le seul cinéaste pour lequel je ne vois pas les films. Il vient me voir et me demande toujours la même direction. J'ai aussi récemment retrouvé Duval pour LE TEMPS DES PORTE-PLUMES (2005), et un jeune réalisateur belge, Frédéric Sojcher, pour HITLER A HOLLYWOOD (2010) avec qui je prépare un nouveau film. Je viens de faire aussi un film sur une histoire de Napoléon avec des jeunes. Il y avait dans ces propositions quelque chose d'intéressant à faire.

Vous présentez aujourd'hui vos musiques en concert, que représente ce travail ? 

V.C : A chaque fois je veux changer le programme, et petit à petit je m'aperçois que les organisateurs me demandent RABBI JACOB ou DIVA, donc il y a toute une partie du programme avec des incontournables. Je ne peux pas faire un concert sans jouer LA BOUM, LE GRAND BLOND, des choses connues que le public attend. Je veux tout de même qu'il y ait des nouveautés, des choses que je n'avais pas joué auparavant. Je ne joue pas en concert les musiques telles qu'elles sont dans les films, je ne peux pas jouer une scène d'un film de 1min42, je suis sans images, sans texte, sans bruitages. Il faut donc que la musique parle par elle-même et qu'elle devienne une musique de concert. Car j'ai travaillé avec des grands metteurs en scène pour des films où la musique n'avait pas un rôle moteur, avec une musique d'accompagnement ou une musique qui ne se prête pas à un développement symphonique. Si je veux par exemple jouer la musique que j'ai faite pour Yves Boisset sur DUPONT LAJOIE, c'était un tango, je n'ai pas pour l'instant construit cela sous une forme symphonique. D'autant que j'essaie que les musiques, même sous la forme symphonique, gardent leur couleur d'origine. Pour Boisset, je pourrais jouer la musique du PRIX DU DANGER qui était une musique symphonique, mais ce n'était pas une des musiques les plus originales que j'ai faites, elle reste dans un suspens dramatique. Je ne pense pas que le public vienne à mes concerts pour écouter de la musique de film au sens strict. Si demain je donne des concerts avec une projection d'images c'est différent, l'orchestre joue comme pour un accompagnement de films muets. Mais pour l'instant je fais des concerts pour montrer que la musique peut avoir une vie propre et peut exister en dehors du film.


Interview réalisée à Paris le 7 mars 2012 par Benoit Basirico

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